La difficile bataille contre les plantes exotiques envahissantes en Afrique du Sud

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“The uphill battle against invasive alien plants” : ainsi s’intitule la lettre d’information N°41 de juillet 2016 de l’Atlas des plantes invasives d’Afrique du Sud. Cette “difficile bataille” est résumée dans un bilan 2001 – 2016 des invasions biologiques sur ce territoire. Ce bilan rassemble quelques statistiques alarmantes et quelques bonnes nouvelles (« some alarming statistics, and also some good news »). Ces bonnes nouvelles présentent un très grand intérêt car elles portent sur les succès incontestables de certains programmes de contrôle biologique lancés par cet état depuis de nombreuses années.

Durant la période de référence de ce bilan, certaines espèces invasives ont plus que doublé leur répartition et nécessitent des interventions urgentes. Environ 180 nouveaux taxons détectés sont potentiellement de futurs envahisseurs.

En revanche, la lutte biologique a montré quelques succès remarquables sur certaines espèces parmi les plus importantes, avec très peu d’expansion et même des réductions de répartition. Certains programmes ont même été si efficaces qu’aucune autre intervention n’est dorénavant nécessaire pour réduire les populations concernées à des niveaux acceptables.

Un bilan national actualisé

Plus de 1 200 taxons de plantes exotiques sont naturalisés en Afrique du Sud :

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Figure 1 : nombres de taxons de plantes invasives.

  • 780 sont documentés dans l’Atlas des plantes invasives d’Afrique du Sud (SAPIA),
  • 379 sont répertoriés comme envahissants dans la liste du “National Environmental Management Biodiversity Act (NEMBA) et doivent être contrôlés selon la règlementation en vigueur,
  • environ 120 font l’objet de programmes de gestion des ressources naturelles (NRMP) du Département des Affaires Environnementales mais 98 % des efforts sont focalisés sur 40 d’entre eux,
  • 77 taxons sont concernés par des programmes de contrôle biologique (Biocontrol), 14 sont sous contrôle complet et 19 sous contrôle significatif,
  • enfin, 40 sont les cibles des programmes de détection précoce et d’éradication (ISP) de l’Institut national de biodiversité d’Afrique du Sud.

Ce qui correspond à une moyenne de 12 nouveaux taxons échappés annuellement des cultures agricoles et ornementales, dont la grande majorité est composée de plantes ornementales.

Des espèces largement répandues restant à gérer

Opuntia sp - Emilie Mazaubert

Opuntia sp – Emilie Mazaubert

Les espèces les plus préoccupantes (“species of major concern“) sont celles dont la répartition a très fortement augmenté durant la période de ce bilan. Il s’agit de plantes terrestres parmi lesquelles figurent Pennisetum setaceum, une graminée, et Trichocereus spachianus, un cactus cierge, deux espèces vendues en métropole comme plantes ornementales, et deux espèces de figuier de barbarie (Opuntia), taxon connu comme envahissant en Afrique du Sud depuis la fin du 19ième siècle. Actuellement, hormis un programme limité de lutte biologique contre une espèce d’Opuntia, aucune de ces espèces ne fait l’objet d’un programme actif de contrôle financé par l’État.

D’autres espèces préoccupantes menaçant la biodiversité, l’agriculture et la santé humaine, font déjà l’objet de contrôles biologiques. Les programmes sont encore à des stades précoces et ne pourront présenter d’impacts significatifs sur les espèces cibles avant un certain temps mais la propagation rapide et les impacts potentiellement très nuisibles de ces espèces justifient pleinement les investissements dans la lutte biologique. Parmi les espèces citées figurent un arbuste à grandes fleurs jaunes (Tecoma stans) et deux espèces herbacées, une astéracée (Campuloclinium macrocephalum) et une camomille (Parthenium hysterophorus).

Des succès de contrôle biologique

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Cochenilles du genre Dactylopius sur Opuntia sp. J. Hosking

Le contrôle biologique des “cactus gants de boxe” (Cylindropuntia fulgida var. mamillata, “boxing glove cactus”), un cactus du groupe des Opuntia, est présenté comme un succès puisque l’introduction d’une cochenille (Dactylopius ceylonicus) a provoqué l’effondrement total des populations de ce cactus.

D’autres programmes de lutte biologique sont également considérés comme des succès. Ils concernent en particulier plusieurs espèces d’acacias australiens dont les progressions de répartition n’ont pas dépassé quelques pourcents durant la période considérée. Ces programmes ont utilisé des consommateurs de graines et des parasites pour réduire drastiquement la production de semences et la propagation des plantes.

Une pleine réussite du programme concernant Azolla filiculoides

Toutefois, le programme de contrôle biologique jugé le plus efficace au cours des 15 dernières années est celui concernant l’Azolle fausse-fougère (Azolla filiculoides). À la fin des années 1990, des développements très importants de cette plante flottante se produisaient dans des milieux aquatiques de l’intérieur de l’Afrique du Sud (Figure 2, photo du haut). Un programme de contrôle biologique utilisant le charançon Stenopelmus rufinasus a été lancé fin 1997. A partir de 2004 ont été observées des extinctions locales étendues de la plante (Figure 2, photo du bas) et, depuis 2010, sa répartition sur le territoire a été réduite de 92 % (Figure 3).

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Figure 2 : Contrôle biologique d’Azolla

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Figure 3 : évolution de la répartition d’Azolla en Afrique du Sud entre 1999 et 2016

Consommateur efficace de l’azolle, le charançon a été introduit accidentellement en Europe avec la plante en 1901 [3]. Les développements en métropole de cette petite fougère flottante sont imprévisibles et souvent éphémères. La présence du charançon dans de nombreux milieux aquatiques pourrait expliquer cette impermanence des colonisations mais aucune étude confirmant ou infirmant le rôle régulateur du coléoptère n’est actuellement disponible. Dans le cadre du programme européen RINSE mené de 20111 à 2014 en Grande-Bretagne, Belgique et Pays-Bas, une expérimentation de contrôle biologique de l’Azolle fausse-fougère, employant le même agent de contrôle, a montré des résultats encourageants [4].

Une stratégie sud-africaine de gestion des EEE présentant largement les avantages du contrôle biologique

Comme l’indiquait le dossier sur le contrôle biologique réalisé en 2014 [5] pour la lettre d’information IBMA N°2, l’Afrique du Sud a développé depuis plusieurs décennies des programmes destinés à contrôler les plantes invasives, en coopération avec d’autres états comme l’Australie, les Etats-Unis, la Nouvelle-Zélande et le Canada.

Elle a publié le 25 mars 2014 une stratégie nationale de gestion des invasions biologiques [6] dans laquelle le contrôle biologique est largement présenté. Il y est par exemple indiqué que ce mode de gestion a apporté des bénéfices importants (“significant benefits“) et qu’il présente des avantages tels que des coûts et des risques relativement faibles par rapport à l’utilisation des herbicides, la possibilité d’être intégré à d’autres pratiques de gestion et une autonomie de fonctionnement.

Les plantes ne sont pas seules concernées par le contrôle biologique. Il est également largement développé pour résoudre différentes difficultés causées par des invertébrés envahissants à l’agriculture et à l’environnement. La stratégie note également qu’en matière de gestion des espèces exotiques envahissantes marines, l’Afrique du Sud n’en est qu’à ses débuts alors qu’environ 125 espèces d’organismes invasifs marins sont déjà présentes : un programme spécifique devrait être développé pour cibler les espèces à gérer de cette manière et élaborer des plans de contrôle nationaux.

Un des objectifs affichés de cette stratégie est de doubler au cours de la prochaine décennie les capacités de recherche en matière de contrôle biologique.

Dans le bilan sur ces techniques présenté dans le document, il est rappelé que depuis le début, voici environ un siècle, de l’utilisation d’agents de contrôle biologique, sur 270 espèces considérées comme des agents potentiels (87 % d’insectes, 2 % d’acariens et 11 % de pathogènes), 106 ont été testées et libérées et 75 sont établies sur 48 espèces de plantes exotiques envahissantes. Sur les espèces cibles des mesures de contrôle, 23 % ont été complètement contrôlées (c’est-à-dire sans recours à d’autres mesures de contrôle) et 38 % sont sous contrôle biologique significatif (c’est-à-dire que d’autres mesures de contrôle peuvent être nécessaires par intermittence mais demandent moins d’efforts ou de dépenses que ce qui aurait été nécessaire en l’absence de contrôle biologique).

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Fruits d’Hakea sericea, espèce présente sur le littoral méditerranéen, dans le Var.

Un exemple des résultats positifs d’une gestion intégrée, combinant interventions mécaniques et contrôle biologique est présenté : il concerne la gestion d’arbustes du genre Hakea, plantes buissonnantes ornementales originaires d’Australie, pour laquelle l’adjonction de contrôle biologique a permis d’empêcher la recolonisation par cette espèce des sites entretenus tout d’abord mécaniquement et sa dispersion vers d’autres sites (voir sur ce sujet, l’article de Karin J. Esler et ses collègues [7]).

Il est précisé que, dans la plupart des cas, ces avantages ont été maintenus pendant des décennies et devraient se maintenir à l’avenir.

Le document fait également référence à une “évaluation économique de la contribution de la lutte biologique à la gestion des plantes exotiques envahissantes et à la protection des services écosystémiques en Afrique du Sud” publiée par De Lange & van Wilgen (2010) [8]. Cette étude est une première évaluation économique globale des efforts de l’Afrique du Sud en matière de gestion des plantes exotiques envahissantes par la lutte biologique. Elle tente de présenter une estimation de la valeur des services écosystémiques sauvegardés par les efforts de contrôle biologique.

Selon ces auteurs, la valeur annuelle estimée des services écosystémiques potentiels en Afrique du Sud se monte à 152 milliards R (R : rand sud-africain), soit environ 99 millions d’euros. Par ailleurs, bien qu’environ 6,5 milliards R (environ 425 millions d’euros) soient perdus chaque année en raison des impacts des plantes exotiques envahissantes, l’absence de toute intervention de gestion correspondrait à des pertes supplémentaires de 41,7 milliards R (environ 2,73 milliards €). Selon la stratégie, une proportion importante des économies réalisées dans ce domaine grâce à la gestion des plantes invasives sont la conséquence des programmes de contrôle biologique (“a significant proportion of these savings arose from the biological control of invasive alien plants“).

Les auteurs de l’article étaient toutefois restés plus prudents en indiquant dans leur article que 5 à 75% de ces gains pouvaient être dus au contrôle biologique (“5 – 75% of this protection was due to biological control“). Ces deux chiffres très éloignés l’un de l’autre correspondent à des évaluations d’experts sur les gains imputables au contrôle biologique dans la gestion de deux des groupes de plantes invasives utilisées comme référence dans l’étude. Le plus faible concerne un groupe d’espèces buissonnantes tropicales pour lequel les programmes de contrôle biologique n’ont pas donné les résultats escomptés, le plus élevé le groupe des cactus du groupe des Opuntia pour lequel, au contraire, les programmes de contrôle biologique ont été couronnés de succès.

Le budget de l’exercice 2014/2015 du “Department of Environmental Affairs” (l’équivalent de notre ministère chargé de l’environnement) pour la gestion des invasions biologiques était de 1,22 milliard R, soit environ 80 millions €. Près de 80 % de ces fonds devaient être consacrés à la gestion de plantes exotiques envahissantes déjà largement installées, incluant, entre autres domaines, les financements pour la lutte biologique et le contrôle des plantes aquatiques invasives. Des fonds destinés au renforcement des opérations de biosécurité en coopération avec le “Department of Agriculture, Forestry and Fisheries” sont également prévus. Ce ministère réalise également des interventions concernant la prévention de l’introduction d’espèces indésirables : les budgets annuels correspondants cités dans le document sont par exemple de 273 millions R pour les services d’inspection phytosanitaire (environ 18 millions €) et de 489 millions R (environ 32 millions €) pour la production et la santé végétale.

La stratégie termine ce bilan financier en indiquant que des efforts doivent être renforcés dans certains domaines. Parmi la vingtaine de grandes orientations proposées dans cette stratégie pour élaborer une législation efficace figure d’ailleurs le besoin de fonds dédiés à l’importation, l’évaluation et la répartition d’espèces exotiques à utiliser comme agents de lutte biologique (“explicit provision must be made for the managed importation, assessment, and distribution of alien species to be used as biological control agents“).

Alain Dutartre, Emmanuelle Sarat, 25/08/16

[1] http://www.invasives.org.za/resources/sapia-news

[2] Voir sur ce point le dossier sur le contrôle biologique : http://www.especes-exotiques-envahissantes.fr/le-controle-biologique-des-especes-invasives/

[3] http://www.especes-exotiques-envahissantes.fr/espece/azolla-filiculoides/

[4] http://www.especes-exotiques-envahissantes.fr/wp-content/uploads/2016/05/160524-REX-Azolla-filluculoides.pdf)

[5] http://www.especes-exotiques-envahissantes.fr/le-controle-biologique-des-especes-invasives/

[6] “A National Strategy for Dealing with Biological Invasions in South Africa” :

http://www.invasives.org.za/files/57/Legislation/758/National%20Strategy%2002%20Apr%202014.pdf

[7] https://scholar.sun.ac.za/bitstream/handle/10019.1/11934/karen_landscapescale_2009.pdf;sequence=1

[8]https://www.researchgate.net/publication/227145937_An_economic_assessment_of_the_contribution_of_biological_control_to_the_management_of_invasive_alien_plants_and_to_the_protection_of_ecosystem_services_in_South_Africa

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