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Biosécurité et EEE : réinventer l’eau chaude ou comment participer à la prévention des invasions biologiques

Le dossier de la première lettre d’information du groupe en mai 2014 portait sur “Usagers et biosécurité des milieux aquatiques” et s’appuyait en grande partie sur un article publié par cinq chercheuses et chercheurs de trois laboratoires du Royaume Uni (http://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0092788) qui cherchaient à évaluer les “menaces potentielles” posées par les déplacements des canoéistes et pêcheurs comme vecteurs d’espèces invasives et d’agents pathogènes. Ces auteurs concluaient sur l’importance d’une amélioration en termes de biosécurité de ces pratiques et sur les besoins de sensibilisation du public.

Trois de ces auteurs persistent et signent en apportant une nouvelle contribution sur cette problématique dans un article récent (http://www.academia.edu/11769939/Invaders_in_hot_water_a_simple_decontamination_method_to_prevent_the_accidental_spread_of_aquatic_invasive_non-native_species) présentant l’application d’eau chaude comme moyen de nettoyer les équipements (vêtements, waders, filets, etc.) en comparaison avec du séchage.

Des espèces invasives animales et végétalesstop-biosecurite

Sept espèces, représentant un large éventail de taxons, considérées comme des invasives avérées en Grande Bretagne ont été utilisées dans une première série de tests : la moule zébrée (Dreissena polymorpha), le gammare du Danube ou crevette tueuse (Dikerogammarus villosus), la crevette rouge sang (Hemimysis anomala), le grand lagarosiphon (Lagarosiphon major), l’hydrocotyle à feuilles de renouées (Hydrocotyle ranunculoides), la crassule de Helms (Crassula helmsii) et le myriophylle du Brésil (Myriophyllum aquaticum).

Une seconde expérience a porté sur les effets de la température et de la durée d’exposition d’eau chaude sur des individus adultes d’écrevisse signal (Pacifastacus leniusculus).

Les animaux ont été prélevés en milieu naturel et les plantes obtenues auprès de détaillants spécialisés. Les plantes ont été séparées en fragments de 60 mm. Des juvéniles d’écrevisses n’étaient pas disponibles dans la période des tests mais le recours à des écrevisses adultes a été considéré comme une bonne approximation, considérant qu’il était peu probable que les juvéniles soient plus résistantes que les adultes.

Des tests selon un protocole précis

Bien détaillé dans l’article, le protocole des tests a comporté quatre modalités appliquées chacune à 60 individus animaux ou fragments de plantes : application d’eau chaude seule, application d’eau chaude puis séchage, séchage seul et témoin de contrôle sans traitement. En fonction de données bibliographiques déjà disponibles, la température de l’eau était de 45 °C et la durée de l’application de 15 minutes. Des contrôles de survie des organismes ont été réalisés au bout d’une heure puis d’un, deux, quatre, huit et seize jours et les organismes testés ont tous été laissés à l’air libre dans une pièce à température contrôlée à 14 °C.

La démonstration de l’efficacité de la méthode

L’application d’eau chaude seule a causé 100 % de mortalité de six des sept espèces testées à l’exception de la crassule de Helms (90 % de mortalité). La modalité “application d’eau chaude + séchage” a donné des résultats similaires, avec 100 % de mortalité pour les mêmes six espèces et 80 % pour la crassule de Helms. Le séchage seul s’est avéré nettement moins efficace puisque 19 % des individus qui y étaient soumis étaient encore en vie après 8 jours et 10 % après 16 jours. Enfin, la mortalité dans le groupe témoin a été relativement faible puisque 30 % des individus étaient en toujours en vie après 16 jours et que la seule espèce présentant une mortalité de 100 % était la crevette rouge sang.

La seconde expérience sur des individus adultes d’écrevisse signal (Pacifastacus leniusculus) a comporté des essais à différentes températures (de 30 à 60 °C) et sur des durées de cinq secondes, une et cinq minutes. Le test présentant les caractéristiques minimales provoquant une mortalité totale des individus a été une application d’eau chaude à 40 °C pendant cinq minutes.

Des conclusions

Selon les auteurs, cette application très efficace d’eau chaude à une température ne provoquant pas de brulure est un moyen simple, rapide et efficace pour nettoyer les équipements ‘”a simple, rapid and effective method to clean equipment“), aussi recommandent-ils qu’elle soit préconisée en matière de biosécurité dans les futures campagnes de sensibilisation.

Ils indiquent également que cette technique de nettoyage des équipements pourrait être utilisée par toutes les personnes utilisant des combinaisons ou des équipements en milieux aquatiques, pour des raisons professionnelles ou personnelles, et pas seulement les pêcheurs (“this method could be used by water sports participants with wetsuits or equipment that can easily be submerged, as well as ecologists, environmental scientists and field centre staff and volunteers who use nets, waders and other equipment to undertake freshwater fieldwork…“).

clean_dryClean Dry campaign (http://www.nonnativespecies.org/checkcleandry/index.cfm)

Ces travaux de recherche sont en lien avec la campagne de sensibilisation en matière de biosécurité sur les introductions et la dispersion d’espèces aquatiques invasives (“Clean Dry campaign“) lancée au Royaume-Uni en 2010 par le ministère de l’Environnement, de l’Alimentation et des Affaires rurales (“Department of Environment, Food and Rural Affairs, Defra“).

Elle présente des directives pour améliorer les pratiques dans ce domaine :

  • Vérifiez votre équipement et vêtements (“Check your equipment and clothing for live organisms particularly in areas that are damp or hard to inspect“),
  • Nettoyez et lavez complètement tous les équipements.Si vous trouvez des organismes, les laisser dans le milieu où vous les avez trouvés (“Clean and wash all equipment thoroughly. If you do come across any organisms, leave them at the water body where you found them“).
  • Séchez tous les équipements et vêtements,certaines espèces peuvent survivre pendant plusieurs jours en conditions humides. Assurez-vous quevous ne transférez pasl’eau ailleurs (“Dry all equipment and clothing, some species can survive for many days in damp conditions. Make sure you don’t transfer water elsewhere“).

Dans les pages du site consacrées à la biosécurité (http://www.nonnativespecies.org/index.cfm?pageid=174) se trouvent également des conseils pour les agents de terrain, des modules en ligne d’informations sur les espèces exotiques, leur identification et la biosécurité, et une vingtaine de divers documents téléchargeables, fiches, guides, etc., tous consacrés à la biosécurité des activités en lien avec les milieux aquatiques, dont des guides d’information sur les parasitoses des poissons et la chytridiomycose s’attaquant aux amphibiens.

Des espèces très résistantes

Si l’efficacité de la méthode testée lors de ces expérimentations ne semble pas contestable, il n’en reste pas moins que ces travaux de recherche montrent également la grande résistance des espèces testées puisque, malgré le séchage, 10 % des individus testés étaient encore vivants au bout des 16 jours et 30 % dans la modalité “contrôle”.

Parmi ces espèces, la crassule de Helms s’avère particulièrement résistante puisque les 60 fragments de cette espèce testés dans la modalité “contrôle” ont tous survécu aux 16 jours de l’expérimentation. Cette plante aux tiges et aux feuilles apparemment fragiles semble donc présenter des capacités de résistance beaucoup plus élevées que des plantes plus grandes et à l’apparence plus solide, comme par exemple le myriophylle du Brésil, ce qui devrait renforcer l’intérêt à lui porter pour la gérer dès sa découverte. Les nouvelles observations de cette espèce dans l’Ouest de la France et les résultats des quelques interventions de sa gestion déjà mis en œuvre, comme par exemple dans les Deux Sèvres (Gestion de la colonisation d’une mare par la Crassule de Helms (Deux-Sèvres) où en Brière après sa découverte en début de cet été, devront être largement diffusés pour améliorer les pratiques applicables à cette espèce.

Quelle biosécurité en métropole ?

Cette problématique de biosécurité et les enjeux, écologiques et économiques, auxquels elle tente de répondre, devraient nous amener à changer de mode de relation avec les milieux aquatiques, dès lors que nous les fréquentons régulièrement pour des raisons personnelles ou professionnelles. En effet, nous ne pouvons plus considérer que se déplacer dans ces milieux est sans risques ultérieurs pour l’environnement. De même, nous ne pouvons plus ignorer la responsabilité qui est la nôtre dans les possibilités de dispersion d’espèces invasives, de maladies ou de parasites lorsque nous nous passons sans précaution d’un milieu aquatique à un autre. Assumer cette responsabilité devrait nous amener à profondément réviser nos pratiques dans ce domaine et en complément du nettoyage des embarcations et remorques de transport, accepter de nouvelles contraintes comme ce nettoyage des équipements ayant de quitter le milieu aquatique.

A notre connaissance, aucune démarche de biosécurité aussi organisée que celle proposée en Grande Bretagne n’est actuellement mise en œuvre en métropole. Des informations sur ces risques de dispersion restent donc à largement diffuser de manière officielle auprès de tous les usagers de la nature et des milieux aquatiques, pour qu’une prise de conscience de ces risques, même lente, permette d’améliorer les pratiques dans ce domaine.

Alain Dutartre, février 2016.