La diffusion des espèces exotiques envahissantes

Les introductions d’espèces ne sont pas un phénomène récent. Depuis les cinq derniers siècles, à cause de la levée des barrières géographiques liée aux progrès des transports, un grand nombre d’espèces végétales et animales a été introduit par l’homme, volontairement ou accidentellement, dans tous les écosystèmes du monde. Mais avec la mondialisation de l’économie, le développement des moyens de transports et des flux de marchandises, les déplacements et les introductions d’espèces se sont considérablement accélérés. Aujourd’hui, du nord au sud, tous les pays sont concernés par le phénomène des invasions biologiques.

Enjeux mondiaux

L’introduction d’une espèce peut être réalisée via un grand nombre de vecteurs. Les introductions d’espèces ont été pour la plupart volontaires (horticulture, foresterie, chasse, pêche) et continuent parfois de l’être (nouveaux animaux de compagnie). Mais de plus en plus, elles sont accidentelles, par exemple par le fret maritime et aérien, les eaux de ballast, les semences contaminées, les importations de matériaux de construction, etc.

Principales voies d’introduction d’espèces (Sarat et al., 2015)

Introductions volontaires Introductions involontaires
Introductions directes dans l’environnement Introductions après culture ou captivité
Agriculture
Foresterie
Horticulture
Élevage
Lâcher de poissons
Lâcher de mammifères
Chasse
Contrôle biologique
Amélioration des sols
Développement agricole
Évasions de jardins botaniques
Jardins privés
Jardineries
Zoos
Élevages d’animaux
Apiculture
Aquaculture
Aquariums
Nouveaux animaux de compagnie
Unités de recherche
Fret maritime et aérien
Eaux de ballast
Coques des navires
Véhicules personnels
Engins de transport et de construction
Denrées agricoles
Semences
Matériaux de construction (terre, gravier, sable…)
Bois
Matériaux d’emballage
Déchets
Lithobates catesbeianus – Matthieu Berronneau
La Grenouille taureau (Lithobates catesbeianus) est porteuse saine du pathogène Batrachochytridium dendrobatidis, reconnu comme une cause majeure d'extinction des amphibiens autochtones. © M. Berroneau

Des conséquences négatives importantes

La plupart des espèces exotiques ne deviennent pas envahissantes et ne provoquent pas de problèmes dans leur nouveau milieu. Certaines sont même utiles et de nombreuses activités économiques comme l’agriculture ou la foresterie en dépendent. Cependant, un certain nombre d’entre-elles deviennent envahissantes et sont la cause d’impacts majeurs à plusieurs niveaux : écologique, économique et sanitaire.

Au niveau écologique :
D’après l’évaluation des écosystèmes du millénaire (World Health Organization, 2005), les espèces exotiques envahissantes sont reconnues comme l’une des principales causes d’érosion de la biodiversité mondiale.

D’après une analyse de la Liste rouge mondiale de l’UICN (v.2016.3), les EEE sont reconnues comme un facteur d’extinction (facteur direct ou co-facteur) pour 56,7 % des cas d’extinction connus et 16 % des extinctions d’espèces sont attribués uniquement à la présence d’EEE. La présence d’EEE est considérée comme une menace pour 10,2% des espèces de la Liste rouge mondiale, et affectent 25,5 % des espèces évaluées comme menacées (CR, EN et VU). (Smith, 2020)

En Europe, 19 % des espèces menacées sont spécifiquement affectées par les EEE, qui constituent ainsi la troisième pression pesant sur ces espèces au niveau européen. Parmi les animaux menacés, les taxons les plus affectés par les EEE sont les poissons (29 %), les mollusques (19%) et les arthropodes (5%). (Genovesi et al., 2015)

Les impacts de ces espèces sont particulièrement importants dans les îles où elles sont considérées comme la principale cause d’extinction d’espèces et de transformation des écosystèmes.

Les impacts écologiques sont diversifiés, parfois subtils et difficiles à quantifier, et souvent irréversibles. Les espèces exotiques envahissantes peuvent agir :

– au niveau des processus écologiques, en altérant le fonctionnement des écosystèmes et les relations entre les organismes vivants et leur milieu ;

– au niveau de la composition des écosystèmes, en causant la régression ou l’extinction d’espèces indigènes ou endémiques, par compétition, prédation, introduction de nouveaux pathogènes ou, plus rarement, par hybridation.

Au niveau économique :
Les espèces exotiques envahissantes peuvent affecter les activités économiques. De nombreux insectes ravageurs introduits, des rongeurs, ou des maladies sont connus pour réduire le rendement des récoltes voire même les détruire. L’envahissement des prairies par des mauvaises herbes peut porter préjudice aux activités pastorales. Le déversement des eaux de ballasts des bateaux déplace à travers le monde un grand nombre d’organismes aquatiques néfastes, y compris des maladies, des bactéries et des virus.

Aux coûts directs, il faut ajouter ceux liés à la lutte et ceux, plus difficilement estimables, affectant les services rendus par les écosystèmes. Les activités touristiques par exemple peuvent pâtir considérablement des espèces exotiques envahissantes.

Une étude réalisée par les équipes projet InvaCost a estimé que les dépenses mondiales occasionnées par les EEE auraient atteint au moins 1 288 milliards de dollars US (soit près de 1070 milliard d’euros) entre 1970 et 2017 (Diagne et al., 2021), avec une dernière estimation à 1 600 milliards d’euros sur cette même période (UICN Comité français, CNRS, MNHN, Université Paris-Saclay, 2021). Les tendances observées indiquent également que ces coûts sont en augmentation constante, avec un doublement tous les six ans en moyenne.

En France, les coûts engendrés par les invasions biologiques sont encore peu documentés et difficilement accessibles lorsqu’ils existent, ce qui se traduit par une sous-estimation importante de cet indicateur.  Sur la base des données les plus fiables portant sur 98 espèces (27 vertébrés, 14 invertébrés et 55 plantes), le coût économique des EEE en France se situe entre 1,2 et 10,6 milliards d’euros sur la période 1993-2018, soit un coût moyen annuel compris entre 48 et 420 millions d’euros (UICN Comité français, CNRS, MNHN, Université Paris-Saclay, 2021).

Au niveau sanitaire :
Les espèces exotiques envahissantes peuvent également constituer un problème de santé publique lorsqu’elles causent des allergies ou qu’il s’agit d’agents infectieux. D’autres espèces introduites, notamment parmi les insectes, peuvent être vectrices d’agents pathogènes menaçant la santé des populations humaines ou animales.

Une indispensable action internationale

Le recours à la coopération internationale, régionale et transfrontalière pour développer des approches communes de prévention et de gestion des espèces exotiques envahissantes fait aujourd’hui l’objet d’un consensus général.

La Convention sur la diversité biologique demande clairement aux parties contractantes de maîtriser les introductions d’espèces qui menacent des écosystèmes, des habitats ou des espèces indigènes, mais également de les contrôler ou de les éradiquer (art. 8h). L’élaboration de stratégies et de plans d’action, avec comme principes directeurs la prévention des introductions, l’éradication et le contrôle sur le long terme (si l’éradication est impossible) est une priorité.

Les Parties à la Convention sur la diversité biologique ont adopté en 2010 à Nagoya, au Japon, le Plan stratégique 2011-2020 pour la biodiversité. Ce plan comprend 20 objectifs ambitieux, nommés “Objectifs d’Aichi”.

L’objectif 9 prévoit notamment que d’ici à 2020, les espèces exotiques envahissantes et les voies d’introduction sont identifiées et hiérarchisées, les espèces prioritaires sont contrôlées ou éradiquées et des mesures sont mises en place pour gérer les voies de diffusion, afin d’empêcher l’introduction et l’établissement de ces espèces.

A l’échelle européenne, une première stratégie contre les espèces exotiques envahissantes a été adoptée en 2004 dans le cadre de la Convention de Berne. La Commission européenne a publié en 2008 une communication intitulée “vers une stratégie de l’Union européenne relative aux espèces envahissantes”. Pour répondre aux engagements pris à Nagoya, la Commission européenne a publié en 2011 sa stratégie à l’horizon 2020 pour enrayer la perte de biodiversité sur son territoire et dans laquelle est repris l’objectif 9 des “Objectifs d’Aichi” sur la maîtrise des espèces exotiques envahissantes.

Depuis le 1er janvier 2015, l’Union européenne est dotée d’un règlement relatif à la prévention et à la gestion de l’introduction et de la propagation des espèces exotiques envahissantes. Ce règlement vise à instituer un cadre d’action destiné à prévenir, à réduire au minimum et atténuer les incidences négatives des espèces exotiques envahissantes sur la biodiversité et les services écosystémiques, ainsi que les dommages socio-économiques.

En savoir plus

Références citées :

  • DIAGNE, C., LEROY, B., VAISSIERE, A. C., GOZLAN, R. E., ROIZ, D., JARIC, I., … & COURCHAMP, F. 2021. High and rising economic costs of biological invasions worldwide. Nature, 592(7855), 571-576.
  • GENOVESI, P., CARNEVALI, L., & SCALERA, R. 2015. The impact of invasive alien species on native threatened species in Europe. ISPRA M ISSG, Rome. Technical report for the European Commission. Pp. 18.
  • SARAT, E., MAZAUBERT, E., DUTARTRE, A., POULET, N., SOUBEYRAN, Y. 2015. Les espèces exotiques envahissantes. Connaissances pratiques et expériences de gestion. Volume1 – Connaissances pratiques. Onema. Collection Comprendre pour agir. 252 pages.
  • SMITH, K. 2020. The IUCN Red List and invasive alien species: an analysis of impacts on threatened species and extinctions. IUCN.
  • UICN COMITE FRANÇAIS, CNRS, MNHN, UNIVERSITE PARIS-SACLAY, UNIVERSITE RENNES 1. 2021. Les coûts économiques des espèces exotiques envahissantes. Un fardeau pour la société. Note synthétique. 4 p. Septembre 2021.
  • WORLD HEALTH ORGANIZATION. 2005. Millennium ecosystem assessment.
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