Détection de Lophocladia lallemandii dans le Parc national de Port-Cros (Var)

 In A surveiller de près, ENI

Lophocladia lallemandii, une algue rouge filamenteuse originaire de la mer Rouge et de l’océan Indien a été détectée pour la première fois dans les eaux du Parc national de Port-Cros (département du Var) par des chercheurs de l’Institut méditerranéen d’Océanologie.

Relayée par un communiqué du Parc national de Port-Cros, le mercredi 12 janvier, cette information a très vite fait le tour des médias locaux. Au cours d’une plongée scientifique effectuée par les agents du Parc et des scientifiques de l’Institut méditerranéen d’Océanologie (MIO), « les spécialistes ont eu la surprise de découvrir plusieurs tapis de Lophocladia lallemandii, entre 3 et 8 m de profondeur » (Parc national de Port-Cros, 2022).

 

Lophocladis lallemandii (cc) University of Michigan herbarium

Présentation de l’espèce

Lophocladia lallemandii (Mont.) F. Schmitz, 1893 est une algue rouge (Rodophyta) filamenteuse fortement ramifiée, qui peut mesurer jusqu’à 15 cm de hauteur.

L’espèce forme généralement d’importante touffes roses semblables à des tapis de filaments imbriqués entre eux. Elle peut être confondue avec d’autres espèces d’algues rouges filamenteuses et nécessite un examen au microscope pour observer ses principaux critères d’identification, tels que ses filaments de 0,5 cm de diamètre, composés d’une cellule centrale qui est entourée de quatre cellules péricentrales avec une enveloppe extérieure peu importante (Otero et al., 2013).

Origine et introduction en Méditerranée

Lophocladia Lallemandi dans les eaux du Parc national de Port-Cros © Claude Lefebvre

Découverte le 15 décembre 2021 dans le Parc national de Port-Cros, cette algue rouge est présente en France métropolitaine depuis 2011, mais les observations se limitaient jusque-là au sud de la Corse (OpenObs, consultation janvier 2022).

Originaire des eaux relativement chaudes de la mer Rouge et de l’océan Indien, l’espèce a probablement été introduite en Méditerranée par le canal de Suez (Verlaque, 1994 ; Ballesteros et al., 2007).

La hausse des températures survenues lors des dernières décennies aurait contribué à sa récente migration vers le nord-ouest de la Méditerranée. L’espèce est maintenant présente dans une grande partie de la Méditerranée, à l’exception des eaux marocaines (Benhissoune et al., 2003, Otero et al., 2013).

Habitats et écologie de l’espèce

Dans le Parc de Port-Cros, l’espèce a été observée sur des fonds rocheux. Lophocladia lallemandii se retrouve sur tous les types de substrat durs et s’installe aussi bien sur des substrats rocheux nu, que sur d’autres macroalgues de fonds rocheux. Cette épiphyte facultative peut notamment se fixer sur les Posedonia oceanica et les communautés coralligènes (Otero et al., 2013). L’espèce est présente à des profondeurs pouvant aller jusqu’à 45 m (Patzner, 1998). Samperio-Ramos et al. (2015) ont observé une augmentation de la croissance et du rendement photosynthétique de L. lallemandii avec un réchauffement de l’eau jusqu’à 29 °C, congruent avec l’origine tropicale de l’espèce.

Reproduction et multiplication

L’espèce L. lallemandii est capable de se reproduire à la fois de manière sexuée et asexuée. La reproduction sexuée se produit lorsque le développement de l’algue est à son maximum (soit d’avril à octobre), et avant le déclin de ses populations qui survient au cours de l’hiver (Cebrian & Ballesteros, 2010). Cette croissance et ce schéma phénologique pourraient être liées à l’origine tropicale de L. lallemandii (Boudouresque & Verlaque, 2002), avec probablement une inhibition de la croissance par les basses températures et son renforcement par des températures élevées. L’intervariabilité annuelle a été observée à la fois en eaux peu profondes et profondes, de 10 à 30 m de profondeur (Cebrian & Ballesteros, 2010).

En raison du réchauffement des eaux méditerranéennes, une augmentation de la durée de croissance saisonnière de L. lallemandii est redoutée par les biologistes, avec par conséquent une extension de son aire de répartition (Samperio-Ramos et al., 2015).

L’activité de reproduction végétative est possible tout au long de l’année. Elle peut se faire par dissémination de spores mais aussi par bouturage, lors de la fragmentation des filaments de l’algue. En se détachant, les filaments vont produire de petits crampons en forme de disque qui leur permet de se fixer sur divers substrats flottants. Cebrian et Ballesteros (2007) ont signalé une propagation de L. lallemandii jusqu’à 450 ha en une seule année, suggérant que les spores pourraient jouer un rôle important dans la propagation de l’algue.

 

Quels impacts ?

Des effets négatifs de l’invasion de L. lallemandii ont été décrits pour les herbiers de posidonie, Posidonia oceanica (Ballesteros et al., 2007 ; Sureda et al., 2008) et la faune associée à cet habitat (Box et al., 2009 et 2010 ; Deutero et al., 2010).

Dans les aires marines protégées, la propagation des macroalgues envahissantes telles que L. allemandii peut entraîner un déclin de la diversité des communautés marines et réduire l’attrait d’un paysage marin pour les amateurs de plongée sous-marine (Otero et al., 2013).

Une menace pour les herbiers de posidonie

Au sein des herbiers de P. oceanica, la formation des tapis de L. lallemandii provoque une baisse de la zostère, allant jusqu’à entrainer la mort des herbiers (Ballesteros et al., 2007 ; Sureda et al., 2008). Les Herbiers à Posidonie sont considérés comme l’écosystème le plus important de la Méditerranée (Gaudillat et al., 2019) et P. oceanica est protégée en France, notamment pour ses capacités à purifier l’eau et à produire de l’oxygène, en plus de participer au maintien des rivages. Les posidonies forment également d’importants lieux de nurserie et de frayères pour la faune méditerranéenne.

… et de la faune indigène associée

Grande nacre (Pinna nobilis) dans un herbier de posidonies (Posidonia oceanica) © Antonin Guilbert / Office français de la biodiversité

Inféodée aux herbiers de posidonie, la Grande nacre Pinna nobilis s’avère également impactée par la présence de L. lallemandii qui induit un stress biologique et des dommages oxydatifs chez le bivalve (Box et al., 2009). L’augmentation de L. lallemandii représenterait ainsi une menace pour les populations de Grande nacre, dont les populations ont beaucoup diminué ces dernières années à cause d’un parasite mortel, Haplosporidium pinnae.

Il a également été démontré que L. lallemandii a un impact négatif sur les colonies indigènes de Dentelles de Neptune, Reteporella grimaldii, dans les herbiers peu profonds de P. oceanica (Deudero et al. 2010).

De même, des chercheurs ont pu mettre en avant la situation de stress provoquée par la présence de L. lallemandii sur une autre macro-algue, cette fois-ci exotique : Caulerpa taxifolia (Box et al., 2008). Néanmoins, aucune étude n’a encore pu déterminer si à terme, cette relation pourrait entrainer une diminution de l’abondance de C. taxifolia et une progression de l’invasion de L. lallemandii.

Perspectives

En Italie, sur l’île d’Ischia, il est indiqué que L. lallemandii pourrait représenter une source de nourriture et un refuge pour la communauté de la zone infralittorale supérieure (Tiberti et al., 2021). L’article y reporte notamment la présence d’autres espèces de macroalgues coexistant avec L. lallemandii, ainsi que plusieurs macro et méga-invertébrés vivants parmi les filaments de l’algue, et plusieurs espèces de poissons se cachant ou nageant dans ses tapis.  De fortes abondances d’amphipodes associés à L. lallemandi ont également été documentées par Rodriguez et al. (2009) aux Baléares.

En France, le Parc national de Port-Cros indique que des études devront être menées  « afin de mieux cerner l’ampleur de son implantation et d’appréhender les conséquences de l’arrivée de cette espèce sur le territoire ». Un projet de thèse a été déposé à la Région concernant Lophocladia lallemandii et une autre algue envahissante (Rugulopteryx okamurae), associant le Parc national de Port-Cros et celui des Calanques.

 

Mise en place de mesure(s) de contrôle

La grande capacité de colonisation de l’espèce empêche toute forme d’éradication manuelle (Cebrian et Ballesteros, 2010). Il s’agit alors d’agir dès le début du processus d’invasion pour contenir l’espèce avant sa propagation, qui entrainerait des coûts de contrôle important pour la conservation des herbiers de posidonie.

Concernant les capacités de contrôle par les herbivores, l’algue produit des molécules toxiques (des alcaloïdes aux propriétés cytotoxiques nommées lophocladines) qui la protègent de la prédation (Gross et al., 2006).

En Espagne, des chercheurs ont néanmoins observé une prédation de l’algue par les crabes Pontonia pinnophylax et Nepinnotheres pinnotheres, mais sans que cette consommation ne suffise à limiter sa propagation (Cabanellas-Reboredo et al., 2010). Lors d’expérimentations menées avec des oursins, ces derniers ne montraient que peu d’appétence envers L. lallemandii et préféraient consommer les autres algues à leurs disposition (Tomas et al., 2011 ; Cebrian & Ballesteros, 2011).

 

Signaler une observation ?

Les observations de cette espèce peuvent être signalées sur les programmes participatifs BIOLIT (action : nouveaux arrivants : https://www.biolit.fr/les-nouveaux-arrivants) et INPN Espèce (application mobile : https://inpn.mnhn.fr/informations/inpn-especes), en transmettant une photo accompagnée du lieu, de la date et de la profondeur de l’observation.

 

Rédaction : Madeleine Freudenreich, Comité français de l’UICN

Contributions et relecture : Cécile Massé (Service Patrimoine Naturel), Coraline Jabouin (OFB), Claude Lefebvre et Alain Barcelo (Parc national de Port-Cros)

 

Pour en savoir plus :

Lire le communiqué du Parc national de Port Cros :

http://www.portcros-parcnational.fr/fr/actualites/une-algue-rouge-invasive-detectee-au-large-de-lile-de-port-cros

Références de l’article :

  • Ballesteros, E., Cebrian, E., & Alcoverro, T. (2007). Mortality of shoots of Posidonia oceanica following meadow invasion by the red alga Lophocladia lallemandii. Botanica Marina, 50(1), 8-13.
  • Benhissoune, S., C.F. Boudouresque, M. Perret-Boudouresque and M. Verlaque. (2003). A checklist of the seaweeds of the Mediterranean and Atlantic coasts of Morocco. IV Rhodophyceae – Ceramiales. Botanica marina 46: 55–68.
  • Boudouresque, C.F., Verlaque, M. (2002). Biological pollution in the Mediterranean Sea: invasive versus introduced macrophytes. Mar. Pollut. Bull. 44, 32–38.
  • Box, A., Sureda, A., & Deudero, S. (2009). Antioxidant response of the bivalve Pinna nobilis colonised by invasive red macroalgae Lophocladia lallemandii. Comparative Biochemistry and Physiology Part C: Toxicology & Pharmacology, 149(4), 456-460.
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  • Cabanellas-Reboredo, M., Blanco, A., Deudero, S., & Tejada, S. (2010). Effects of the invasive macroalga Lophocladia lallemandii on the diet and trophism of Pinna nobilis (Mollusca: Bivalvia) and its guests Pontonia pinnophylax and Nepinnotheres pinnotheres (Crustacea: Decapoda). Scientia marina, 74(1), 101-110.
  • Cebrian, E. & Ballesteros, E. (2007). Invasion of the alien species Lophocladia lallemandii in Eivissa-Formentera (Balearic Islands). In: Pergent Martini, C., El Asmi, S. (Eds.), Proceed. 3rd Med. Symp. Mar. Vegetation, Marseilles, France. C. Le Ravallec Ed., RAC/SPA Publ., Tunis, pp. 34–41.
  • Cebrian, E., & Ballesteros, E. (2010). Invasion of Mediterranean benthic assemblages by red alga Lophocladia lallemandii (Montagne) F. Schmitz: depth-related temporal variability in biomass and phenology. Aquatic botany, 92(2), 81-85.
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  • Tomas, F., Box, A., & Terrados, J. (2011). Effects of invasive seaweeds on feeding preference and performance of a keystone Mediterranean herbivore. Biological Invasions, 13(7), 1559-1570.
  • Verlaque, M. (1994). Inventaire des plantes introduites en Méditerranée : origines et répercussions sur l’environnement et les activités humaines. Oceanol. Acta 17: 1–23.
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