Bilan du projet CLEVER : évaluation des impacts environnementaux des plantes exotiques envahissantes de France

Le CBNSA, avec la contribution de l’OFB, de l’Anses, du Comité français de l’UICN, du réseau des CBN et de la DREAL Nouvelle-Aquitaine, a testé pendant deux ans des protocoles adaptés des méthodes EICAT et EICAT+ d’évaluation des impacts environnementaux des espèces exotiques, afin de déterminer s’ils peuvent être utilisés efficacement sur la flore exotique aux échelles nationale et régionale en France hexagonale.

Contexte

Carpobrotus edulis sur une dune blanche (EU 2120) de la côte atlantique © Aurélien Caillon

Le projet CLEVER (Classification des impacts environnementaux des Espèces Végétales Exotiques Résidentes en France hexagonale) s’est déroulé en 2023 et 2024. Il visait à évaluer le potentiel des méthodes EICAT et EICAT+ pour l’évaluation des impacts environnementaux des plantes exotiques envahissantes (PEE). Les méthodes EICAT (Environmental Impact Classification of Alien Taxa) et EICAT+ servent respectivement à évaluer les impacts environnementaux négatifs et positifs des espèces exotiques (EE) qu’elles soient animales ou végétales.

Ce projet était porté par le Conservatoire botanique national Sud-Atlantique (CBNSA), en collaboration avec l’OFB (Office français de la biodiversité), l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), le Comité français de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) et le réseau des CBN (Conservatoires botaniques nationaux). Il était financé par l’OFB et la DREAL Nouvelle-Aquitaine (Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement).

Il avait pour objectif de répondre à l’actuelle absence de standardisation méthodologique des évaluations d’impacts de la flore exotique. En effet, en France hexagonale, les PEE sont identifiées par les CBN à l’échelle régionale en utilisant diverses méthodes d’évaluations de risques. Cette diversité d’approches rend difficile la comparaison des listes régionales et empêche leur compilation pour créer une liste nationale de PEE. Le projet CLEVER visait donc à statuer sur la possibilité d’admettre EICAT et EICAT+ en tant que méthodes standards pour l’évaluation des impacts environnementaux des PEE. Ce projet sur la flore comportait deux volets : un test régional (en Nouvelle-Aquitaine) sur 100 PEE identifiées par le CBNSA, et un test national (hexagone et Corse) sur 228 espèces identifiées par les CBN comme étant les principales PEE en France.

Méthodes

Les méthodes EICAT et EICAT+ sont centrées sur l’évaluation de l’impact des EE sur la dynamique des populations, sous-populations ou populations locales d’espèces indigènes. Elles ne concernent pas les impacts des EE sur les assemblages d’espèces (composition, structure, etc.) ni sur les écosystèmes (production, fonction, etc.). Elles ne concernent pas non plus les impacts socio-économiques et sanitaires. Les mécanismes d’impacts étudiés par ces méthodes sont au nombre de 13 et 11 respectivement, tels que la compétition et l’hybridation avec des espèces indigènes pour la méthode EICAT, ou la fourniture de ressources trophiques ou la facilitation de la dispersion pour la méthode EICAT+. Les catégories d’impacts attribuées sont au nombre de 5 pour les deux méthodes, avec par exemple les catégories Massif (MV), Majeur (MR) et Modéré (MO) qui rassemblent les taxons “impactant” négativement.

Le projet CLEVER a utilisé la même approche pour le volet régional et pour le volet national. Après avoir rassemblé un comité d’experts scientifiques et techniques, la première phase du projet fut consacrée à l’adaptation des méthodologies EICAT et EICAT+ pour la flore aux échelles régionale et nationale. En effet, bien que pouvant en principe être appliquées à n’importe quelle échelle géographique, EICAT et EICAT+ sont en réalité quasiment exclusivement utilisées à une échelle mondiale. Une attention particulière a été portée à ne pas modifier sensu-stricto les méthodes originales, afin de ne pas perdre le caractère standardisé recherché. Deux adaptations principales ont été testées :

  1. L’utilisation d’observations de terrain et du dire d’experts comme données d’impacts, en complément des données sourcées (littérature scientifique et grise, rapports, etc.). Ces dernières sont normalement les seules données utilisées dans les protocoles EICAT et EICAT+. Cependant, les données sourcées sont rares aux échelles régionale et nationale, et ne concernent souvent que peu d’espèces. L’utilisation d’observations de terrain et de dire d’experts avait donc pour but de pallier à ce déficit de données. Une clé a aussi été conçue à partir de critères objectifs et observables afin de faciliter la traduction des observations de terrain en catégories d’impacts EICAT.
  1. L’identification des PEE ayant des impacts sur les Habitats d’Intérêt Communautaire (HIC) ou sur les espèces indigènes à enjeux de conservation (espèces menacées d’après la Liste rouge de l’UICN, ZNIEFF, etc.). Ces types d’impacts ne sont pas considérés par les méthodes mais sont pourtant souvent utilisés pour prioriser la gestion des EEE. Ces informations permettaient donc de compléter les évaluations EICAT et EICAT+.

 

Une fois ces adaptations méthodologiques adoptées, la deuxième phase du projet consistait à réaliser les évaluations proprement dites et celles-ci se sont déroulées en quatre étapes (Figure 1). Les données d’impacts ont été récoltées dans toutes les sources bibliographiques disponibles, ainsi qu’à partir d’observations de terrain de naturalistes venant de toute la France –pour le volet national– ou de Nouvelle-Aquitaine –pour le volet régional–. L’expertise de nombreuses structures et experts a été sollicitée pour obtenir leurs dires (CBN, Conservatoires d’Espaces Naturels, chercheurs, gestionnaires, réserves naturelles, etc.). Chaque donnée d’impact a ensuite été pré-évaluée suivant les protocoles EICAT et EICAT+. Par la suite, pour chaque PEE, les impacts ont été synthétisés et une proposition d’évaluation a été émise. Enfin, les propositions d’évaluations ont été examinées au cours d’ateliers de validation, durant lesquels les propositions ont été relues, améliorées et validées par un comité de spécialistes des PEE pour obtenir des évaluations finales.

Figure 1. Etapes des évaluations EICAT et EICAT+ lors du projet CLEVER

Résultats des adaptations

Les tests réalisés durant le projet CLEVER montrent que les protocoles modifiés des méthodes EICAT et EICAT+ permettent d’évaluer les impacts des PEE aux échelles régionale et nationale. En effet, le taux de taxons ayant été évalués et classés en « Données insuffisantes » est limité pour les deux méthodes, à 5% et 17% respectivement pour les évaluations EICAT nationales et régionales, et à 37% pour les deux types d’évaluations EICAT+. Les évaluations révèlent que la méthode EICAT présente un vrai intérêt du fait de la rigueur des analyses et du fait de la classification des résultats.

Les adaptations méthodologiques testées dans le cadre du projet se sont révélées d’une utilité contrastée. La prise en compte du dire d’experts et des observations de terrain apparaît comme indispensable pour des évaluations à l’échelle régionale ou nationale. Comme attendu, la bibliographie présentait de fortes lacunes aux deux échelles : 39% et 86% des taxons n’avaient pas de données d’impacts respectivement négatifs et positifs dans la bibliographie à l’échelle nationale, et ces pourcentages étaient encore plus forts à l’échelle régionale.

A l’inverse, la prise en compte des impacts sur les HIC et les espèces à enjeux s’est montrée peu utile pour prioriser les PEE. Dans le cas des HIC, cela s’explique par le fait que la très grande majorité des taxons avec un impact notable (Modéré ou supérieur) ont aussi un comportement envahissant dans les HIC, ce qui enlève l’intérêt de ce critère pour prioriser les taxons. Pour les espèces à enjeux, il est apparu que la connaissance actuelle de ce type d’impact était trop fragmentaire pour que ce critère puisse être utilisé à des fins de priorisation (seules 37 PEE identifiées avec ce type d’impact lors des évaluations nationales).

Le projet CLEVER a également permis de découvrir des limites méthodologiques importantes et non discutées dans la littérature scientifique. La plus forte limite identifiée était que les deux méthodes, bien que construites en miroir, ne produisaient pas des évaluations comparables. En effet, les impacts négatifs des PEE affectent souvent davantage d’espèces indigènes que leurs impacts positifs. Or cette information n’est pas prise en compte par les deux méthodes, ce qui fait que certaines PEE ont des catégories d’impact EICAT et EICAT+ équivalentes alors qu’elles ont un effet majoritairement négatif sur les écosystèmes. Pour éviter de faire des comparaisons biaisées des deux méthodes, il est recommandé de ne pas utiliser EICAT+ lors de l’élaboration de listes hiérarchisées.

Résultats des évaluations

Dans les deux volets du projet, les évaluations indiquent que les taxons avec des impacts négatifs sont en moyenne plus nombreux que les taxons avec des impacts positifs (Figure 2). A l’échelle régionale, 51 des 100 PEE évaluées ont été identifiées comme ayant des impacts négatifs significatifs (catégories Modéré, Majeur, Massif). A l’échelle nationale, ce nombre monte à 129, sur les 228 taxons évalués.  

Figure 2. Catégories d’impacts obtenues pour les 228 PEE évaluées à l’échelle de la France hexagonale (Corse inclue) avec les méthodes EICAT (gauche) et EICAT+ (droite).

Les mécanismes d’impacts négatifs les plus fréquents étaient, par ordre d’importance, la compétition avec la flore indigène, les impacts sur les écosystèmes (structure, chimie, etc.) et les impacts indirects sur la faune inféodée aux plantes indigènes (Figure 3). Les impacts positifs étaient souvent faibles, et concernaient principalement la fourniture de ressources trophiques pour la faune indigène. Les évaluations semblent ainsi indiquer que les impacts négatifs des PEE affectent majoritairement la flore, alors que leurs impacts positifs affectent plutôt la faune -généraliste notamment-, même si les contre-exemples sont nombreux.

Enfin, l’application conjointe de EICAT et EICAT+ permet de constater qu’il y a actuellement en France une bien meilleure connaissance des impacts négatifs des PEE que de leurs impacts positifs. Cela s’observe sur la confiance qui est attribuée aux évaluations, qui est bien plus forte pour EICAT que EICAT+, et par le nombre de taxons classés « Données insuffisantes », qui est plus faible pour EICAT que EICAT+ (Figure 2).

Figure 3. Mécanismes d’impacts identifiés lors des évaluations EICAT et EICAT+ à l’échelle nationale

Conclusions et perspectives

En confirmant le potentiel de la méthode EICAT, le projet CLEVER ouvre la porte à une standardisation des évaluations des impacts environnementaux négatifs des PEE en France. Ce travail ne constitue néanmoins que le premier élément d’un processus de standardisation des méthodes d’évaluations de risques. En effet le risque associé aux PEE doit être évalué non seulement à partir des impacts environnementaux, mais également en tenant compte de la dynamique des espèces, de leurs capacités de dispersion, de leurs répartitions sur le territoire, etc. Dans le futur il serait donc intéressant d’adapter les méthodes d’évaluations de risques déjà utilisées et reconnues (méthode OEPP, Harmonia+, etc.) pour permettre l’intégration des données EICAT dans la partie de l’analyse portant sur l’évaluation des impacts sur l’environnement.

EICAT pourrait aussi devenir un outil puissant pour la prévention et la détection précoce des EEE. En effet, si l’utilisation de cette méthode se généralise à l’échelle mondiale, à l’image de ce qui est fait pour les listes rouges de l’UICN, alors les évaluations réalisées dans d’autres pays avec des conditions environnementales similaires à la France pourraient être utilisées comme proxy de l’impact potentiel de taxons n’étant pas encore installés en France.

Les évaluations nationales produites dans le cadre du projet CLEVER constituent le travail le plus abouti à ce jour sur les impacts des PEE en France hexagonale (Corse inclue). Ces évaluations serviront de base pour l’élaboration d’une liste nationale scientifique de référence des PEE de France hexagonale. La création d’une telle liste nécessitera cependant un travail supplémentaire considérable puisqu’il faudra évaluer l’ensemble des plantes exotiques naturalisées dans le pays, soit environ 900 espèces.

Enfin, les résultats de ce projet viennent alimenter la Stratégie nationale relative aux EEE (Ministère de l’écologie, 2017) et la Stratégie nationale pour la biodiversité à l’horizon 2030 (Ministère de l’écologie, 2023 ; dont la mesure 10 spécifiquement les EEE). Les évaluations EICAT nationales permettent d’identifier par exemple de nouvelles PEE à réglementer, et seront donc utilisées pour enrichir la liste nationale réglementaire complémentaire à la liste européenne (comptant actuellement 88 EEE interdites dont 41 PEE), comme préconisée par le Règlement européen sur les EEE (Article 12 du Règlement UE N°1143/2014).

Pour plus d’informations sur le projet CLEVER

  • Rapport national du Projet CLEVER – Evaluation des impacts environnementaux des plantes exotiques envahissantes de France hexagonale avec les méthodes EICAT et EICAT+ (avec les tableaux d’évaluations en téléchargement) : https://ofb.hal.science/hal-04849573v1
  • Guide d’utilisation de la méthode EICAT pour l’évaluation des impacts environnementaux des plantes exotiques : https://ofb.hal.science/hal-04922702v1
  • Lancement du projet CLEVER : classification des impacts environnementaux des espèces végétales exotiques résidentes en France métropolitaine : consulter l’article 
  • Evaluer les impacts environnementaux des plantes exotiques envahissantes ? Premières avancées du projet CLEVER en Nouvelle-Aquitaine : consulter l’article 

Rédaction : Thomas de Solan (CBNSA)

Relecture : Véronique Barthélémy (DREAL Nouvelle-Aquitaine), Yohann Soubeyran (UICN France), Guillaume Fried (ANSES), Arnaud Albert (OFB)

Crédits photo en bandeau : Baccharis à feuilles d’Arroche © César María Aguilar Gómez CC BY-NC 4.0