Solenopsis invicta en Sicile : première observation documentée d’une colonie de fourmi de feu établie en Europe

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Une étude publiée en septembre 2023 dans la revue Current Biology témoigne de la présence de Solenopsis invicta en Sicile. D’après les auteurs, des fourmis de feu avaient déjà été identifiées dans des produits importés en Espagne, en Finlande et aux Pays-Bas. Cependant, il s’agit de la première observation documentée d’une colonie établie en Europe.

Portrait de l’espèce

Solenopsis invicta, parfois appelée fourmi de feu ou fourmi rouge de feu, est l’une des 266 espèces de fourmis du genre Solenopsis. Native d’Amérique du Sud tropicale/subtropicale, S. invicta s’est dispersée dans le sud des États-Unis et dans les Caraïbes après son introduction dans les années 1930 (Morrison et al., 2004). Depuis, l’espèce est présente en Asie et dans certaines régions d’Australie et de Nouvelle-Zélande (CABI, 2023). Elle se retrouve également dans certains territoires français d’outre-mer, en Guadeloupe, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin (INPN, 2023).

Description

© Solenopsis invicta, Austin, Texas, USA. Photo by Alex Wild.

Les fourmis de feu sont de petite taille, variant de 2 à 6 mm de longueur, et sont généralement de couleur brun rougeâtre. Les ouvrières du genre Solenopsis sont polymorphes,  pouvant présenter plus de deux formes corporelles différentes (Holway et al. 2002).

Leurs nids (appelés également tumulus) varient en forme et en taille, mais tous ont une structure interne en forme de nid d’abeille et se trouvent généralement dans des zones ouvertes, notamment des pelouses, des pâturages, le long de routes et de terres cultivées abandonnées. Il peut s’agir de monticules en forme de dôme de 40 cm de haut sans aucune entrée/sortie évidente.

Des impacts sanitaires, mais également écologiques et économiques

La présence de Solenopsis invicta dans des régions où elle n’est pas indigène peut entraîner des conséquences négatives sur les écosystèmes locaux et leur biodiversité, et la santé humaine. En raison de ses nombreux impacts et de son important dynamisme, le Groupe de spécialistes de l’UICN sur les invasions biologiques considère l’espèce comme l’une des 100 pires envahissantes au monde (ISSG, 2014).

Si la présence de cette espèce est préoccupante en matière de santé humaine, c’est notamment car ses piqûres sont réputées pour être très douloureuses et peuvent entraîner des réactions allergiques chez les personnes touchées. Contrairement à de nombreuses autres espèces de fourmi, qui se servent de leur mâchoire pour se défendre, Solenopsis invicta possède de plus un dard semblable à celui des guêpes. Ses puissantes mandibules lui permettent de s’agripper à sa victime avant de piquer et d’injecter son venin à l’aide de ce dard.

Bien que leurs piqûres soient rarement dangereuses pour les grands animaux, elles peuvent tuer des animaux plus petits, comme des oiseaux. Elles concurrencent efficacement les autres espèces de fourmis et ont ainsi pu agrandir leur aire de répartition, notamment aux États-Unis

©Bastiaan M. Drees/Texas A&M University

Outre ces attaques, les activités de construction de monticules de Solenopsis spp. peuvent fortement modifier les propriétés physiques et biogéochimiques des sols. Elles peuvent entraîner une aération et une infiltrabilité accrues du sol, une baisse de pH du sol, une augmentation des teneurs en ammonium, phosphore et potassium, une diminution de la densité apparente du sol en surface, des modifications des matières organiques, une altération de la texture du sol et une augmentation de l’abondance fongique (Lafleur et al., 2005). En contexte agricole, les fourmilières qu’elles édifient peuvent également endommager les racines des plantes et provoquer des pertes de récoltes.

Lors de leurs activités de recherche de nourriture et de nidification, des fourmis ou même des colonies entières peuvent se déplacer e dans des bâtiments ou des véhicules. Elles sont alors susceptibles de s’installer dans des équipements mécaniques agricoles (tels que les machines de récolte du foin et les systèmes de gicleurs) ou des systèmes électriques et entraîner leur défaillance, devenant ainsi une nuisance voire un danger pour les personnes (CABI, 2023).

En 2021, Solenopsis invicta était citée parmi les 10 EEE les plus coûteuses au monde, causant des milliards de dollars de dégâts environnementaux dans de nombreux pays (Cuthbert et al., 2021).

Risque d’établissement de Solenopsis invicta en Europe

Situation en Sicile (Italie)

L’étude de Menchetti et al. (2023) fait état de 88 nids s’étendant sur environ 4,7 ha, inventoriés au cours de l’hiver 2022/2023, près de la ville de Syracuse. Bordant l’estuaire d’une rivière, la zone envahie est fortement perturbée. Elle s’inscrit dans un site régional protégé plus vaste à proximité de la Réserve naturelle Cavagrande del Cassibile. Des témoignages de piqûres de fourmis ont été documentés dans la région depuis au moins 2019. La manière dont l’espèce a atteint ce site n’a pas pu être formellement établie, mais le port de fret d’Augusta situé à 13 km au nord pourrait constituer une potentielle voie d’introduction.

 

Une espèce préoccupante pour l’Union européenne

Lors de la mise à jour de 2022 de la liste des EEE préoccupantes pour l’Union, quatre espèces de fourmis, dont Solenopsis invicta, ont été ajoutées à la règlementation après soumission d’une analyse de risque incluant une description de leurs impacts et des risques d’introduction et d’implantation sur le territoire de l’Union.

Selon les différents modèles consultés lors de l’analyse de Kenis, Rabitsch et Roy (2017), les experts estiment que S. invicta pourrait s’implanter dans tous les pays du pourtour méditerranéen et sur la côte atlantique sud, du sud-ouest de la France au Portugal. Néanmoins, les prévisions sur l’étendue géographique potentielle de  cet établissement varient selon les modèles. Par exemple, selon l’étude de Menchetti et al. (2023), 7 % du continent européen et plus de 50 % de ses zones urbaines seraient propices à son expansion, qui devrait notamment être favorisée par le changement climatique et la hausse des températures.

Carte de prédiction du modèle d’ensemble dans des conditions environnementales actuelles (gauche) et futures (droite) – (extrait de Menchetti et al., 2023)

Introduction et propagation

La voie d’introduction la plus importante de S. invicta en Europe est le transport  de nids en tant que contaminants de matériel de pépinière (y compris le sol) et en tant que passager involontaire dans des marchandises (par exemple véhicules, machines, matériaux d’emballage).

Il ne peut être exclu que S. invicta puisse également être introduite via le commerce de fourmis sur Internet, puis être relâchée accidentellement ou intentionnellement dans la nature. Cependant, cette espèce n’est plus disponible sur le marché officiel et, ces dernières années, les personnes essayant de vendre l’espèce ont été exclues du forum ou même contactées par les autorités (O. Blight, comm. pers).

Commentaire extrait de la note de couverture de l’analyse de risque européenne – 2019

 

Bien que S. invicta puisse se propager de plusieurs kilomètres par an par des moyens naturels, sa propagation est largement accélérée par le biais de transport assisté par l’homme, en particulier avec du sol et des objets infestés.

Une fois établie, S. invicta est très dynamique en raison de sa capacité de reproduction élevée, de la grande taille de ses colonies, de sa capacité à exploiter les perturbations humaines et de son régime alimentaire très opportuniste. Des efforts de surveillance devraient être étendus pour détecter efficacement les nouveaux foyers et limiter son expansion sur le territoire européen.

 

Rédaction : Madeleine Freudenreich, Comité français de l’UICN

Relecture : Alain Dutartre, expert indépendant

Références :

  • Cuthbert, R. N., Diagne, C., Haubrock, P. J., Turbelin, A. J., & Courchamp, F. (2022). Are the “100 of the world’s worst” invasive species also the costliest? Biological Invasions, 24(7), 1895-1904.
  • Holway, DA., Lach, L., Suarez, A.V., Tsutsui, N.D. & Case, T.J., (2002). The causes and consequences of ant invasions. Annual Review of Ecology and Systematics, 33:181-233.
  • Lafleur, B., Hooper-Bui, L. M., Mumma, E. P., & Geaghan, J. P. (2005). Soil fertility and plant growth in soils from pine forests and plantations: effect of invasive red imported fire ants Solenopsis invicta (Buren). Pedobiologia, 49(5), 415-423.
  • Kenis, M., Rabitsch, W. & Roy, H. (2017). Study on Invasive Alien Species – Development of Risk Assessments: Final Report (year 1) – Annex 7:  Risk assessment for Solenopsis Invicta. Novembre 2017
  • Menchetti, M., Schifani, E., Alicata, A., Cardador, L., Sbrega, E., Toro-Delgado, E., & Vila, R. (2023). The invasive ant Solenopsis invicta is established in Europe. Current Biology, 33(17), R896-R897.
  • Morrison, L. W., Porter, S. D., Daniels, E., & Korzukhin, M. D. (2004). Potential global range expansion of the invasive fire ant, Solenopsis invicta. Biological invasions, 6, 183-191.
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