Dans une étude publiée en 2025 dans la revue Ecology and Society, les auteurs ont analysé les messages publiés sur Twitter portant sur les espèces exotiques envahissantes durant une période de quinze ans. Cette analyse a permis de caractériser le discours public, les opinions associées aux invasions biologiques et les biais de perception qui les accompagnent.
Le réseau social Twitter (désormais appelé X) constitue l’une des sources de données numériques pour étudier les interactions sociales des dernières années. Avec environ 330 millions d’utilisateurs actifs mensuels en 2019, la plateforme génère quotidiennement des milliards de messages. Ainsi, ces données offrent un accès direct aux perceptions, débats et représentations publiques liées à un grand nombre de sujets, dont les espèces exotiques envahissantes. Leur analyse peut permettre d’identifier les tendances d’opinion, de repérer les conflits entre les différents acteurs concernés et de comprendre quels taxons ou habitats suscitent principalement l’attention du grand public.
Dans cette étude, les auteurs ont quantifié, à travers Twitter, les taxons et habitats les plus mentionnés, les thèmes dominants et les sujets devenus viraux autour du sujet des espèces exotiques envahissantes.
Quelques définitions issues du jargon Twitter :
Tweet : Message publié sur la plateforme Twitter (X). Il s’agit d’un court texte, parfois accompagné d’images, de vidéos ou de liens. Chaque message est visible publiquement, sauf si le compte est privé.
Retweet : Repartage d’un tweet déjà publié par un autre utilisateur sur son propre. Il permet de diffuser le message d’origine à un plus grand nombre de personnes, en le faisant apparaître sur le fil d’actualité des abonnés de l’utilisateur qui le repartage.
J’aime (likes) : Indication qu’un utilisateur apprécie un tweet. En cliquant sur « J’aime », il ajoute un marqueur positif visible sous le message signalant son approbation ou son intérêt.
Réponses (replies) : Messages publiés directement en réaction à un tweet. Ils apparaissent sous le message initial et forment une conversation. Les réponses permettent aux utilisateurs d’échanger, de commenter ou de débattre du contenu.
Engagement : L’engagement correspond à l’ensemble des interactions qu’un tweet reçoit sur la plateforme. Cela inclut principalement les retweets, les « J’aime » et les réponses. L’engagement mesure donc l’intérêt et la participation des utilisateurs vis-à-vis d’un tweet, reflétant sa visibilité et son impact.
Corpus de tweets et mots utilisés
L’étude repose sur l’extraction de tous les tweets contenant l’expression exacte « invasive species » (en anglais) publiés entre le 2 octobre 2006 et le 1er octobre 2021, période précédant la fermeture de l’accès gratuit aux données de recherche. Le corpus final comprend 563 022 tweets et retweets, dont 255 700 tweets uniques issus de 165 754 comptes. Après nettoyage (homogénéisation orthographique, suppression des mots-outils, etc), les fréquences des mots utilisés ont été analysées. Les 2 000 termes et expressions les plus fréquents ont été classés manuellement selon qu’ils renvoyaient à un taxon ou à un type d’habitat.
Taxons et habitats dominants
Les 15 taxons les plus cités représentaient 14,4 % de toutes les occurrences. La moitié correspondait à des mammifères domestiques ou associés aux milieux urbains : chats, porcs, chiens, écureuils, chèvres, rats et chevaux (Fig. 1A).
Figure 1 : Diagramme de Sankey représentant les 15 taxons (A) et les 15 habitats (B) les plus souvent mentionnés dans le contexte des espèces envahissantes sur Twitter, classés selon leurs interactions (tweets, retweets, « j’aime », réponses). La partie (A) présente les taxons spécifiques regroupés en grandes catégories taxonomiques (invertébrés, poissons, herpétifaune, mammifères, plantes), chacune représentée par une couleur distincte. La partie (B) montre les types d’habitats répartis en catégories aquatiques, interface terre-eau et terrestres, également représentées par différentes couleurs. Dans les deux figures, la hauteur de chaque bande correspond à la proportion relative de chaque type d’interaction (somme des tweets, retweets, « j’aime » ou réponses). Les valeurs situées au-dessus de chaque bande indiquent le nombre total d’interactions pour chaque groupe.
Dans le classement des habitats, 5,9 % des tweets mentionnaient l’un des 15 types identifiés, les îles étant les plus représentées. Les milieux aquatiques et les interfaces terre-eau dominaient largement, montrant l’importance des enjeux perçus dans ces environnements (Fig. 1B).
Cette distribution reflète le rôle central de l’émotion et du « charisme » animal dans la visibilité des espèces sur ce réseau numérique. Plus de la moitié des mentions concernent des mammifères emblématiques, souvent associés à des conflits humains–faune, en décalage avec leur importance écologique réelle dans le contexte des invasions biologiques.
Thèmes abordés
Une analyse thématique a permis d’identifier 40 thèmes abordés dans les différents tweets analysés. Ces thèmes ont ensuite été regroupés en 10 catégories majeures (Fig. 2). Ainsi, le discours en ligne s’organise notamment autour :
- des conflits humains–faune,
- des impacts sur la biodiversité,
- des coûts économiques,
- des responsabilités humaines,
- des voies d’introduction,
- des débats politiques et idéologiques.
Figure 2 : Fréquence des tweets associés à chaque thème (texte à gauche des diagrammes en barres), déterminée à l’aide du modèle Biterm Topic Modeling (BTM). Chaque tweet a été attribué au thème pour lequel il présentait la probabilité la plus élevée. Les thèmes ont ensuite été regroupés manuellement en 10 catégories plus larges.
Facteurs d’engagement
L’étude a isolé les tweets devenus viraux (c’est-à-dire ayant rapidement atteints des niveaux de forts engagements ou ayant suscité un engagement exceptionnellement élevé. Dans la table 1 sont présentés quelques exemples représentatifs de l’influence de facteurs tels que la médiatisation, les campagnes de sensibilisation, la présence d’espèces charismatiques, les changements de règlementation ou les alertes de biosécurité. Les pics d’activité sont fréquemment liés à des vidéos ou des narratifs sensationnalistes. Les espèces charismatiques y sont nettement surreprésentées.
Taxon / Sujet | Message du tweet | Catégorie | Facteur suscitant l’engagement | Engagement | Année |
Poisson rouge (Goldfish) | Don’t ever do this. Gold Fish are an invasive species, they decimate local ecosystems. This isn’t funny or cute, this is awful. If you really want to help these fish just be a good pet owner. | Charisme | Filière animalerie : réponse à une vidéo virale montrant le relâcher en milieu naturel de poissons rouges. | 98 102 likes | 2020 |
Moule zébrée (Zebra mussel) | If you purchased a Marimo moss ball after February of 2021 you could be unintentionally releasing one of the most devastating invasive species into your local waterways. USFWS has outlined what you can do to properly dispose of the moss balls to hopefully avoid further damage. | Autre | Alerte d’invasion : découverte de moules zébrées (Dreissena polymorpha) dans des « moss balls » (Boules de mousse) vendus en animalerie aux États-Unis et au Canada, entraînant des alertes de l’USFWS et de l’ACIA. | 14 705 retweets | 2021 |
Poisson-lion (Lionfish) | Went spear fishing for the Lion Fish today, an invasive species here in Belize. Saving the ocean with @Oceana ____ | Influenceur sur les réseaux sociaux / Personnalité publique | Influenceur sur les réseaux sociaux : publication de Logan Paul (6,7 millions d’abonnés) sur la chasse au poisson-lion au Belize. | 2 466 likes ; 305 retweets | 2016 |
Table 1 : Exemples de cas d’engagements exceptionnellement élevés sur des taxons spécifiques sur Twitter. Le tableau présente les taxons concernés, un exemple de tweet original, ainsi que le contexte du sujet. Les indicateurs reflètent le nombre total de tweets et retweets enregistrés.
Avec seulement 1 % des utilisateurs générant 60 % des retweets sur les espèces exotiques envahissantes, l’analyse révèle une concentration marquée d’influenceurs. Cette minorité d’utilisateurs les plus influents comprend principalement des sources fiables, telles que des journalistes et médias (61 %), suivis par des agences gouvernementales, des organisations de conservation et des scientifiques. Toutefois, certains tweets ayant suscité un engagement très élevé peuvent également être publiés par des personnalités publiques dépourvues de formation scientifique, comme le montre l’exemple de Logan Paul (table 1, 3ème ligne).
Conclusion
Cette analyse montre que les données issues des réseaux sociaux constituent un outil pertinent pour caractériser le discours public sur les invasions biologiques. Elles permettent notamment de mettre en évidence des écarts entre les préoccupations du public et les priorités scientifiques, d’identifier les thématiques générant le plus d’attention ou d’engagement, et de mieux comprendre l’influence des dynamiques médiatiques sur la visibilité de certains taxons ou événements.
Comme l’ont déjà montré de nombreuses études, les mammifères dits charismatiques bénéficient d’une plus grande visibilité sur internet, sans que cela reflète leur importance écologique réelle dans les processus d’invasion biologique. À l’inverse, les plantes exotiques envahissantes, bien que responsables d’impacts écologiques majeurs, captivent peu le public et bénéficient donc d’une faible visibilité. Cette asymétrie illustre le phénomène de « cécité aux plantes » décrit par certains écologues : bien que les végétaux représentent 57 % des espèces menacées et incluent de nombreux taxons exotiques envahissants à forts impacts, ils attirent très peu d’attention en ligne et reçoivent moins de 4 % des financements dédiés à la conservation.
L’étude montre également que les publications générant les plus forts engagements sont souvent celles associées à de fortes réactions émotionnelles, telles que l’inquiétude à la suite de l’annonce de nouvelles invasions ou l’indignation suscitée par des campagnes d’abattage de mammifères exotiques charismatiques. Par ailleurs, plusieurs tweets emploient le terme « invasive species » pour désigner des espèces indigènes ou non envahissantes, révélant des difficultés récurrentes de communication et/ou de fréquentes confusions taxonomiques. Les réseaux sociaux favorisent ainsi la diffusion rapide de ces informations erronées, venant compliquer les efforts de sensibilisation.
Compte tenu du volume et de la diversité des données qu’ils génèrent, les réseaux sociaux peuvent ainsi constituer, sans s’y substituer, un complément utile aux approches classiques d’analyse des perceptions. Les informations collectées dans le cadre de cette étude peuvent aider chercheurs, décideurs et gestionnaires à mieux cibler leurs actions, à renforcer la diffusion d’informations exactes et à aligner les stratégies de communication et de gestion sur les préoccupations du public, contribuant à une meilleure prise en compte des enjeux liés aux invasions biologiques.
Pour en savoir plus :
- L’article scientifique (en anglais) : Canavan, S., Pipek, P., Canavan, K., Jarić, I., Healy, K., Lieurance, D., … & Novoa, A. (2025). From habitats to hashtags: examining online discussions about invasive species. Ecology and Society, 30(4).
- L’article du magazine « GEO »
- Le communiqué de presse de la Newscastle University (en anglais)
Rédaction : Camille Bernery (Comité français de l’UICN)
Relecture : Alain Dutartre (expert indépendant)
Crédits photo en bandeau : Stefan Dreesen, CC BY 4.0