Le chien, prédateur introduit et menace pour la biodiversité

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Les impacts des chats harets et des rats sur la faune sauvage, en particulier la faune endémique dans les îles, sont aujourd’hui largement reconnus. Les études sur le sujet sont nombreuses, et des mesures pour les limiter sont aujourd’hui largement mises en œuvre dans le monde entier (opérations de dératisation dans les îles [1], sensibilisation sur l’impact des chats domestiques [2] et conseils pour les limiter, etc.). Cependant l’impact des chiens domestiques et errants est moins souvent évoqué. Or, avec une répartition mondiale et une population estimée à plus de 900 millions d’individus domestiques, ils seraient, après les chats et les rats, les 3e prédateurs introduits les plus néfastes.

[1] Voir à ce sujet notre article du 8 octobre 2018.
[2] Voir par exemple les études menées dans le cadre du projet FELICS piloté par l’Université de Rennes 2.

Plusieurs articles récemment publiés documentent ces impacts à travers le monde. Ils sont provoqués aussi bien par des chiens domestiques que par des individus féraux totalement indépendants des humains. Cet article se base en particulier sur l’important travail de synthèse de Twardek et al. (2017).

Prédation et compétition

Chiens sauvages attaquant un gnou dans une réserve naturelle en Afrique du Sud © A. Woodland

Bien que les chiens soient impliqués dans de nombreux cas de prédation sur la faune sauvage, il existe bien moins d’estimations de leur nombre que pour les chats. En 2016, une équipe polonaise a estimé à 33 000 le nombre d’animaux sauvages tués par les chiens chaque année sur le territoire (Wierzbowska et al., 2016). Cependant, la plupart des études ne documentent que les morts directes, mais les chiens sont susceptibles de harceler leurs proies, induisant un stress avec des conséquences physiologiques et comportementales non négligeables, pouvant conduire ultérieurement à la mort.

L’un des problèmes majeurs liés à cette espèce est la présence de chiens sauvages dans des aires protégées, pouvant exercer une prédation des espèces endémiques et menacées, parmi lesquelles par exemple l’Iguane terrestre des îles Caïques (Cyclura carinata), l’Iguane marin des îles Galápagos (Amblyrhynchus cristatus), ou encore les scinques à langue bleu en Australie (Tiliqua sp.).

En 1987, lors d’études sur le comportement reproducteur du Kiwi brun de l’île du Nord (Apteryx mantelli) en Nouvelle-Zélande, plus de la moitié des individus étudiés ont été retrouvés morts, et les marques qu’ils présentaient démontraient clairement une origine canine (Taborsky, 1988). Par la suite, de nombreux autres cadavres ont été retrouvés dans la forêt étudiée. Les recherches ont donné lieu à la découverte de la présence d’une femelle Berger allemand sur la zone. Une fois l’animal abattu, la mortalité a cessé, démontrant qu’un seul chien pouvait avoir un impact très important sur la petite population de cet oiseau endémique.

Une compétition avec des grands prédateurs (léopards, lions) et les charognards (hyènes) est également observée. De plus, même en l’absence d’une forte compétition pour la nourriture, il est fréquent que des groupes de chiens sauvages harcèlent d’autres prédateurs (situation observée avec des Loups d’Ethiopie par exemple), voire qu’ils les tuent (renards).

Transmission de pathogènes

Plusieurs pathogènes sont susceptibles d’être transmis par les chiens à la faune sauvage : paramyxovirus (maladie de Carré), rage, parvovirus canins (CPV), adénovirus canin (hépatite de Rubarth) (Twardek et al. 2017). Ces transmissions peuvent avoir lieu lors de contacts directs (attaque, reproduction) ou indirectement via les fluides corporels (fèces, urines, etc.). La maladie de Carré aurait ainsi été transmise du chien à des renards, blaireaux, petits grisons et loups ibériques, tandis que la rage aurait été transmise à au moins 10 carnivores dont le Lycaon (Lycaon pictus), espèce africaine menacée d’extinction. L’utilisation d’antibiotiques pour traiter les chiens domestiques pourrait également favoriser la transmission de bactéries résistantes.

Loups ibériques © G. Van Drunen

Hybridation

Comme pour de nombreuses autres espèces, l’hybridation avec des espèces proches peut conduire à une pollution génétique et au déclin de leurs populations. L’hybridation avec le Loup (Canis lupus) est fréquemment évoquée. En Bulgarie, une étude a démontré une introgression issue du chien chez 11 % des loups étudiés (Moura et al., 2014). Les populations de Dingos (Canis lupus dingo), de Loup iranien (Canis lupus pallipes), de Loup ibérique (Canis lupus signatus) et de Chacal doré (Canis aureus) seraient également concernées. Cette hybridation pourrait avoir de lourdes conséquences sur la conservation de ces espèces, souvent menacées et protégées.

Modifications comportementales

La présence de chiens, même en l’absence de prédation directe, peut être un facteur de réduction du succès reproducteur de la faune sauvage. Le stress occasionné par leur présence (aboiements, harcèlement) entraîne un changement de comportement des autres espèces animales (changement de la distribution spatiale, recherche plus fréquente de refuge). Une étude a ainsi démontré une diminution de 35 % de la diversité et 41 % de l’abondance d’oiseaux dans une forêt australienne où des chiens sont fréquemment promenés (Banks et Bryant, 2007).

Du chien de compagnie aux populations férales, des solutions adaptées

Chiens sauvages attaquant un cervidé à proximité d’une réserve naturelle de l’Etat du Kerala (Inde) © Haneeshkm

Tout comme pour les chats, les liens socio-culturels associés aux chiens peuvent interférer avec la nécessité de protéger la faune sauvage. Au regard de l’importance de leurs impacts, il apparait pourtant essentiel de prendre des mesures afin de les limiter. Une sensibilisation aux mesures à appliquer par les propriétaires de chiens est nécessaire (utilisation de laisse, en particulier dans des zones sensibles) et une législation plus contraignante pourrait également être envisagée : « couvre-feu » nocturne pour les animaux domestiques, limitation du nombre d’individus détenus, interdiction de détention à proximité de zones protégées, etc.

La réduction graduelle des populations férales impliquerait des campagnes durables de stérilisation et castration, ainsi que des vaccinations de masse, pour limiter la reproduction des individus et la transmission de maladies. L’abattage des individus, socialement controversé, pourrait de plus rester peu efficace avec des flux de nouveaux individus toujours importants (abandons, reproduction d’animaux non stérilisés).

Les populations férales d’animaux domestiques – chats et chiens – qui ont accompagné les déplacements humains sont responsables de modifications majeures des écosystèmes et de lourdes pertes de biodiversité. Il apparait donc essentiel de réfléchir à la considération que nous apportons à nos animaux domestiques et notre responsabilité vis-à-vis de leurs impacts sur l’écosystème, et de prendre les mesures adéquates afin de préserver la faune sauvage de leurs impacts.

Rédaction : Doriane Blottière, Comité français de l’UICN
Relectures : Alain Dutartre, expert indépendant, Emmanuelle Sarat, Comité français de l’UICN

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