Premier signalement de Lycium ferocissimum Miers (Solanaceae) à l’état naturalisé en France (Aude)

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Lycium ferocissimum Miers (Solanaceae), originaire d’Afrique du Sud, vient d’être découvert pour la première fois en France à l’état naturalisé, dans une zone littorale de l’Aude. L’espèce, dont le mode d’introduction reste à éclaircir, présente un risque élevé et pourrait devenir une menace pour les communautés naturelles si elle développe des populations envahissantes en milieu dunaire. Le Conservatoire botanique national méditerranéen de Porquerolles et l’Agence nationale de sécurité alimentaire et sanitaire (ANSES) ont rédigé une alerte et étudient actuellement les actions à mettre en œuvre.

Synthèse de l’alerte

Lycium ferocissimum Miers (Solanaceae) est un arbuste originaire d’Afrique du Sud. Il a été découvert sur la commune de Leucate (Aude) au lieu-dit la Corrège par Dominique Lamailloux (botaniste amateur Société d’horticulture et d’histoire naturelle de l’Hérault (SHHNH)), identifié par Jean-René Garcia (botaniste amateur SHHNH) le 19/09/2019 et confirmé in situ le 17/11/2019 et après un examen plus approfondi le 18/11/2019 par James Molina (CBN Méditerranéen de Porquerolles). Ce Lycium est nouveau pour la France. Quatre espèces de Lycium étaient jusqu’à présent connues en France métropolitaine : Lycium europaeum (indigène en région thermoméditerranéenne mais probablement introduite en France), Lycium barbarum (naturalisé), Lycium chinense (naturalisé), Lycium afrum (occasionnel historique). L. ferocissimum est considéré comme une plante exotique envahissante en Australie (où il est règlementé avec lutte obligatoire) et en Nouvelle-Zélande. Une analyse de risque rapide selon le protocole de Weber & Gut (2004) conduit à un score de 30 (sur une échelle de 3 à 39). Cela correspond à un risque élevé : l’espèce est susceptible de devenir une menace pour les communautés naturelles en cas de naturalisation.

Description de Lycium ferocissimum

L. ferocissimum est un arbuste épineux atteignant 2-3 m de hauteur, parfois jusqu’à 5 m. Il est glanduleux dans toutes ses parties, au moins à l’état jeune. Les tiges sont très ramifiées et les rameaux présentent de fortes épines terminales et latérales de 3-8 cm. Les feuilles sont alternes, regroupées en faisceaux par (2)3-6(10), parfois isolées sur les jeunes tiges, subsessiles ou avec un pétiole très court (1 mm). Le limbe est charnu, vert vif et souvent brillant, il mesure (6)12-30(35) mm de long sur (3)4-8(10) mm de large ; il est entier, obovale à elliptique, à extrémité obtuses ou subobtuses.

L’inflorescence est réduite à une seule fleur, solitaire, axillaire. Les fleurs sont portées par un pédicelle de (5)6-12(15) mm, densément glanduleux par la présence de poils très courts visibles à la loupe. Le calice forme une cloche bilabiée de 5-7(8) mm avec un tube de 3,5-5 (6,5) mm, plus long que les lobes triangulaires de 1-1,5 mm, obtus ou subobtus. La corolle mesure 8,5-11,5(13) mm, elle est blanche ou rose à gorge violette, soudée en tube de (5)7-8 mm à la base, glabre à l’extérieur, velu au niveau de l’insertion des étamines. Le tube est plus long que les lobes ovales, obtus, de 3-4,7(6) × 2,5-4,5(5) mm, 3 sont légèrement plus larges que les 2 autres, glabres ou avec quelques cils dispersés. Les fruits sont des baies plus ou moins sphériques et mesurent 5,5-13 × 4,5-12 mm, elles sont rouge orangé, virant au rosâtre rougeâtre au séchage. Les graines mesurent 2,2-3 × 1,7-2,5 mm, elles sont réniformes à presque sphériques, brunes.

Aspect général de l’arbuste © Jean-René Garcia

rameaux avec des baies. © Jean-René Garcia

Rameaux de Lycium ferocissimum avec des baies. © Jean-René Garcia

Lycium ferocissimum avec une fleur (c) Fabienne Niebler

Rameau feuillé de Lycium ferocissimum avec une fleur © Fabienne Niebler

Rameau feuillé avec une fleur de Lycium ferocissimum © Fabienne Niebler

Rameau feuillé avec une fleur de Lycium ferocissimum © Fabienne Niebler

Risques de confusion

L. ferocissimum se distingue de L. europaeum par le filet des étamines velus à la base (glabre ou faiblement poilu chez L. europaeum). Le calice de L. ferocissimum mesure 4,5-7(8) mm, il est bien plus long que celui de L. europaeum (2-3,5(4) mm). Le tube de la corolle dépasse à peine le calice contrairement à celui de L. europaeum. En l’absence de fleurs, le port divariqué et des épines très longues (3-8 cm) chez L. ferocissimum s’oppose à un port sarmenteux chez L. europaeum avec des épines plus courtes (0,5-1,5 cm sur jeune rameau, 3-5 cm sur vieux rameaux).

L. ferocissimum se distingue de L. barbarum et L. chinense par des pédicelles portant les fleurs densément glanduleux (glabres chez L. barbarum et L. chinense) (Gallego, 2012).

Lycium afrum (autrefois cultivé) se distingue par ses corolles pourpres ou bleuâtres à tube 5-6 fois plus long que les lobes et ses feuilles étroites et linéaires.

NB : Lycium ferocissimum s’hybriderait facilement avec Lycium afrum, donnant naissance à des plantes avec des caractéristiques intermédiaires (Venter, 2000).

Description de la station et de la population observée

Située au lieu-dit « La Corrège » à Leucate, la station s’étend à l’ouest du port de Port Leucate, sur la bande de terrains remaniés entre la RD 627 et les bassins de la zone portuaire, principalement vers la station d’épuration au nord et la Corrège au sud. Ce site a entièrement été transformé au milieu des années 1960 par des apports de sable issus des creusements des zones portuaires et de la création de marinas lors de la création de Port Leucate et a dû ensuite être végétalisé.

L. ferocissimum forme une grande population en haie avec une hauteur de 5 m au bord d’une piste cyclable, régulièrement faucardée et rejetant abondamment par drageonnement. Des arbustes de différentes tailles allant de 50 cm à 2-3 mètres sont disséminés. Un total de 700 individus a été recensé sur une surface de 74 ha (J.-R. Garcia & J. Molina, com. pers. , 2019).

Carte de localisation des populations de  L. ferocissimum.

Carte de localisation des populations de L. ferocissimum.

Station de L. ferocissimum à l'ouest du port de Leucate. (c) JR Garcia

Station de L. ferocissimum à l’ouest du port de Leucate. © JR Garcia

Station de L. ferocissimum à l'ouest du port de Leucate. (c) JR Garcia

Station de L. ferocissimum à l’ouest du port de Leucate. © JR Garcia

Analyses et conséquences

L. ferocissimum a été introduit en Australie et en Nouvelle-Zélande comme haie défensive du fait de son caractère épineux et de son feuillage non appétant (Environmental Weeds of Australia for Biosecurity Queensland, 2016). Il est considéré comme largement naturalisé dès le milieu du XIXème siècle et signalé comme exotique envahissant dans le Queensland dès 1917. De même en Nouvelle-Zélande, où il est considéré comme naturalisé depuis 1897. Ailleurs dans le monde, L. ferocissimum est naturalisé en Californie [apparemment récemment, car il n’est pas cité dans A California Flora (Munz & Keck, 1959) ni dans ses suppléments (Munz, 1968) ou dans The Jepson Manual – Higher Plants of California, 3rd printing with corrections (1996)], dans le sud de l’Espagne (Pérez-Latorre et al., 2006 ; Gallego, 2012), à Chypre où il est apparemment introduit au début du 20ème, et ensuite planté en haie et commençant à se naturaliser, mais toujours rare (Meikle, 1985), au Maroc (Lambinon & Lewalle, 1986) et en Tunisie (Guittoneau et al. 2011). Dans ce dernier cas, il semblerait également que l’introduction soit liée à une utilisation comme haie défensive délimitant les palmeraies.

Carte de distribution mondiale de Lycium ferocissimum. En vert les occurrences des populations indigènes, en rouge les occurrences des populations introduites. D’après les données GBIF (GBIF.org (17 December 2019) GBIF Occurrence Download https://doi.org/10.15468/dl.floywa). Les stations françaises ne sont pas reportées.

Carte de distribution mondiale de Lycium ferocissimum. En vert les occurrences des populations indigènes, en rouge les occurrences des populations introduites. D’après les données GBIF (GBIF.org (17 December 2019) GBIF Occurrence Download https://doi.org/10.15468/dl.floywa). Les stations françaises ne sont pas reportées.

Risque d’introduction

Dans la station française découverte, il ne semble pas que l’espèce ait été introduite pour cet usage. Le site qui héberge L. ferocissimum a été végétalisé au début des années 1980 par l’ONF, avec des pins en alternance avec des tamaris. L’entretien de ces plantations a été délégué à une entreprise privée de gestion et de transformation des végétaux. Cette entreprise taillait et broyait les végétaux du site, mais aussi ceux des jardins privés de Leucate et des environs. Il est possible que des baies de Lycium aient pu être introduites accidentellement par cette entreprise via les outils de broyage ou les véhicules. Cela pourrait aussi expliquer la présence sur ce site de plusieurs autres espèces invasives utilisées comme plantes ornementales (Nicotiana glauca, Baccharis halimifolia, Morus alba). Une hypothèse alternative serait que l’ONF ait directement introduit cette espèce sur le site avec les pins et les tamaris. En effet, L. ferocissimum a été plantée par l’ONF sur l’Île-Sainte-Marguerite à Cannes (Alpes-Maritimes), où elle ne semble actuellement pas échappée. Dans les jardineries, il semble que les lyciets commercialisés correspondent essentiellement à Lycium barbarum et Lycium chinense (baies de Goji). Il ne peut être exclu que certaines jardineries spécialisées commercialisent Lycium ferocissimum.

Capacité d’établissement

Dans sa zone d’origine, L. ferocissimum est présent sur les dunes sableuses le long de la côte, ainsi que sur les sols sableux dans l’intérieur de terres (Venter, 2000). Le climat est de type méditerranéen (Csa, Csb dans la classification de Köppen-Geiger) et semi-aride froid (Bsk). Ses occurrences en Australie et Nouvelle-Zélande incluent des zones à climat tempéré (Cfb). L. ferocissimum semble donc au moins adapté au climat méditerranéen mais potentiellement aussi au climat tempéré ailleurs en France. Dans la station observée, L. ferocissimum produit des fleurs et des baies. La présence d’environ 400 jeunes plants (sur les 700 individus recensés) suggère clairement l’existence de semis issus de graines et donc d’une reproduction sexuée active (JR Garcia, com. pers., 2019). La présence de baie en automne est une provende pour les oiseaux migrateurs et les passereaux frugivores hivernants.

Capacité de dispersion. L. ferocissimum se reproduit principalement par voie sexuée. Les graines sont généralement dispersées lorsque les fruits sont mangés par les oiseaux et éventuellement par des petits mammifères (par ex. les renards). Les graines peuvent également être disséminées par l’eau, et par les activités humaines (machines, déchets de jardin ou sol contaminé). Des drageons sont parfois produits à partir de fragments de racines et plus rarement des pousses peuvent aussi être produites à partir de fragments de tiges.

Impacts potentiels

  • Environnemental : en Australie, selon Abbott et al. (2000), L. ferocissimum est fréquent sur les bords des routes, sur les talus des voies ferrées, le long des cours d’eau et dans les friches et autres zones rudérales. Il se propage rarement dans les pâturages bien gérés, mais peut envahir les zones perturbées. En revanche L. ferocissimum est particulièrement fréquent et particulièrement envahissant dans les zones côtières et les dunes, ainsi que sur les îles au large des côtes. La station découverte en France se trouve justement en zone littorale. Actuellement localisées sur des zones sableuses anciennement remaniées (avec toutefois la présence d’Euphorbia terracina, protégé au niveau régional), les populations pourraient à moyen terme atteindre les habitats d’intérêts à proximité (dunes naturelles) où elles auraient un impact plus fort. En Australie, la formation de fourrés de L. ferocissimum sur les dunes élimine la flore indigène et modifie la qualité de l’habitat pour la reproduction et la nidification de certains oiseaux (CABI, 2019 ; Environmental Weeds of Australia for Biosecurity Queensland, 2016).
  • Sanitaire : les épines de L. ferocissimum sont robustes et persistantes, elles peuvent blesser les humains et crever les pneus de véhicule (dans le cas où des rameaux cassés se trouvent au sol, voir photo plus haut). Contrairement aux lyciets produisant des baies de Goji (L. barbarum, L. chinense), les baies de L. ferocissimum sont toxiques (risque exacerbé par l’engouement autour de l’utilisation des baies de Goji). Venter (2000) indique de manière ambiguë que les baies sont réputées comestibles mais que des cas d’empoisonnements ont été rapportés.

Statut réglementaire

A l’heure actuelle, l’espèce ne fait pas partie des espèces préoccupantes pour l’Union européenne et n’est inscrite sur aucune liste réglementaire nationale.

Actions à prévoir

Un état des lieux de la zone a été réalisé par Jean-René Garcia et quelques botanistes de la SHHNH (cf. carte plus haut). Des prospections sur les sites alentours devraient permettre de détecter d’éventuelles autres populations et de réaliser un état des lieux complet de la situation. L’espèce étant nouvelle sur le territoire français, des informations supplémentaires mériteraient d’être collectées pour évaluer la dynamique de cette population ainsi que ses capacités de recrutement (taux de germination). L’analyse de risque réalisée selon la méthode de Weber & Gut pour l’espèce indiquant un risque élevé, notamment en milieu dunaire, un arrachage préventif est également à l’étude, dans le cadre d’une opération de détection précoce et de réaction rapide. Ces actions seront discutées au sein d’un comité d’acteurs à constituer (OFB, CBN, ANSES, gestionnaires, collectivités territoriales et services de l’Etat, etc.).

Toute nouvelle observation de l’espèce est à signaler à :
En région Occitanie : James Molina, CBN Méditerranéen de Porquerolles, antenne Languedoc-Roussillon, j.molina@cbnmed.fr

En région PACA : Cyril Cottaz, CBN Méditerranéen de Porquerolles, c.cottaz@cbnmed.fr

Et sur le site invmed.fr, rubrique Ressources/outils/signaler une observation

Dans les autres régions françaises, vous pouvez contacter le Conservatoire botanique national de votre région.

Il est également possible de signaler l’espèce grâce à l’application INPN-Espèces.

Rédaction : Guillaume Fried (Anses)

Contributions et relectures : James Molina (CBN Méditerranéen), Jean-René Garcia (botaniste amateur SHHNH), Emmanuelle Sarat (Comité français de l’UICN), Arnaud Albert (OFB)

Références

  • Abbott, I., Marchant, N., Cranfield, R. (2000). Long-term change in the floristic composition and vegetation structure of Carnac Island, Western Australia. Journal of Biogeography, 27(2):333-346.
  • Gallego, M.J. (2012). Lycium L. in Castroviejo, S., Aedo, C., Laínz, M., Muñoz Garmendia, F., Nieto Feliner, G., Paiva, J. & Benedí, C. (eds.). Flora iberica 11: 233-240. Real Jardín Botánico, CSIC, Madrid.
  • Guittonneau, G.-G., et al. (2011). La flore et la végétation de la Tunisie méridionale. [Voyages d’études de la SBF (27 mars -3 avril 2008)]. Journal de Botanique, 281-359
  • Jepson, W. L., & Hickman, J. C. (1993). The Jepson manual: higher plants of California. Univ of California Press.
  • Lambinon, J., J. Lewalle (1986). Lycium ferocissimum Miers. Notes brèves surcertaines centuries distribuées dans le fascicule 21. Soc. Ech. Pl. Vasc. Eur. Bass.Médit., 21: 49-70.
  • Meikle, R. D. (1985). Flora of Cyprus 2. Royal Bot. Gardens, Kew.
  • Munz, P. A., & Keck, D. D. (1959). A California Flora. Berkeley. Los Angeles.
  • Munz, P. A. (1968). Supplement to a California flora. Univ of California Press.
  • Pérez-Latorre, A. V., Yus-Ramos, R., & Dana-Sánchez, E., (2006). Lycium ferocissimum Miers en la Península Ibérica (Málaga, España). Acta Botanica Malacitana 31 : 208.
  • Venter, A. M. (2000). Taxonomy of the genus Lycium L.(Solanaceae) in Africa. 2000. Thèse de doctorat. University of the Free State.
  • Weber, E., & Gut, D. (2004). Assessing the risk of potentially invasive plant species in central Europe. Journal for Nature Conservation, 12(3), 171-179.

Webographie

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