En 2007, une espèce de poisson jusqu’alors inconnue des eaux métropolitaines a été capturée dans le Rhin par l’Onema (aujourd’hui Agence française pour la biodiversité). Il s’agissait du Gobie demi-lune Proterorhinus semilunaris, petit poisson benthique proche cousin des espèces que l’on trouve sur nos côtes.
Ce fut la première d’une série de quatre espèces qui allaient arriver dans le bassin du Rhin entre 2007 et 2014 : le Gobie de Kessler, Ponticola kessleri (en 2010), le Gobie à tache noire, Neogobius melanostomus (en 2011) et le Gobie fluviatile, Neogobius fluviatilis (en 2014, voir l’article sur le sujet dans la lettre d’information numéro 3 du GT IBMA). Ces quatre espèces sont originaires du bassin Ponto-Caspien (ensemble des fleuves se jetant dans les mers Caspienne, Noire et d’Azov) et leur arrivée dans le Rhin a été rendue possible par l’intermédiaire du canal à grand gabarit Danube-Main qui relie le bassin du Danube à celui du Rhin depuis 1992.
Avant les gobies, cette nouvelle voie d’eau entre les bassins de l’Europe de l’Est et l’Europe de l’Ouest avait déjà été empruntée par Dikerogammarus villosus, crustacé amphipode prédateur, pour atteindre la Moselle en 1999. Il est aujourd’hui présent dans la plupart des bassins de métropole. Les gobies, eux, continuent la colonisation du bassin du Rhin et sont même dispersés au-delà : en 2015, le Gobie à tache noire a été détecté dans la Seine (dans le port de Rouen) et dans l’Escaut, et en 2017, il a été retrouvé dans une gravière localisée dans le bassin de la Durance (bassin du Rhône).
Parmi les vecteurs anthropiques d’une telle expansion, on trouve en premier lieu la navigation via la construction de canaux, les eaux de ballast ou encore les anfractuosités des coques. Mais l’arrivée du Gobie à tache noire dans une eau close suggère une introduction probablement involontaire via un repeuplement en poissons pour la pêche de loisirs.
Le régime alimentaire de ces gobies est exclusivement carnivore : ils consomment un vaste spectre d’invertébrés benthiques. Le Gobie à tache noire peut aussi se nourrir, faute de mieux, de moules d’eau douce dont la Moule zébrée Dreissena polymorpha, autre espèce exotique envahissante en provenance du bassin Ponto-Caspien. Le Gobie de Kessler, tout comme le Gobie à tache noire, consomme également de petits poissons.
Concernant les impacts de ces gobies sur la faune native, on trouve surtout des informations sur le Gobie à tache noire, celui-ci ayant envahi les grand lacs Nord-Américains et donc ayant fait l’objet de plus d’attention. Quelques études sur le Gobie demi-lune et le Gobie de Kessler sont également disponibles. Comme souvent, l’intensité des effets dépend du milieu considéré mais des impacts négatifs sont néanmoins relevés : compétition, prédation et observation de chutes de densité de certaines espèces natives. A noter que certains gobies comme le Gobie à tache noire peuvent pulluler au point de représenter jusqu’à 90 % des effectifs capturés lors des pêches de suivis dans le cadre de la DCE. Ces densités modifient fortement la structure des chaines trophiques et le fonctionnement des écosystèmes envahis. L’évaluation du potentiel invasif par la méthode FISK (Fish Invasiveness Screening Kit) attribue un risque moyen pour le Gobie demi-lune tandis que le Gobie de Kessler et le Gobie à tache noire présenteraient un risque élevé de devenir envahissants en France.
Il convient donc d’ores et déjà d’être particulièrement attentif à l’arrivée de ces espèces puis aux risques de leur dispersion, notamment en augmentant la vigilance sur les vecteurs anthropiques directs de dissémination comme les repeuplements.
En savoir plus :
- Manné S., Poulet N. (2008) ‒ First record of the western tubenose goby Proterorhinus semilunaris (Heckel, 1837) in France. Knowledge and Management of Aquatic Ecosystems, 389, 03, 5 pp.
- Manné S., Poulet N., Dembski S. (2013) ‒ Colonisation of the Rhine basin by non-native gobiids: an update of the situation in France. Knowledge and Management of Aquatic Ecosystems, 411, 2, 17 p.