Des poissons lapins (sic !) en Méditerranée

 In A surveiller de près, ENI

La construction de canaux de navigation mettant en contact des bassins initialement isolés a permis à de nombreuses espèces aquatiques d’étendre leurs aires de répartitions soit en empruntant certains moyens humains de transports  (biosalissures et eaux de ballast), soit par leurs propres moyens de déplacement. C’est ainsi que le percement du Canal de Suez a permis l’introduction dans la Méditerranée de plus de 300 espèces animales, dont 75 espèces de poisson, en provenance de la Mer rouge (Galil, 2009). Depuis quelques années, ce phénomène, appelé migration lessepsienne, explique l’arrivée de plusieurs espèces de poissons herbivores exotiques, communément appelés « Poissons lapins », en Méditerranée.

Lagocephalus sceleratus

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Lagocephalus sceleratus pêché en Grèce.

Plus connu sous le nom de Poisson coffre ou Poisson ballon à bande argentée, ce poisson osseux appartenant à la famille des Tetraodontidés très répandue dans les zones tropicales et équatoriales des océans Indiens et Pacifique a été pêché en 2014, à Gruissan, dans l’Aude. Son identification a été confirmée par l’Université de Nice cette même année. Il avait tout d’abord été repéré en 2003 dans les eaux côtières du Sud de la Turquie, de Crête en 2005, d’Israël et du Liban en 2006 (Kasapidis et al., 2006), de Tunisie et Algérie en 2011, de l’île de Lampedusa en 2013 et enfin de Sardaigne en 2015.

Siganus luridus

siganus_luridus_fb1r1_image600Lagocephalus sceleratus n’est pas le seul poisson lapin à avoir réussi une telle migration. En 2008, deux individus de Siganus luridus, de la famille des Siganidae, ou Poisson lapin à queue tronquée, ont été capturés par des pêcheurs à proximité de Marseille. Cette découverte constitue une extension considérable de l’aire de distribution de cette espèce en Méditerranée, où les populations les plus nord-occidentales étaient connues en Sicile (Daniel et al., 2009). La découverte en Méditerranée de Siganus luridus date de 1956 et l’origine des individus découverts récemment n’est pas clairement établie, bien qu’ils puissent être arrivés avec des eaux de ballast d’un bateau venant de Méditerranée orientale, de Mer rouge ou du sud-ouest de l’Océan indien. La possibilité d’une migration naturelle depuis une population lointaine, comme celle de Sicile, est également à envisager.

Quelles sont les conséquences de ces nouvelles arrivées ?

Ces deux espèces de poissons vivent en eaux peu profondes, généralement de 10 à 20 m de profondeur au maximum, et nagent très près du fond, là où les herbiers et les algues abondent. Les conséquences écologiques de l’arrivée de ces nouvelles espèces sont encore méconnues, mais des impacts négatifs ont déjà été démontrés sur les communautés benthiques. Vergés et al., 2014, ont réalisé un suivi de plus de 1 000 km de côtes méditerranéennes et ont identifié deux zones distinctes : une zone de régions chaudes, avec une densité importante de poissons lapins et une zone plus froide où ces herbivores étaient quasiment absents. Dans les régions chaudes, des réductions de 65 % de la « canopée d’algues » (canopy algae), de 60 % de biomasse benthique (invertébrés et algues) et de 40 % de la richesse totale ont été enregistrées, les espèces de Poisson-lapin introduites se nourrissant à la fois macroalgues et de la matrice algale (Epilithic algual matrice) (composée de microalgues, de sédiments et de microorganismes (Wilson et al., 2003).

Autre problématique non négligeable, la dangerosité de ces poissons. En effet, la chair du Poisson ballon à bande argentée est toxique car certaines parties de ce poisson contiennent de la tétrodotoxine qui provoque une paralysie respiratoire et cause des problèmes de circulation sanguine. L’intoxication peut donc être secondaire à la consommation de la chair et des viscères (foie, ovaires …) (Ministère de la santé de Tunisie, sans date). Par ailleurs, cette espèce, tout comme Siganus luridus et une autre espèce proche, Siganus rivulatus, en cours d’expansion en Méditerranée, possède un appareil venimeux avec certains rayons des nageoires dorsales reliés à des glandes à venin. Leur manipulation est donc risquée. Les piqûres sont douloureuses mais les symptômes restent moins intenses que lors des envenimations par vives ou rascasses.

Vers une amélioration des mesures de biosécurité

La Convention internationale pour le contrôle et la gestion des eaux de ballast et sédiments des navires (Convention BWM), entrera en vigueur en septembre 2017. Elle établit des règles mondiales pour contrôler le transfert d’espèces potentiellement envahissantes. Les eaux de ballast devront être ainsi traitées avant d’être rejetées dans un nouvel emplacement, afin d’éliminer les micro-organismes ou les petites espèces marines (voir la lettre d’information du GT IBMA numéro 13). Ces mesures suffiront-elles à limiter le nombre de nouvelles introductions en mer Méditerranée ?

En savoir plus

Daniel, B., Piro, S., Charbonnel, E., Francour, P., Letourneur, Y., 2009. Lessepsian rabbitfish Siganus luridus reached the French Mediterranean coasts. Cybium 33, 163–164.

Galil, B.S., 2008. Taking stock: inventory of alien species in the Mediterranean sea. Biol Invasions 11, 359–372. doi:10.1007/s10530-008-9253-y

Kasapidis, P., 2007. First record of the Lessepsian migrant Lagocephalus sceleratus (Gmelin 1789) (Osteichthyes: Tetraodontidae) in the Cretan Sea (Aegean, Greece). Aquatic Invasions 2, 71–73. doi:10.3391/ai.2007.2.1.9

Vergés, A., Tomas, F., Cebrian, E., Ballesteros, E., Kizilkaya, Z., Dendrinos, P., Karamanlidis, A.A., Spiegel, D., Sala, E., 2014. Tropical rabbitfish and the deforestation of a warming temperate sea. J Ecol 102, 1518–1527. doi:10.1111/1365-2745.12324

Wilson, S.K., Bellwood, D.R., Choat, J.H., Furnas, M.J., 2003. Detritus in the epilithic algal matrix and its use by coral reef fishes. Oceanography and marine biology 41, 279–310.

 

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