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Les EEE dans une évaluation des écosystèmes de l’Union Européenne

Préambule

Selon l’échelle territoriale ou organisationnelle sur laquelle portent nos réflexions en matière de gestion des EEE, nous sommes amenés à utiliser des approches adaptées et comportant des modes d’analyse et d’action qui peuvent présenter des caractéristiques extrêmement diverses.

En effet, quel grand écart entre la gestion concrète des EEE sur le territoire où elles sont installées, obligeant à des actions localisées dans les sites colonisés, des actions directes sur des plantes ou des animaux pour les retirer, versus les besoins analytiques globaux de compréhension et d’évaluation des dynamiques à court et long terme aux échelles politiques fonctionnelles (nationale, européenne, internationale) !

Les acquis scientifiques et techniques permettant d’améliorer de manière continue l’entreprise globale de gestion de ces espèces dans laquelle nous sommes engagés doivent cependant nourrir l’ensemble de ce large panorama et, en complément des besoins concrets, nous avons également besoin d’analyses sur de vastes territoires, notamment comme peut en produire la recherche à l’échelle européenne.

Dans un article paru en avril 2021, nous avions déjà présenté les aspects liés aux EEE figurant dans un document de synthèse présentant à l’échelle européenne un “État de la nature dans l’UE”, c’est-à-dire un panorama des efforts de conservation de la nature mis en place dans le cadre de deux directives “Habitats” et “Oiseaux“ durant la période 2013-2018. Les informations portant sur les EEE dans un autre document paru en 2020 nous ont également semblé tout à fait utiles à commenter, car apportant des éléments généraux supplémentaires de contexte européen.

Cartographie et évaluation des écosystèmes européens et de leurs services

Ce document (cliquez sur l’image pour y accéder) présente une évaluation des écosystèmes de l’ensemble du territoire européen et de ses zones marines. Il a été réalisé par le Centre commun de recherche, l’Agence européenne pour l’environnement, la DG Environnement et divers centres thématiques européens. Il est une des conséquences de l’adoption en 2011 par l’Union Européenne d’une stratégie en faveur de la biodiversité (European Commission, 2011), à la suite d’un engagement de 2010 dans le cadre de la Convention internationale sur la diversité biologique (CDB). Le but de cette stratégie était d’enrayer la perte de biodiversité et de services écosystémiques dans l’UE et de contribuer à stopper la perte de biodiversité mondiale à l’horizon 2020.

L’action 5 de cette stratégie, “Mapping and Assessment of Ecosystems and their Services“, prévoyait que les États membres, avec l’aide de la Commission, devaient sur leur territoire cartographier et évaluer l’état des écosystèmes et de leurs services. Les travaux devaient également évaluer la valeur économique de ces services pour l’intégrer dans les systèmes nationaux et européens de comptabilité et de déclaration d’ici à 2020.
Le présent document rassemble donc des analyses des pressions et de l’état des écosystèmes terrestres, d’eau douce et marins, fondées sur des données issues des différents états membres et fournit une évaluation des atteintes des objectifs de la stratégie de biodiversité pour 2020. Cette base de connaissances pourra également servir aux évaluations futures, en particulier en ce qui concerne la Stratégie pour la biodiversité pour 2030, adoptée le 20 mai 2020 par la Commission (Commission européenne, 2020).

Une première pour l’Union européenne

Dans son chapitre introductif, sont rappelées les démarches entre la Commission et les états membres au cours de la décennie, les acquisitions d’informations, les synthèses obtenues de sources nationales ou internationales, comme celle de l’IPBES (2018), les données de rapportages européens des directives “Oiseaux” et “Habitats” et de la DCE, etc.
Les objectifs généraux de la démarche sont également précisés, ainsi que l’adoption d’une approche conjointe entre chercheurs, fournisseurs de données, parties prenantes et décideurs politiques, pour en garantir la cohérence d’ensemble. Il est également fait référence à la proposition en décembre 2019 d’un “Green Deal” européen par la Commission européenne (Commission européenne, 2019), engageant l’Europe sur la voie de la neutralité climatique d’ici 2050 et comportant des actions volontaristes en matière de préservation et de restauration des écosystèmes.

Le deuxième chapitre décrit le cadre commun des travaux menés par les chercheurs pour cette évaluation de l’état et des tendances des écosystèmes et de leurs services. Appuyée sur une liste d’indicateurs jugés pertinents, elle a été organisée en une série d’évaluations thématiques par types d’écosystèmes et d’évaluations transversales pour différents écosystèmes.
Les EEE font bien sûr partie des pressions identifiées dans ce cadre, y figurant parmi les pressions modérément variables d’une année à l’autre.
Le troisième chapitre présente les évaluations thématiques des tendances des pressions et de l’état de sept types d’écosystèmes (zones urbaines, agroécosystèmes, forêts, zones humides, landes et territoires à végétation éparse, rivières et lacs et écosystèmes marins).

Celui qui nous concerne plus particulièrement, le quatrième, rassemble les évaluations transversales des tendances de ces grands types d’écosystèmes en matière de changements, du climat, de la mosaïque des paysages, des sols et des espèces exotiques envahissantes.

Le cinquième chapitre concerne les services fournis par les écosystèmes, selon six thématiques (approvisionnements en cultures et en bois, séquestration du carbone, pollinisation des cultures, lutte contre les inondations et loisirs) avec un calcul utilisant quatre indicateurs (potentiel de fourniture durable, demandes de la société et de l’économie, quantité de services effectivement utilisés pour générer des bénéfices et demandes non satisfaites).

Le chapitre six est une synthèse intégrée des évaluations précédentes.

Le septième chapitre présente quatre scénarios ou “récits intégrés” (“integrated narratives“) illustrant la manière dont certaines problématiques importantes peuvent être proposées à un public non technique à partir des connaissances rassemblées lors de cette évaluation. Ces “récits” portent successivement sur les co-bénéfices de la restauration des zones humides comme solution basée sur la nature, la création d’habitats favorables aux pollinisateurs dans les paysages agricoles, la protection des forêts primaires et anciennes, et l’amélioration de la connexion des zones protégées et des écosystèmes naturels pour faciliter l’adaptation des espèces au changement climatique.

Le dernier chapitre, “conclusions et prochaines étapes”, rappelle tout d’abord que ce document est la première évaluation générale de tous les écosystèmes de l’Union européenne, un résultat très important d’un effort commun des états membres. En effet, en septembre 2019, la mise en œuvre de l’action 5 de la stratégie, régulièrement suivie à l’aide d’indicateurs, avait été jugée globalement supérieure à 70 %.

Cette analyse globale des écosystèmes terrestres, d’eau douce et marins de l’Union Européenne, mise en place avec une méthodologie unique et comparable fournissant ainsi des données européennes harmonisées, est une très importante contribution à la connaissance de l’état de tous les écosystèmes de l’Union européenne et des changements intervenus dans cet état au cours de la dernière décennie. Elle constitue également une base essentielle en appui du nouveau cadre juridique européen pour la restauration de la nature envisagé à l’horizon 2030.
Dans les quelques pages de ce chapitre sont bien sûr détaillés des commentaires sur chacune des démarches d’évaluation selon les pressions et les grands types d’écosystèmes, telles que, par exemple le fait que la plupart des habitats protégés par les directives “Habitats” sont dans un état de conservation défavorable ou que la plupart des rivières et des lacs n’atteignent pas un bon état chimique ou un bon état écologique.
L’analyse des tendances des pressions et de l’état des écosystèmes donne au final une image mitigée, ce qui explique que la conclusion générale de cette très large évaluation est que l’état des écosystèmes dans l’UE est jugé défavorable : “the condition of ecosystems in the EU is unfavourable“.

Que dit le document sur les EEE ?

Éléments de contexte

Après un rappel de la problématique sur leur définition, la diversité des impacts de ces espèces sur la biodiversité et l’ensemble des services écosystémiques (ces espèces étant alors considérées comme une pression) et les risques d’accroissement des arrivées d’EEE (Early et al., 2016), sont présentées les évolutions des politiques européennes les concernant.
En particulier, l’objectif 5 de la stratégie de l’UE en faveur de la biodiversité à l’horizon 2020, pour répondre à l’objectif B.9 d’Aichi, exigeait que les EEE soient identifiées, les espèces prioritaires contrôlées ou éradiquées et les voies d’accès gérées afin d’empêcher que de nouvelles espèces envahissantes ne perturbent la biodiversité européenne.

Objectif B.9 : « D’ici à 2020, les espèces exotiques envahissantes et les voies d’introduction sont identifiées et classées en ordre de priorité, les espèces prioritaires sont contrôlées ou éradiquées et des mesures sont en place pour gérer les voies de pénétration, afin d’empêcher l’introduction et l’établissement de ces espèces. »

Le document rappelle également que pour atteindre ces objectifs, l’Union européenne s’appuie sur le règlement UE 1143/2014 « relatif à la prévention et à la gestion de l’introduction et de la propagation des espèces exotiques envahissantes », qui est entré en vigueur le 1er janvier 2015, ainsi que ses listes d’espèces règlementées à l’échelle de l’Union (66 espèces actuellement concernées après la mise à jour de 2019).

Réalisées avant cette deuxième mise à jour, les résultats des analyses figurant dans le document portent donc uniquement sur les 49 EEE préoccupantes pour l’Union (23 espèces végétales et 26 animales) figur.

Approche scientifique

Il s’agissait d’évaluer les pressions exercées par ces 49 EEE sur l’ensemble des écosystèmes européens terrestres et d’eau douce et non de quantifier les dommages engendrés (impacts négatifs divers), car les dommages causés par une EEE dépendent également de la sensibilité particulière des écosystèmes à ces invasions. Dans cette première analyse, il n’est pas fait de distinction entre les types d’impacts et l’intensité de la pression n’est pas pondérée selon ces impacts.

Ces pressions ont été évaluées comme la somme des occurrences des EEE présentes dans une zone spécifique, pondérée par l’étendue de l’écosystème ou des écosystèmes affectés. Leur quantification a été réalisée à partir des bases de données suivantes :

  • Les répartitions de ces espèces sur le territoire européen, disponibles sur le réseau européen d’information sur les espèces envahissantes (EASIN https://easin.jrc.ec.europa.eu/easin), établies dans des documents de référence (Tsiamis et al., 2017 ; Tsiamis et al., 2019). La résolution spatiale de la grille de référence géographique est de 10 km.
  • La pression exercée par ces espèces sur chaque type d’écosystème. Ces informations sur les impacts connus sur les écosystèmes colonisés ont été basées sur les traits des EEE figurant dans ces documents de référence et synthétisées en pressions par grands types d’écosystèmes (“artificiel”, “agriculture”, “forêt et milieu semi-naturel” et “milieu aquatique”) selon une appréciation binaire : “preuve” ou “absence de preuve” (annexe 1).
  • La répartition et l’étendue des types d’écosystèmes. Les données utilisées ont été reprises de la version 2012 du système de classification de CORINE Land Cover, avec une grille de cellules de 100 km².

Pour chaque zone où une EEE a été enregistrée, la pression a été calculée comme l’étendue cumulée de tous les écosystèmes affectés par sa présence.

Résultats des évaluations

Le tableau 1 présente par grand type d’écosystèmes les valeurs maximales de pressions cumulées des EEE et les pourcentages de territoires concernés. Le type “milieu aquatique” rassemble les zones humides, les rivières et les lacs.

Les écosystèmes urbains et les prairies présentent les pourcentages les plus élevés de zones soumises à la pression des EEE (> 60 %). A l’opposé, les landes et les territoires à végétation éparse montrent un pourcentage inférieur à 20 %.
La valeur maximale de pression se trouve dans les écosystèmes urbains (7,753) et la plus faible dans ces territoires à végétation éparse (1,509).
Les forêts et les milieux aquatiques donnent des valeurs intermédiaires.
Les moyennes de pression les plus élevées sont enregistrées dans les terres cultivées et les forêts mais les valeurs d’écart-type observées dans tous les types d’écosystèmes montrent que les conditions locales peuvent fortement influencer les résultats de ces analyses.

Tableau 1 : Valeurs de pression (moyennes et maximales) et % de territoires de grands types d’écosystèmes concernés par les EEE.

Dans le document, les résultats sont également présentés sous forme de cartes générales des pressions, tout d’abord pour l’ensemble des écosystèmes terrestres et d’eau douce, puis séparément pour chaque type d’écosystème.

Figure 1 : Pression cumulée exercée sur les écosystèmes terrestres par les 49 EEE préoccupantes pour l’Union. Le gris foncé indique les zones où la présence d’EEE n’est pas signalée.

Figure 2 : Pression cumulée exercée sur les écosystèmes d’eau douce par les 49 espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour l’Union. Le gris foncé indique les écosystèmes d’eau douce où la présence d’EEE n’est pas signalée.

La carte des écosystèmes terrestres (figure 1) montre par exemple des zones de pression importantes en Grande-Bretagne, Irlande du Nord, Pays-Bas, Belgique, et dans la partie occidentale de la Pologne ou dans la vallée du Pô en Italie.
Dans celle des écosystèmes d’eau douce (figure 2), des zones de pression élevée sont visibles dans les pays scandinaves et dans les parties nord des Pays-Bas et de l’Italie.
La partie centrale de l’Espagne présente de grandes zones de pression relativement faible dans les écosystèmes terrestres et d’eau douce.

Pour chaque type d’écosystème (liste du tableau 1) sont présentés une carte des pressions, un histogramme de ces valeurs signalant leur moyenne arithmétique et leur écart-type et un graphique comparant les proportions relatives du type d’écosystème dans les régions européennes et des zones colonisées par les EEE dans ces régions.

Des exemples :

  1. Les forêts

Figure 3 : Pression exercée par les 49 espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour l’Union sur les forêts, dans les zones où la présence d’EEE est signalée : distribution spatiale (sur la carte) et fréquence (histogramme sur la droite). Sur la carte, le gris foncé indique les forêts où les EEE ne sont pas signalées. Sur l’histogramme, la ligne noire continue indique la moyenne arithmétique ; la ligne rouge en pointillés indique l’écart-type.

Figure 4 : Répartition par région européenne des superficies relatives de forêts et de zones colonisées par les EEE.

La pression maximale évaluée dans les forêts atteint 5,03, la troisième valeur la plus élevée après les écosystèmes urbains et les prairies (tableau 1). La médiane et la moyenne sont les deuxièmes plus élevées après les zones agricoles, mais l’ampleur de l’écart-type suggère que les conditions locales pourraient sensiblement affecter le modèle moyen d’invasion (tableau 1, histogramme de la figure 3).

La pression est élevée dans les pays scandinaves et en Europe continentale (carte de la figure 3).
Comme observé pour d’autres types d’écosystèmes, les régions atlantique et continentale présentent une zone affectée par les EEE proportionnellement plus importante que les autres régions (figure 4).

  1. Les zones agricoles

Figure 5 : Pression exercée par les 49 espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour l’Union sur les zones agricoles, dans les zones où la présence d’EEE est signalée : distribution spatiale (sur la carte) et fréquence (histogramme sur la droite). Sur la carte, le gris foncé indique les zones où les EEE ne sont pas signalées. Sur l’histogramme, la ligne noire continue indique la moyenne arithmétique, la ligne rouge en pointillés indique l’écart-type.

Figure 6 : Répartition par région européenne des superficies relatives de zones agricoles et de zones colonisées par les EEE.

La pression maximale sur les terres cultivées dépasse 4,4, avec une valeur moyenne la plus élevée enregistrée pour tous les types d’écosystèmes (tableau 1). La pression est notable dans le nord et le centre de l’Italie. L’Europe continentale est caractérisée par des zones de pression plus faible mais généralisée (figure 5). L’examen de la pression dans les différentes régions confirme ce schéma et présente des caractéristiques similaires à celles des écosystèmes urbains : la zone affectée est proportionnellement plus importante dans les régions atlantique et continentale que dans les autres régions (figure 6).

  1. Les milieux aquatiques

Figure 7 : Pression exercée par les 49 espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour l’Union sur les milieux aquatiques, dans les zones où la présence d’EEE est signalée : distribution spatiale (sur la carte) et fréquence (histogramme sur la droite). Sur la carte, le gris foncé indique les territoires où les EEE ne sont pas signalées. Sur l’histogramme, la ligne noire continue indique la moyenne arithmétique, la ligne rouge en pointillés indique l’écart-type.

Figure 8 : Répartition par région européenne des superficies relatives de milieux aquatiques et de zones colonisées par les EEE.

La pression maximale dans les écosystèmes d’eau douce est de 4,51, ce qui est assez élevé mais la valeur de moyenne est la plus faible de tous les types et l’écart type lui est nettement supérieur, montrant bien qu’une grande part des données obtenues correspondent à de très faibles valeurs de pression tout en présentant une large dispersion (tableau 1 et carte de la figure 7). Des zones montrant des valeurs de pression élevées sont assez bien réparties sur l’ensemble du territoire européen (carte de la figure 7). Les régions atlantique et continentale montrent des zones affectées proportionnellement plus grandes, ce qui n’est pas le cas des régions alpine, boréale, voire méditerranéenne (figure 8).

Pour les EEE, lacunes dans les connaissances et défis futurs de la recherche

Selon les auteurs du chapitre consacré aux EEE, les résultats présentés peuvent être utilisés comme une base de référence des pressions cumulées exercées par ces espèces sur les écosystèmes terrestres et d’eau douce. Dans la mesure où les rapportages futurs des états membres concernant les EEE seront fournis dans les conditions attendues, cette base pourra servir à la surveillance des dynamiques de ces espèces, dont la liste va progressivement grandir.
Ils rappellent également la diversité et la complexité des impacts des EEE sur la biodiversité et les services écosystémiques créant diverses difficultés d’observation et d’analyse. Notamment, selon ces espèces, quelle est la durée après leur installation avant que leurs impacts deviennent visibles et significatifs ? Est-il possible de prédire les impacts d’une espèce exotique à partir des connaissances de son écologie dans son aire de répartition d’origine (voir par exemple, Blackburn et al., 2014) ?
De plus, les dommages causés par la présence de plusieurs EEE dans une même zone pourraient être plus importants que la somme des impacts de chaque espèce (Magliozzi et al., 2020).
Comme les impacts négatifs d’une EEE peuvent être différents d’une zone à l’autre, influencés par les conditions environnementales locales, la sensibilité de l’écosystème et les aspects socio-économiques, ils en concluent ne pas pouvoir actuellement traduire la présence d’une EEE en un niveau de dégradation de l’écosystème.

Comprendre et quantifier l’ampleur des impacts, à l’aide de preuves issues la recherche et parvenir à des pratiques normalisées reste donc, selon eux, un défi (González-Moreno et al., 2019).
La résolution spatiale de 10 km acceptable pour des analyses nationales ou supranationales de la répartition de ces espèces n’est pas suffisante pour évaluer la présence réelle d’une espèce et identifier les zones d’intervention prioritaires. De plus, l’abondance des espèces ou une abondance relative pourrait être un meilleur prédicteur d’impact que la seule indication de présence, mais les données sur cette variable sont actuellement rares.
Hormis le fait que les efforts de surveillance des EEE ont pu être variables selon les pays, ce qui pourrait expliquer dans certains cas une présence et une propagation limitées des espèces répertoriées (une variable qui devrait alors être prise en compte dans l’interprétation des résultats), ils rappellent que cette évaluation a été réalisée sur un nombre restreint d’EEE.
Même en considérant l’élargissement progressif de la liste de l’Union, avec la deuxième mise à jour de 2019 et la troisième qui devrait intervenir cette année, de nombreuses EEE causant déjà des impacts négatifs importants n’y figureront pas.

Aussi, les domaines des recherches qui leur semblent à développer sont les suivants :

  • Renforcer l’implication des citoyens dans le signalement et la surveillance des EEE.
  • Développer des recherches pour obtenir des outils normalisés permettant de comprendre et de quantifier l’ampleur des impacts environnementaux, sociaux et économiques causés par les EEE. Hormis les protocoles d’évaluation des risques déjà utilisés, des protocoles normalisés pour quantifier les impacts des EEE sur les écosystèmes et leur fonctionnement pourraient par exemple aider à évaluer les seuils de dégradation des écosystèmes et à identifier les zones d’intervention prioritaires.

 

Quelques commentaires pour terminer

La conclusion générale de cette très large évaluation jugeant que l’état des écosystèmes dans l’Union Européenne est globalement défavorable n’est pas surprenante. Il nous semble cependant que les efforts engagés à l’échelle européenne pour construire la démarche et la base d’information maintenant disponible pour mettre en œuvre le “Green Deal” récemment négocié, constituent une démonstration tout à fait positive des possibilités d’actions à cette échelle.
Ce que présente le document est bien un socle de référence qu’il faudra faire évoluer au fil des mises à jour de la liste EEE européenne et des acquis des recherches menées sur les écosystèmes et les pressions que les activités humaines exercent sur eux. Il pourra à ce titre effectivement servir pour établir les comparaisons nécessaires pour faire évoluer les politiques européennes de protection de l’environnement.

Le bilan établi pour ce qui concerne les invasions biologiques, se référant à une liste de l’Union d’EEE préoccupantes déjà complétée par une mise à jour effective et bientôt par une autre, n’est pas non plus positif. Des espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour l’Union européenne sont observées dans tous les types d’écosystèmes avec des impacts quelquefois élevés. Les régions atlantique et continentale présentent des zones impactées relativement importantes mais des “points chauds” d’impact potentiel élevé ont été notés dans tous les types d’écosystèmes, indépendamment de la région biogéographique européenne concernée, pouvant indiquer la présence de plusieurs EEE dans une même zone ou l’invasion d’une grande partie de l’écosystème par une ou plusieurs espèces.

En complément de celui qui leur est spécifiquement consacré, les EEE font l’objet de commentaires dans deux autres chapitres du document. Dans le chapitre six présentant les grandes tendances des pressions et de l’état des écosystèmes, il est précisé qu’aucune tendance actualisée n’a pu être établie à l’échelle de l’Union Européenne. Ce qui a conduit pour cette pression des EEE à faire figurer un point d’interrogation pour tous les types d’écosystèmes dans le tableau récapitulatif des tendances à long terme (Tableau 6.5, page 411 du document).
Dans le chapitre 7, le dernier “récit” portant sur l’adaptation des espèces au changement climatique, qui pourrait être améliorée par de meilleures connexion des zones protégées et des écosystèmes naturels, comporte une alerte concernant les EEE : “Watch out for invasive alien species when connecting nature” (Attention aux EEE quand on connecte la nature !). Dans ce chapitre (7.4.4, page 440), il est rappelé que les réseaux écologiques peuvent constituer des voies de circulation pour les EEE et que les projets de restauration visant à créer des réseaux d’aires protégées connectées devraient tenir compte du risque de provoquer ou de faciliter de nouvelles invasions d’EEE (Glen et al, 2013).

N.B. : sur ce sujet restauration écologique, nous avions également formulé une alerte dans le cadre des travaux du groupe IBMA, précurseur du Centre de ressources, avec un article paru en 2014 attirant l’attention sur la mise en œuvre de la trame verte et bleue et un poster présenté lors du colloque national “Réparer la nature”, tenu à Brest en février 2016.

Par ailleurs, l’analyse de la situation sur cette problématique montre bien les limites des données recueillies et des interprétations qui peuvent en être faites. En particulier, la méthode d’évaluation des pressions exercées par les EEE sur les écosystèmes est une première tentative dont les auteurs présentent les biais et les insuffisances, comme l’attribution du même poids à la pression exercée par les différentes EEE de référence, alors que les impacts qu’elles sont susceptibles de produire peuvent être extrêmement différents. D’où la demande de recherches sur l’établissement de protocoles standardisés pour quantifier les impacts, de manière à mieux alimenter les réflexions de gestion…

Enfin, dans la conclusion du chapitre sur les EEE, en se référant à cette méthode d’évaluation de la pression et aux types d’écosystèmes utilisés dans ces travaux, les auteurs rappellent que les changements futurs de cette pression pourraient être attribués à des changements de :

  • Répartition géographique des EEE ;
  • Preuves de l’impact négatif des espèces sur les écosystèmes ;
  • Changements dans le nombre d’EEE considérées dans l’évaluation, au fil des révisions de la liste de l’Union ;
  • Répartition et/ou d’étendue des écosystèmes.

Ils terminent en notant que ces aspects devraient être pris en compte lors de l’interprétation des changements dans les évaluations futures mais n’est-ce pas aussi ce à quoi nous sommes en permanence confrontés, à toutes les échelles de gestion envisageables de ces espèces, du local ou mondial, et dont nous devons garder conscience pour espérer conserver une démarche d’adaptation efficace dans les interventions ?

 

Rédaction : Alain Dutartre, expert indépendant

Relectures et contributions : Emmanuelle Sarat et Madeleine Freudenreich (Comité français de l’UICN)

 

Références citées :

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