Évaluation des risques de pertes mondiales de diversités fonctionnelle et phylogénétique des communautés d’oiseaux et des mammifères sous l’influence des invasions biologiques

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Reconnues comme l’une des principales causes d’érosion de la biodiversité, les invasions biologiques figurent parmi les cinq facteurs directs de changements affectant la nature (IPBES, 2019). Certaines introductions menacent les espèces indigènes des écosystèmes colonisés et peuvent aller jusqu’à entrainer leur extinction. Dans une étude basée sur les résultats de la Liste rouge de l’UICN, les invasions biologiques sont même évaluées comme la deuxième cause d’extinctions d’espèces animales, après la surexploitation des ressources (Bellard, Cassey, & Blackburn, 2016). Sans toujours mener à des extinctions, des EEE sont déjà bien connues comme responsables de nombreux déclins de populations et de diminution des aires de répartition d’espèces indigènes en raison de la multiplicité et de l’intensité de leurs mécanismes d’exploitation (herbivorie, prédation, parasitisme) des communautés d’accueil et de leurs capacités de compétition élevées. De nombreuses espèces sont ainsi considérées à fort risque d’extinction en raison de la présence d’EEE.

Chaque espèce a un rôle bien défini au sein des écosystèmes, la disparition d’une espèce peut ainsi entraîner des répercussions fonctionnelles extrêmement variables selon les cas et même la disparition de certaines lignées évolutives.

De précédents travaux de recherche se sont portés sur les caractéristiques des espèces menacées par les pertes d’habitat ou le changement climatique, mais peu d’auteurs ont étudié les profils des espèces menacées par les EEE (Cooke, Eigenbrod, & Bates, 2019; Faurby et al., 2018). Il semblait donc important d’étudier les conséquences potentielles des invasions biologiques sur la diversité fonctionnelle et phylogénétique, qui restent aujourd’hui encore peu étudiées.

Face à ce constat, une équipe de chercheuses du CNRS et de l’Université Paris-Saclay ont donc mené des travaux pour évaluer à l’échelle mondiale les conséquences de l’extinction des espèces aujourd’hui menacées par les invasions biologiques sur la diversité fonctionnelle et la diversité phylogénétique des oiseaux et des mammifères.

Définitions :

  • La diversité phylogénétique intègre l’histoire évolutive (traits de vie) d’une communauté d’espèces. Elle présuppose que l’extinction d’une espèce ayant une longue histoire évolutive et peu d’espèces proches parentes serait, en termes de biodiversité, une perte davantage préjudiciable que celle d’une espèce ou sous-espèce récemment apparue.
  • La diversité fonctionnelle est la variabilité des valeurs de traits écologiques des espèces liées à leur régime alimentaire, leur habitat ou encore leur mode de vie. La perte d’un groupe fonctionnel va modifier la réalisation des fonctions et des services écologiques de l’écosystème concerné.

Ces deux notions sont ainsi étroitement reliées à la résilience des écosystèmes face aux changements environnementaux.

(Wikipédia : Les différents types de diversité biologique)

Méthode :

Pour réaliser cette analyse d’identification des risques d’extinctions et des menaces associées, les données de la liste rouge de l’UICN ont été utilisées en attribuant des probabilités d’extinction aux 207 espèces de mammifères (sur un total de 5708) et à 499 espèces d’oiseaux (sur un total de 10 965) actuellement considérées comme présentant un risque d’extinction élevé en raison des invasions biologiques.

Les diversités fonctionnelle et phylogénétique de ces groupes d’espèces amenés à disparaître ont également été analysées. La diversité fonctionnelle a été caractérisée selon cinq traits d’histoire de vie des espèces liées à leur habitat, leur régime alimentaire ou encore leur masse corporelle.

Les détails des méthodes sont présentés dans l’article orignal : Bellard, C., Bernery, C., & Leclerc, C. (2021). Looming extinctions due to invasive species: Irreversible loss of ecological strategy and evolutionary history. Global Change Biology. https://doi.org/10.1111/gcb.15771

 

Figure 1 – Pourcentage de diversité phylogénétique (PD) et fonctionnelle (TrD) menacé par les invasions biologiques pour les oiseaux et les mammifères selon les mécanismes d’invasions impliqués, figure issue de Bellard et al., (2021)

Principaux résultats :

Ces premières analyses permettant d’évaluer à grande échelle les conséquences fonctionnelles et phylogénétiques d’extinctions d’espèces causées par les EEE ont pu mettre en évidence que près de 27 % de la diversité fonctionnelle des oiseaux et près de 6 % de celle des mammifères étaient liées à des espèces menacées d’extinctions par les invasions biologiques d’ici à 50 ans (Figure 1). Cela ne signifie pas que 27 % de la diversité fonctionnelle des oiseaux va nécessairement disparaître, car des redondances fonctionnelles existent, c’est-à-dire que plusieurs espèces peuvent remplir des fonctions similaires. Toutefois, les invasions biologiques menacent une partie importante de cette diversité, très probablement en combinaison avec d’autres menaces. Ces résultats permettent de mettre en lumière l’importance de la menace que posent les invasions biologiques vis-à-vis de ces deux communautés de vertébrés. En ce qui concerne la diversité phylogénétique, les scénarios d’extinctions montrent que près de 6 % de cette diversité est menacée de disparition d’ici 50 ans (Figure 1).

Ces résultats montrent également que les pertes potentielles de diversité phylogénétiques et fonctionnelles induites par les EEE (en rouge dans la figure) sont plus faibles que celles qui seraient calculées à partir d’une sélection aléatoire des espèces amenées à disparaître (en termes de profil écologique et phylogénétique) dans un scénario d’extinctions au hasard (en bleu dans la figure). Autrement dit, les invasions biologiques concernent spécifiquement certains profils qui sont plus similaires entre eux que si on sélectionnait des espèces au hasard, ce qui conduit à une perte moindre de diversité.

Les résultats ont aussi montré que les mécanismes à l’origine de ces impacts différaient entre les deux groupes taxonomiques (Figure 2). Chez les espèces de mammifères menacés, la mortalité directe par prédation est prépondérante, tandis que les impacts sur les écosystèmes ont un rôle bien plus important chez les oiseaux (Figure 2).

Figure 2 – Pourcentage de diversité phylogénétique (PD) et fonctionnelle (TrD) menacé par les invasions biologiques pour les oiseaux et les mammifères selon les mécanismes d’invasions impliqués, figure issue de Bellard et al., (2021)

En analysant les profils écologiques et phylogénétiques des espèces menacées d’extinction, pour les mammifères, il a été possible d’établir que les espèces spécialistes d’un ou de deux habitats, qui se nourrissent au niveau du sol avec un régime herbivore, sont les premières espèces susceptibles de disparaître en raison des invasions biologiques. D’autre part, les oiseaux de grandes tailles avec un régime alimentaire composé plutôt de matière animale, se nourrissant à la surface des eaux sont les plus vulnérables aux invasions biologiques.

Les travaux menés montrent que les pertes d’espèces ne se font pas au hasard mais sont plus regroupées qu’attendus que dans un scénario où les extinctions d’espèces seraient sélectionnées au hasard. Ainsi, certains profils d’espèces sont plus menacés que prévu. Par exemple, les familles de mammifères et d’oiseaux comportant uniquement une ou deux espèces sont particulièrement menacés par les invasions biologiques, telles que les Solenodontidae (mammifères insectivores nocturnes endémiques des Antilles) ou encore les Balaenicipitidae (représenté par une seule espèce : le Bec-en-sabot du Nil, Balaeniceps rex).

Solenodon paradoxus est l’un des deux derniers représentants de la famille des Solenodontidae © Jose Nunez-Mino, Durrell

Balaeniceps rex est le seul représentant de la famille des Balaenicipitidae © Michael Gwyther-Jones

Quelques éléments de conclusion :

Actuellement, en raison de la destruction et de la fragmentation des habitats mais aussi plus largement des changements globaux, des espèces dites spécialistes disparaissent au profit d’espèces généralistes. Se référant aux impacts des invasions biologiques, les résultats de cette analyse confirment donc cette tendance. De même, il a déjà été établi que les oiseaux étaient le groupe le plus vulnérable aux invasions biologiques, avec un grand nombre d’espèces à risque d’extinction, mais ces travaux ont permis pour la première fois une quantification des risques de pertes pour la diversité « écologique » et phylogénétique. Au vu des fonctions diverses que peuvent occuper les oiseaux dans les écosystèmes (par exemple pollinisation et dispersion des graines, place dans les réseaux trophiques), ces pertes pourraient entraîner des répercussions importantes dans un futur proche. En effet, certaines familles d’oiseaux pourraient complètement disparaître en raison des invasions biologiques, soit l’extinction d’une lignée évolutive complète. C’est notamment le cas des représentants de la famille des Solenodontidae qui sont particulièrement menacés.

Cette évaluation prospective de pertes de biodiversité engendrées par les invasions biologiques sur ces deux importantes communautés de vertébrés est une contribution utile aux analyses et réflexions indispensables pour améliorer les démarches de gestion portant conjointement sur la protection de la biodiversité et la régulation des EEE qui sont toujours en voie de développement à toutes les échelles d’organisation.

 

Rédaction : Céline Bellard et Camille Bernery (Université Paris Saclay, Ecologie Systématique et Evolution) et Camille Leclerc (INRAE, Université d’Aix Marseille, UMR RECOVER)

Relecture : Madeleine Freudenreich (Comité français de l’UICN) et Alain Dutartre (expert indépendant)

 

Pour en savoir plus :

L’étude est disponible en libre accès : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03312166v1

Références :

  • Bellard, C., Bernery, C., & Leclerc, C. (2021). Looming extinctions due to invasive species: Irreversible loss of ecological strategy and evolutionary history. Global Change Biology. https://doi.org/10.1111/gcb.15771
  • Bellard, C., Cassey, P., & Blackburn, T. M. (2016). Alien species as a driver of recent extinctions. Biology Letters, 12(2), 20150623. https://doi.org/10.1098/rsbl.2015.0623
  • Cooke, R. S. C., Eigenbrod, F., & Bates, A. E. (2019). Projected losses of global mammal and bird ecological strategies. Nature Communications, 10(1), 2279. https://doi.org/10.1038/s41467-019-10284-z
  • Faurby, S., Davis, M., Pedersen, R. Ø., Schowanek, S. D., Antonelli1, A., & Svenning, J.-C. (2018). PHYLACINE 1.2: The Phylogenetic Atlas of Mammal Macroecology. Ecology, 99(11), 2626. https://doi.org/10.1002/ecy.2443
  • IPBES. (2019). Global assessment report on biodiversity and ecosystem services of the Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services. E. S. Brondizio, J. Settele, S. Díaz, and H. T. Ngo (editors). IPBES secretariat, Bonn, Germany. 1148 pages. https://doi.org/10.5281/zenodo.3831673
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