Malgré la mise en place de nombreuses expérimentations de gestion et la diversité des actions engagées, aucune solution parfaitement efficace sur les renouées asiatiques n’a été mise au point à ce jour. La gestion des renouées asiatiques est donc une quête en cours, et ce d’autant plus que les paradigmes de gestion des années 1990 et 2000, qui reposaient, au moins dans le monde anglo-saxon, essentiellement sur l’usage d’herbicides et dont l’ouvrage de Child et Wade intitulé The Japanese Knotweed Manual (2000) est emblématique, sont actuellement remis en cause du fait d’évolutions sociétales. Le constat qui émerge à l’heure actuelle est donc que les méthodes de gestion mises en place ne sont ni assez efficaces, ni assez satisfaisantes. Le génie végétal pourrait constituer une réponse à ce problème. Les pratiques en question sont en effet apparemment séduisantes du point de vue environnemental (naturalité, biodiversité renforcée, fonctionnalités conservées), économique (coûts potentiellement inférieurs à ceux engendrés par d’autres méthodes) et social (demande de pratiques plus « vertes »). Des limites subsistent cependant, qui incitent à poursuivre l’exploration du génie végétal et de ses potentialités en matière d’efficacité, et donc de satisfaction, avant de conclure sur sa pertinence en matière de gestion des renouées asiatiques.
Dans le cadre d’une étude financée par l’Agence de l’Eau Rhône Méditerranée Corse et réalisée par Irstea, un recensement des ouvrages mobilisant diverses techniques issues du génie végétal et visant à contrôler spécifiquement les renouées asiatiques a été lancé en 2019. A l’aide d’entretiens téléphonique, 44 ouvrages de génie végétal au sein du bassin versant amont du Rhône et du bassin versant amont de la Loire ont été inventoriés.
Techniques de génie végétal mises en place sur un site donné.
Le génie végétal, qu’ès aco ?
Le terme de « génie végétal » désigne la construction d’ouvrages composés essentiellement de végétaux, réalisés dans le but de protéger, ou de restaurer, voire de remodeler ou de créer un écosystème fonctionnel. Autrement dit, il s’agit de tirer parti de la biologie et de l’écologie des végétaux employés pour (re)créer un milieu, et en particulier les fonctions et les services qui lui sont associés. Les ouvrages de génie végétal orientent l’évolution des sites, sans toutefois la contrôler entièrement : on ne peut jamais totalement prévoir comment les végétaux employés vont se développer et interagir avec les communautés végétales et animales existantes. Le génie végétal englobe plusieurs types de techniques : utilisation de végétaux à plusieurs stades de développement (plants), utilisation de parties de végétaux (boutures, fascines, etc.), utilisation de végétaux sous forme de graines (semis), associées ou non à l’utilisation de matériaux végétaux transformés (géotextiles, dalles en matériaux végétaux, etc.) ou de végétaux morts (rondins, branches, etc.).
Adam P., Debiais N., Lachat B. et Gerber F. 2008. Le génie végétal. Un manuel technique au service de l’aménagement et de la restauration des milieux aquatiques, 2008, 290 p.
En réintroduisant des espèces autochtones dans les zones colonisées par une espèce exotique colonisatrice jugée indésirable, les ouvrages de génie végétal miment autant que possible le fonctionnement naturel de milieux peu perturbés, y favorisant la restauration des fonctions écologiques et la biodiversité du site. Le génie végétal permettrait ainsi de contrer l’homogénéisation biotique des communautés végétales rivulaires colonisées par les renouées asiatiques ou d’autres espèces végétales invasives en leur permettant une réintégration vers une communauté fonctionnelle diversifiée.
Résultats de l’étude sur le génie végétal mis en œuvre pour réguler les renouées asiatiques
Panorama des techniques utilisées
Après une première étape de recherche bibliographique ayant permis d’identifier les gestionnaires ayant mis en place du génie végétal concernant spécifiquement la régulation de renouées asiatiques, des entretiens téléphoniques ont été conduits auprès d’une douzaine d’entre eux sur les bassins versants amont du Rhône et de la Loire, ce qui nous a permis de décrire plus quarante-quatre ouvrages de génie végétal.
Deux familles de techniques peuvent être distinguées : les techniques de mise en concurrence végétale (plantations, bouturage, ensemencement, couches de branches à rejets) et les techniques de modification du sol (géotextile, fauchage, paillages, arrachage, tri des rhizomes, exportation des rhizomes, décaissage). Le bouturage, si l’on inclut les couches de branches à rejet, est la technique la plus utilisée, probablement en lien avec sa facilité de mise en œuvre et son faible coût. Trois techniques très peu employées dans notre inventaire (le tri des rhizomes, l’exportation des rhizomes et le décaissage) concernent un travail du sol plus profond et sont généralement utilisées ensemble. Elles ont en commun de nécessiter des moyens matériels, logistiques et financiers plus importants que les autres techniques.
Les techniques de mise en concurrence (plantations, bouturage et ensemencement) sont le plus souvent combinées entre elles, et l’association la plus fréquente se compose du bouturage (boutures ou couches de branches à rejets) et de plantations. De plus, ces techniques sont dans la majorité des cas accompagnées de mesures de préparation des sols : c’est particulièrement le cas pour le bouturage (26 ouvrages sur 33).
Les mesures de préparation des sols les plus employées sont le géotextile et les paillages. Le protocole de mise en œuvre implique d’indispensables actions de fauche ou d’arrachage, suivies de la pose d’un géotextile ou de paillages.
La nécessité de l’entretien
La très grande majorité des ouvrages inventoriés a fait l’objet d’un entretien ultérieur. Toutes les techniques mises en œuvre dans le cadre de cet entretien sont des méthodes de fauche, d’arrachage ou de coupes sélectives, à raison, dans la plupart des cas, d’un ou deux passages annuels durant 2 à 5 ans après les travaux. Certains ouvrages ont fait l’objet d’un entretien de 5 à 10 ans.
Les gestionnaires enquêtés sont-ils satisfaits ?
L’efficacité du génie végétal a été évaluée subjectivement à partir des réponses données à la question « Quel est votre ressenti sur cette méthode de gestion ? ». Pour 14 des 44 ouvrages, le génie végétal a réussi à contenir la dispersion des renouées asiatiques et a donc été jugé efficace, pour 17 d’entre eux l’efficacité a été considérée mitigée, soit parce qu’elle n’a pas été immédiate, soit parce que les renouées asiatiques sont encore très présentes. Enfin, dans 12 cas, cette efficacité a été jugée mauvaise. L’efficacité est ressentie plus positivement lorsqu’au moins deux techniques ont été combinées et que l’itinéraire technique était simple. Les méthodes impliquant des interventions lourdes sur les sites (décaissage, etc.) suscitent des attentes fortes et peuvent par conséquent susciter des déceptions plus importantes. D’après les perceptions de l’efficacité du génie végétal dans cet inventaire, les méthodes les plus efficaces seraient celles mobilisant deux techniques de mise en concurrence végétale ou plus, après une étape de fauche ou d’arrachage, sans forcément utiliser de méthodes de couverture du sol (bâchage, paillage, etc.). Enfin, l’entretien sur plusieurs années paraît indispensable pour augmenter les chances de succès de l’ouvrage.
Les motifs d’insatisfaction les plus souvent avancés sont le fait que le génie végétal nécessite généralement un personnel nombreux, pour des résultats qui ne sont pas immédiats. A l’inverse, les facteurs de satisfaction les plus souvent cités sont son efficacité vis-à-vis de la régulation des renouées asiatiques et l’intégration de l’ouvrage dans le milieu environnant.
Conclusions
Dans notre étude, le génie végétal pour la régulation des renouées asiatiques se caractérise par des avis en demi-teinte sur son efficacité : il ne répond pas complètement aux objectifs et aux attentes des acteurs qui y recourent. En effet, les ouvrages mis en place semblent bien réguler les massifs de renouées asiatiques, mais les autres attentes des acteurs ne sont pas suffisamment satisfaites. Le temps de travail important qu’impliquent les opérations de génie végétal et le décalage temporel entre l’installation des ouvrages et l’apparition de leurs premiers effets positifs ont notamment été évoqués de manière récurrente sur le ton du regret. Ces conclusions restent partielles : elles portent plus sur le ressenti des gestionnaires (attentes et résultats) de notre questionnement que sur une évaluation écologique (milieux créés, fonctionnalité, effets sur les communautés d’êtres vivants). Il serait maintenant utile de pouvoir évaluer de manière plus objective et par des observations de terrain quels sont les effets mesurables de ces opérations de restauration sur le fonctionnement écologique des sites ayant fait l’objet de ces ouvrages.
Rédaction : Fanny Dommanget et Héloïse Duc, Irstea
Relectures : Doriane Blottiere et Emmanuelle Sarat, Comité français de l’UICN, Alain Dutartre, expert indépendant
En savoir plus : Télécharger le rapport ; contacter Fanny Dommanget, Irstea : fanny.dommanger@irstea.fr