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Biocontrôle de la balsamine de l’Himalaya dans les îles britanniques

Balsamine de l’Himalaya © M. Freudenreich

La Balsamine de l’Himalaya (Impatiens glandulifera) est une plante annuelle originaire des hauteurs de l’Inde et du Pakistan. Après leur floraison entre juillet à octobre, les peuplements de balsamines, souvent denses, disparaissent à l’automne et laissent à nu les berges des milieux colonisés. Placée sur la liste des espèces exotiques envahissantes préoccupantes par l’Union européenne, l’espèce présente une menace locale pour la biodiversité, notamment en milieu rivulaire. Il s’agit d’une plante très appréciée des pollinisateurs, dont le nectar des fleurs attire un important cortège d’insectes pollinisateurs au détriment des végétaux indigènes. Sa stratégie de reproduction est très efficace et chaque plante peut produire en moyenne 700 à 800 graines, ensuite disséminées sur de grandes distances par auto-projection et le long des cours d’eau.

Le contexte britannique

Largement répandue en Europe, la Balsamine de l’Himalaya est présente au Royaume-Uni depuis 1839 où elle a été introduite en tant que plante ornementale.

Une étude de Hulme et Bremner (2006) indiquait une diminution de 25 % de la richesse spécifique sur les sites colonisés par la Balsamine en Angleterre, avec une réduction du nombre d’espèces natives.

Au Royaume-Uni, la vitesse d’expansion de l’espèce a été estimée jusqu’à 38 km par an (d’après AlterIAS.be) et l’Agence britannique pour l’environnement a évalué les coûts de son éradication complète à 300 k£ (Environment Agency, 2003). En raison de son système racinaire réduit, la principale méthode de gestion de cette plante consiste en un arrachage manuel. Cette méthode présente cependant le désavantage d’être longue et fastidieuse pour le contrôle de populations sur de vastes superficies. Aussi, depuis 2006, des chercheurs britanniques se sont penchés sur les possibilités de biocontrôle pour gérer l’espèce.

La lutte biologique
Appelée aussi biocontrôle, la lutte biologique correspond à un ensemble de méthodes basé sur l’utilisation de mécanismes naturels. Fondée sur les mécanismes et les interactions qui régissent les relations entre espèces dans le milieu naturel, il s’agit de gérer l’équilibres des populations par le biais d’organismes naturels antagonistes, tels que des phytophages (dans le cas des plantes), des parasitoïdes, des prédateurs ou des agents pathogènes (virus, bactéries, champignons…). Le but ultime d’un programme de lutte biologique est l’établissement durable de l’agent de lutte pour assurer une régulation auto-entretenue de l’organisme ciblé.

Pour en savoir plus sur le biocontrôle : Ministère de l’agriculture & Dossier de la lettre d’information (09/05/2014)

A la recherche d’un agent de biocontrôle

La Balsamine de l’Himalaya ne semblant pas avoir de prédateurs dans son milieu d’introduction, des recherches ont été menées dans son aire d’origine afin d’identifier ses ennemis naturels. Une première expédition a été réalisée entre 2006 et 2010 dans les contreforts de l’Himalaya (Inde de l’ouest et Pakistan) par l’équipe du CAB International (CABI).

Lors de cette campagne de terrain, plusieurs insectes et champignons pathogènes ont été trouvés sur les plantes repérées. La phase ultérieure des recherches a consisté en une priorisation des organismes présentant le plus fort potentiel d’agent de contrôle biologique. Si la plupart d’entre eux se sont révélés trop généralistes pour être de bons agents, une rouille provoquée par Puccinia komarovii s’est avérée être un bon candidat car causant des dommages significatifs et agissant sur plusieurs stades de la plante.

Figure 1 – Cycle de vie de Pucciana komarovii var. glanduliferae sur la Balsamine de l’Himalaya (traduction libre d’après Tanner et al., 2015a)

Une étude plus approfondie en laboratoire a montré que Puccinia komarovii est un champignon macrocyclique, avec cinq stades potentiels (Fig. 1) qui se produisent tous sur le même hôte (on parle de rouille autoïque) et très spécifique. Depuis la première identification de cette rouille, elle a été retrouvée sur sept espèces différentes de Balsamine mais les observations menées sur le terrain ont suggéré que les pathovars (ou souches) de P. komarovii étaient spécifiques à chaque espèce de Balsamine. Des tests d’inoculation croisée réalisés en laboratoire ont pu montrer que les souches de P. komarovii retrouvées sur Impatiens parviflora n’infectait pas les individus d’I. glandulifera et inversement.

Les souches indiennes prélevées sur I. glandulifera ont donc été identifiées comme une variété distincte de ce champignon et nommées Puccinia komarovii var. glandulifera.

Une étude sur quatre ans de la spécificité de P. komarovii var. glandulifera comme agent de contrôle biologique a également été réalisée en testant l’action de la rouille sur un panel de 75 espèces végétales, ainsi que 10 variétés ornementales de trois espèces de balsamines présentes au Royaume-Uni. En dehors de I. glandulifera, seule I. balsamina, une espèce exotique à faible valeur commerciale, a montré une sensibilité à l’agent pathogène. Une sensibilité a également été détectée pour I. scabrida mais des expériences complémentaires ont montré qu’il s’agissait d’un artefact expérimental lié à l’inoculation en laboratoire et que l’espèce n’était aucunement un hôte naturel du champignon.

Introduction de la rouille dans le milieu naturel

Une fois l’ensemble des études scientifiques réalisées, les données de recherche acquises sur la souche indienne de la rouille ont été rassemblées dans une évaluation complète du risque phytosanitaire, conformément aux directives de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

L’analyse de risque produite a été soumise en 2014 au Ministère de l’environnement, de l’alimentation et des affaires rurales pour retirer la rouille de sa quarantaine et permettre sa libération dans le milieu naturel.

À la suite de l’acceptation par le DEFRA, un processus de consultation publique a été engagé pour permettre au grand public d’exprimer des objections et les questions soulevées ont été traitées par CABI (https://himalayanbalsam.cabi.org/frequently-askedquestions/). L’analyse de risque a été envoyée au Comité permanent de la santé des végétaux de la Commission européenne pour commentaires, en raison du risque de transfert par les vents de la rouille sur le continent européen. Suite à l’accord de la Commission européenne et à l’approbation ministérielle officielle du gouvernement britannique, le champignon de P. komarovii var. glandulifera a été libéré de la quarantaine en septembre 2014.

Il s’agit du premier agent phytopathogène exotique dont la dissémination en milieu naturel a été autorisée en tant qu’agent de lutte biologique contre une plante exotique envahissante dans l’Union européenne.

Première phase d’étude (2015-2016)

Une première phase de dissémination de la rouille a été réalisée durant l’été 2015, sur 25 sites en Angleterre et au Pays de Galle. Le protocole utilisé consistait à introduire 6 à 10 plants préalablement infectées par la rouille au sein des populations de Balsamine de l’Himalaya présentes sur le terrain, puis à laisser la rouille se propager naturellement par le vent. Des données climatiques (température et humidité) ont été enregistrées sur chaque site et l’impact des différentes conditions microclimatiques sur l’établissement et la propagation de la rouille a été évalué.

Feuille de Balsamine de l’Himalaya avec présence d’urédospores induite par la présence de Puccinia komarovii var. glanduliferae © CABI

Dans la plupart des sites, la rouille s’est bien répandue, mais sa diffusion est restée limitée (entre 1 à 5 mètres des plantes infectées). La taille des pustules et la production d’urédospores ont été moins importantes que dans l’aire d’origine de l’espèce et que dans les conditions de laboratoire sous serre. De plus, une variation a été constatée entre les sites, avec sur certains d’entre eux une meilleure propagation de la rouille et de plus grandes tailles des pustules. Sur les 25 sites, seuls 11 ont présenté une infection foliaire, avec présence d’urédospores.

L’étude des variables climatiques a conclu que l’infection par la rouille peut se produire à des températures comprises entre 10 °C et 20 °C et de l’eau doit être présente sur la surface des feuilles pendant au moins 8 heures (l’humidité représentant une variable plus limitante que la température). Ces conditions se produisent généralement la nuit ou tôt le matin pendant la saison de croissance des plantes, ce qui correspond à la période où la plupart des agents pathogènes des plantes sont connus pour être les plus virulents.

En 2016, aucune introduction de la rouille n’a été effectuée sur de nouveaux sites. Des spores ont été réappliquées sur neuf sites afin de poursuivre les recherches sur son établissement.

Sur ces neuf sites, la rouille a été libérée toutes les deux semaines au cours de la saison de croissance, afin de maximiser son établissement et d’atteindre un niveau d’infection pouvant conduire à une épiphytie (maladie contagieuse atteignant de nombreuses plantes). Les conditions microclimatiques sur le terrain ont été mesurées en continue, en enregistrant les niveaux d’infection observés de manière à identifier les meilleures conditions de dissémination de la rouille. Suite au printemps très pluvieux, les observations ont montré des résultats encourageants avec une infection présente sur huit des neuf sites étudiés, principalement sur des jeunes plants en conditions humides ouvertes.

Des études expérimentales ont été conduites en parallèle pour identifier les contraintes potentielles pouvant expliquer l’absence d’installation du champignon sur certains sites.

Les résultats du premier bilan de l’étude sont disponibles dans l’article de Varia et al. (2016).

Une origine multiple

En raison de la variabilité des résultats d’infection constatée entre les 25 sites, des graines ont été récoltées sur 18 de ces sites pour procéder en 2016 à des tests en laboratoire. Les plantes ont été cultivées en extérieur et soumises à un traitement identique de manière à pouvoir évaluer les causes de cette variabilité. Les résultats de ces tests ont montré des variations significatives de la sensibilité des plantes entre les différentes populations de balsamines, avec des résultats relativement similaires à ceux observés sur ces populations en 2015. Il a aussi été observé que la surface supérieure des feuilles inoculées présentait une coloration pourpre plus marquée chez les individus les plus résistants, liée à la production d’anthocyanes, une réaction de défense connue des plantes à une invasion fongique. Les populations de Balsamine de l’Himalaya n’ont donc pas toutes la même sensibilité à l’attaque par le champignon pathogène.

Ces résultats suggèrent ainsi que plusieurs souches de rouille pourraient être nécessaires au contrôle de l’espèce à l’échelle du territoire. En effet, dans une région montagneuse comme l’Himalaya, il est possible que la rouille ait évolué de manière isolée avec des biotypes distincts. Ils pourraient alors exister des souches distinctes de la rouille, expliquant la variation observée.

Sur la base d’une analyse moléculaire, une étude de Kurose et al. (2019) a récemment fournit des preuves que la Balsamine de l’Himalaya a été introduite dans les îles britanniques à deux, voire trois reprises minimum, et ce depuis le Pakistan (vallée de Kaghan), l’Inde (Cachemire) et possiblement l’ouest du Népal. Des recherches sont actuellement en cours pour identifier des souches de rouille supplémentaires dans l’aire de répartition indigène de l’espèce et ainsi améliorer l’efficacité des mesures de contrôle.

Seconde phase d’étude (2017-2018)

Une autre souche de rouille provenant du Pakistan, dans la vallée de Kaghan, a également été collectée lors des relevés de 2008 et conservée dans de l’azote liquide par l’équipe de chercheurs. Des études complémentaires ont permis de tester cette nouvelle souche, différente de la souche indienne utilisée lors des premières expérimentations, et de découvrir que celle-ci infectait une partie des populations non-touchées.

Tige étiolée et enflée d’un jeune plant infecté © CABI

De la même manière que la souche indienne, elle a donc été testée sur un panel d’espèces végétales, avec un taux similaire de spécificité. Une nouvelle autorisation du DEFRA accordée en janvier 2017 a autorisé l’utilisation de la souche hors quarantaine pour permettre la mise en place de nouveaux tests in-situ.

De plus, la méthode d’introduction de la rouille s’étant révélée limitée, un nouveau protocole d’application a été utilisé à partir de 2017, grâce à la délivrance par la Direction de la sécurité des pesticides d’un « permis d’essai administratif » pour l’application directe d’urédospores (diluées dans de l’eau avec un tensioactif) sur les plants de balsamines.

Au printemps 2017, 31 populations distinctes de balsamines ont été ainsi pré-évaluées en laboratoire pour leur sensibilité à chacune des deux souches. Au total, 9 populations se sont révélées être immunisées ou résistantes aux deux souches et 22 autres étaient sensibles à au moins une souche. Les souches ont ensuite été libérées sur 21 populations, la souche indienne a été relâchée sur dix sites, la souche pakistanaise sur neuf et un mélange des deux souches a été appliqué pour les deux sites qui présentaient une sensibilité similaire pour les deux souches.

En 2018, 37 nouveaux sites ont été évalués et la rouille a été relâchée sur dix sites. Quatre de ces sites ont été sélectionnés parmi les populations identifiées comme les plus sensibles par les tests préliminaires, et six correspondent à des sites de lâcher préexistants, choisis pour vérifier les mauvais résultats d’hivernage de l’année précédente. Les souches indienne et pakistanaise ont été introduites respectivement dans cinq et trois sites et un mélange des deux souches a été utilisé sur deux des sites.

1-     Résultats de la pré-évaluation

Sur les 68 populations étudiées entre 2017 et 2018, seules 19 ont été jugées résistantes ou immunisées aux deux souches de rouille, la plupart situées au sud-est de l’Angleterre. Au total, la majorité, soit 30 des populations testées, ont une sensibilité partielle à l’une des souches et leur répartition reste relativement similaire entre les régions. Les 19 populations restantes sont classées comme totalement sensibles à au moins une des deux souches (Fig. 2).

Figure 2 – Résultats de la phase de tests préliminaires en laboratoire, avec les deux souches de Puccinia komarovii var. glanduliferae, notés par cote de sensibilité (Immunité = absence de symptôme ; Résistance = chlorose ou nécrose ; Sensibilité partielle = symptôme tardif et pustules < 1mm de diamètre ; Sensibilité totale = symptôme visible dès le 1ère semaine et pustule > 1 mm) – d’après les chiffres de Ellison et al. (2020).

2-     Résultats de la phase de terrain (2015-2018)

De 2015 à 2018, la rouille a été libérée sur 36 sites différents. Au total, l’évaluation du CABI indique que l’interaction plante-pathogène a été un succès pour 8 populations.

Pour les 28 autres, les raisons potentielles de l’échec de la rouille à infecter ou à s’établir comprennent :

  • une interaction plante-agent pathogène incompatible (principale raison de l’échec, surtout pour les sites évalués avant la mise en place des tests de sensibilité de 2017) ;
  • une taille de la population végétale insuffisante, empêchant des observations à long terme ;
  • des conditions environnementales inappropriées pour l’établissement de la rouille telles qu’un niveau d’ombrage trop important, des sites exposés au vent ou susceptibles d’être inondés ;
  • l’absence de confirmation des données par l’équipe du CABI (une partie des suivis ayant été confiée à des groupes d’acteurs locaux) ;
  • le non-renouvellement des financements (quatre sites concernés).

L’ombrage s’est avéré être un facteur important de limitation de l’incidence et de l’intensité de l’infection par la rouille. Une hypothèse envisagée est que les plants cultivés à de faibles niveaux d’éclairement présentent des teneurs en nutriments foliaires insuffisantes pour le développement de la rouille.

Conclusion de l’étude et perspectives de recherche

Les résultats rapportés ici constituent la première étape du programme de lutte biologique contre Balsamine de l’Himalaya dans les îles britanniques, à savoir l’établissement du champignon de la rouille P. komarovii var. glanduliferae en Angleterre et au Pays de Galles.

A l’issu de cette première étape, le champignon a réussi à réaliser son cycle de vie sur huit des sites étudiés. Sur un des sites, il a même réussi à s’établir naturellement d’une année à l’autre, sans nécessiter de nouvelle application. Une surveillance continue de ce site a révélé que la propagation locale continue au sein de cette population et il peut ainsi être désormais considéré comme établi au Royaume-Uni.

Son impact direct reste cependant encore difficile à mesurer sur le terrain, notamment en raison du caractère annuel de l’espèce et de son extrême variabilité en milieu naturel. La présence de populations mixtes de Balsamine de l’Himalaya limite également son efficacité et de nouvelles souches sont recherchées dans l’aire d’origine de la plante. Une résistance liée à la présence naturelle de champignons dans les tissus de la Balsamine de l’Himalaya a également été constatée sur les plants britanniques et des travaux avec l’Université de Londres (Royal Holloway) sont en cours pour comprendre ces interactions interspécifiques.

Les rouilles sont des maladies cryptogamiques des végétaux, dont les agents pathogènes responsables sont les champignons basidiomycètes parasites biotrophes, de l’ordre des Pucciniales.

Rédaction : Madeleine Freudenreich (Comité français de l’UICN)
Relecture : Emmanuelle Sarat (Comité français de l’UICN), Alain Dutartre (expert indépendant)

Liste des publications associées à ces travaux :