Premier signalement de l’Écrevisse marbrée (Procambarus virginalis) en France

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L’Écrevisse marbrée, Procambarus virginalis, a été décrite pour la première fois comme une espèce à part entière par des chercheurs allemands en 2015 alors qu’elle avait longtemps été considérée comme une sous-espèce de Procambarus fallax. Cette espèce a été observée pour la première fois, non pas dans le milieu naturel, mais dans le commerce aquariophile allemand en 1995 sans qu’il ait été possible de remonter de manière totalement certaine jusqu’à la source de sa provenance.

Procambarus virginalis (c) Marc Collas

L’étude des caractères morphologiques et des marqueurs moléculaires sur différentes populations  semble montrer que Procambarus fallax est le plus proche parent de l’Écrevisse marbrée, il a donc été suggéré dans un premier temps le nom provisoire Procambarus fallax forma virginalis (Martin et al., 2010). C’est d’ailleurs sous cette dénomination qu’elle est inscrite dans la liste des espèces préoccupante pour l’UE. Plusieurs publications récentes plaident pour porter au rang d’espèce l’Écrevisse marbrée sous le nom de Procambarus virginalis (Lyko, 2017, Vogt et al., 2015 ; Vogt et al., 2018).À la différence de P. fallax, P. virginalis est un organisme triploïde. Cette singularité serait la conséquence d’une reproduction sexuée en aquarium entre deux P. fallax, aboutissant à une anomalie génétique ayant permis l’apparition d’une femelle à trois paires de chromosomes au lieu de deux, capable de se reproduire toute seule. L’espèce présente en effet la particularité de se reproduire par parthénogénèse, c’est-à-dire que la femelle n’a pas besoin de mâle pour se reproduire et que tous les descendants sont des clones (voir encart). Par ailleurs, les résultats déjà disponibles montrent qu’elle est dotée d’une croissance rapide et d’une fécondité élevée, ce qui lui confère un fort potentiel envahissant.

Suite à des prospections réalisées par la fédération de pêche de la Moselle, P. virginalis vient donc d’être signalée pour la première fois en milieu naturel en France, dans un plan d’eau en contexte de ballastières sur le bassin versant de la Moselle, près de Metz. Cette identification morphologique a été confirmée par une analyse moléculaire à partir d’un gène mitochondrial.

Procambarus virginalis. Vue ventrale. (c) Marc Collas

Procambarus virginalis. Vue dorsale. (c) Marc Collas

Plus d’illustrations : Accès à la planche morphologique réalisée par l’AFB. 

Répartition de l’Écrevisse marbrée à Madagascar (Mars 2017) (Gutekunst et al., 2018)

Répartition de l’Écrevisse marbrée à Madagascar (Mars 2017) (Gutekunst et al., 2018)

Répartition

Au niveau mondial, l’espèce est présente au Japon et à Madagascar. A Madagascar, ainsi que l’ont montré les travaux de Gutekunst et al. (2018) (voir notre article du 5 mars 2018 à ce sujet), sa dispersion entre 2007 et 2017 a été extrêmement rapide, comme le présente la carte figurant dans leur article (Figure ci-dessous).  Le petit cercle jaune sur la carte de 2017 indique la répartition observée 10 ans auparavant à la suite des travaux de Jones et al. (2009).

En Europe et selon les données disponibles Procambarus virginalis a d’abord été observée dans le milieu naturel en Allemagne où plusieurs sujets sont capturés près de Karlsruhe, dans le sud-ouest (Marten et al., 2004). L’espèce s’est largement répandue et 16 sites seraient désormais colonisés (Chucholl et al., 2012; Chucholl, 2016; Lyko, 2017), aux Pays-Bas (Soes & van Eekelen, 2006), en Italie, où deux sites seraient concernés dans le centre et dans le nord de l’Italie (Marzano et al., 2009 ; Vojkovská et al., 2014), en Suède (De Bohman et al., 2013, en Ukraine dans deux localités (De Novitsky & Son, 2016), en République tchèque République (Patoka et al., 2016), en Slovaquie sur cinq sites (Lipták et al., 2016; Lipták et al., 2017), en Hongrie (Lőkkös et al., 2016), Croatie (Cvitanić, 2017), Roumanie (Pârvulescu et al., 2017) et en Estonie (Ercoli et al., 2019). L’espèce est récemment signalée à Malte (Deidun et al., 2018).

 

Voies d’introduction et de dispersion

L’Écrevisse marbrée fait l’objet d’un fort intérêt pour les amateurs d’aquariophilie et de nombreuses ventes ont lieu dans les animaleries et par l’intermédiaire d’annonces sur internet entre particuliers.

Cet intérêt a notamment trait à l’esthétique et à certains traits biologiques de l’espèce : croissance rapide, fécondité élevée, reproduction fréquente, embryogenèse courte et maturation précoce, qui entraînent d’ailleurs une surpopulation rapide des aquariums.

Ces caractéristiques conduisent non seulement à fournir l’excès d’animaux nés en captivité à d’autres aquariophiles (bourses d’échange, ventes) mais aussi, et malheureusement, à des risques accrus d’introductions  accidentelles ou non dans les milieux naturels.

Situation en Moselle

D’après les éléments recueillis par la fédération de pêche de la Moselle auprès du propriétaire, l’espèce serait présente depuis plusieurs années dans un des plans d’eau (5 ha) d’un complexe de ballastière, en rive droite de la Moselle (zone en lit majeur inondable) (voir carte ci-dessous). Ces ballastières ont désormais une vocation de loisirs avec un développement important du loisir pêche et une fréquentation importante. L’ensemble représente 7 ballastières pour une surface totale d’environ 20 hectares.

Carte du complexe de ballastière où la population de P. virginalis. En rouge, la ballastière sur laquelle les opérations de piégeage ont été menées en juillet 2019. © AFB

 L’Agence française pour la biodiversité, en collaboration avec la fédération de pêche de la Moselle,  a procédé à une opération de piégeage sur le site en date du 25 juillet 2019 à l’aide de nasses. Cette opération avait pour objectif de faire un état des lieux et d’envisager les suites à mettre en œuvre en matière de connaissance et de police administrative autour du signalement de cette EEE.

L’opération de piégeage s’est concentrée sur un seul plan d’eau (surface de 5 Ha), géré par une amicale de pêcheurs, les autorisations n’étant pas toutes réunies pour envisager un piégeage exhaustif sur l’ensemble des gravières concernées. L’opération a permis la capture de 12 écrevisses marbrées, confirmant ainsi la présence de l’espèce, au moins dans ce plan d’eau.

Selon les éléments recueillis sur place, la présence de l’espèce sur site est attestée depuis plusieurs années, sans que les circonstances précises de son introduction soient connues.

Au terme de cette première journée d’enquête, il a été proposé :

  • de réaliser rapidement des opérations de piégeage dans toutes les autres ballastières afin de connaître la répartition précise de l’espèce sur ce complexe de plans d’eau ;
  • que la fédération de pêche de la Moselle réalise un piégeage dans la Moselle proche, afin de vérifier si l’espèce est déjà présente en eaux libres ;
  • d’informer et de sensibiliser rapidement les communes propriétaires des plans d’eau et les locataires, mais aussi les usagers sur site.

Enfin, les animaux capturés ont été prélevés et stockés dans l’alcool aux fins d’analyses par le laboratoire EBI (Ecologie et biologie des interactions) de l’Université de Poitiers, dans le but de vérifier si l’espèce est porteuse de l’aphanomycose (peste des écrevisses).

Statut réglementaire

L’espèce est considérée comme une espèce préoccupante au titre du règlement européen n° 1143/2014 du Parlement européen et du Conseil. Elle est inscrite sous la formulation : Procambarus fallax (Hagen, 1870) f. virginalis.

Rédaction : Marc Collas (Agence française pour la biodiversité).

Contributions et relectures : Nicolas Poulet (Agence française pour la biodiversité), Alain Dutartre (Expert indépendant, Centre de ressources EEE), Emmanuelle Sarat (Comité français de l’UICN), Frédéric Grandjean (Université de Poitiers), Caroline Pénil (Agence française pour la biodiversité).

 

Contact :

À l’AFB : Marc Collas (marc.collas@afbiodiversite.fr), François Maimbourg (françois.maimbourg@afbiodiversite.fr) et Marion Rousset (marion.rousset@afbiodiversite.fr)

À la fédération de pêche de la Moselle : Magali Uriarte (technique-fd57@orange.fr)

Pour tout signalement de l’espèce, utilisez le formulaire du site internet “EEE-FIF” ou l’application INPN-Espèces.

 

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