Le chien (Canis familiaris) est la première espèce animale que l’humain ait domestiquée. Cette domestication se serait produite à partir du début du Paléolithique supérieur, entre 20 000 et 40 000 ans avant notre ère. Ses rôles dans les sociétés humaines se sont considérablement diversifiés au fil du temps, passant de compagnon de chasse et gardien, à compagnon de jeu ou fidèle guide d’aveugle. Le chien figure actuellement parmi les animaux de compagnie les plus fréquents dans de nombreux pays du monde.
Les capacités cognitives et olfactives de ces animaux continuent à faciliter de multiples activités autres que celle de simples gardiens et que les humains leur font mettre en œuvre dans une très large gamme d’objectifs et de situations. En effet, les chiens peuvent détecter de très nombreuses substances, avec une zone d’épithélium olfactif beaucoup plus grande que celle de l’homme (18 à 150 cm² contre 3 cm²) (Thorne, 1995).
Cette capacité de détection extrêmement importante, couplée à l’intelligence, la sociabilité, et la grande capacité d’apprentissage de ces animaux, en fait des auxiliaires très efficaces de certains besoins humains.
Un flair efficace pour nous aider
Après un entrainement approprié, ces chiens renifleurs ou chiens de détection peuvent en effet localiser rapidement et précisément des odeurs de natures très diverses, d’origine biologique (odeurs humaines, animales ou végétales) ou non (produits chimiques ou technologiques). Ils sont notamment capables d’apporter des aides tout à fait efficaces dans le repérage de d’explosifs, de mines, d’accélérateurs d’incendie, de produits médicamenteux ou d’autres produits industriels, de monnaie, d’armes à feu, voire même de produits technologiques (ex. téléphones portables). Ils peuvent également être d’excellents auxiliaires des services des douanes pour inspecter bagages, fret et colis afin de détecter les végétaux, les animaux et les produits agricoles interdits pouvant transporter des parasites végétaux ou des maladies animales exotiques. Aux Etats-Unis, par exemple, un centre national de dressage de chiens de détection existe au sein du Service d’inspection de la santé animale et végétale (APHIS).
S’il semble plus évident que les capacités olfactives des chiens puissent porter sur les odeurs d’origine biologiques, la gamme extrêmement étendue de leurs possibilités est cependant tout à fait étonnante. En ce qui concerne les odeurs humaines, il ne s’agit pas seulement de la capacité de discriminer les humains, faculté utilisée par la sécurité publique pour retrouver des disparus (vivants ou décédés) ou des criminels en fuite, mais aussi de détecter des odeurs spécifiques de certaines maladies ou affections telles que le cancer (cancer du sein par exemple) et le diabète. Pour le diabète, l’entrainement du chien passe par le repérage d’échantillons d’haleine et de sueur correspondant à des glycémies particulières, permettant à l’animal de détecter et d’avertir dès l’apparition de signes d’hyper ou d’hypoglycémie.
Pour les odeurs végétales, les chiens peuvent par exemple être utilisés pour trouver des champignons à haute valeur gastronomique comme les truffes (Tuber melanosporum) et les bolets (Boletus edulis) ou à l’inverse des moisissures attaquant le bois.
Leurs utilisations en tant que détecteurs sont encore plus diversifiées en matière d’odeurs animales et peuvent toucher la plupart des taxons, depuis les insectes (comme par exemple les termites ou certaines fourmis) jusqu’aux mammifères. Il s’agit de détecter les animaux eux-mêmes ou leurs traces, en particulier les excréments. Par exemple, des inspections d’appartements réalisées par un chien pour repérer des punaises de lit peuvent être très efficaces et beaucoup plus rapides qu’un examen par un homme.
Des aides incomparables dans la conservation d’espèces
Par ailleurs, les chiens sont aussi employés comme détecteurs d’espèces animales menacées pour en protéger les populations. Ceci depuis quelques décennies, dans le cadre de différents projets de recherche ou de programmes de conservation.
Par exemple, Cristescua et al. (2019) ont testé la polyvalence de chiens de détection pour la gestion conservatoire du Koala (Phascolarctos cinereus). Une équipe de cinq chiens été formée : deux pour détecter les habitats du Koala à l’aide des excréments, un pour l’échantillonnage génétique (excréments frais uniquement), un pour détecter les koalas eux-mêmes et un pour la détection d’une maladie les affectant (Chlamydia spp.).
Les chiens ont permis la réalisation d’enquêtes à grande et à petite échelle, avec 2 370 enquêtes effectuées et 1 479 échantillons génétiques collectés. Les auteurs ont évalué les limitations des chiens de détection dans ce domaine, comme par exemple les conditions environnementales régnant lors des enquêtes de terrain, et, par ailleurs, leurs intérêts dans l’aide apportée aux chercheurs et aux gestionnaires des terres dans la collecte de données plus robustes pouvant contribuer à mieux éclairer les décisions de conservation.
Un autre exemple est le suivi de la dynamique de la population d’ours bruns dans les Pyrénées, fondé sur la recherche et la collecte d’échantillons biologiques (poils, crottes…) et permettant l’identification génétique des ours. Les chiens détectent facilement les crottes et permettent une forte amélioration des données utilisables. Dans leur article, Sentilles et ses collègues (2018) présentent les différentes étapes du programme de dressage et les premiers résultats qu’ils jugent très encourageants. En 2014 et 2015, alors qu’il fallait compter en moyenne 4,9 sorties avec le chien pour espérer trouver une crotte d’ours, il en fallait 245 sans chien, démontrant l’efficacité de cette technique par rapport aux méthodes de suivi classiques. En 2015, le nombre total de crottes collectées a été six fois supérieur à la moyenne des cinq années précédentes en l’absence de chien et 87 % de cette collecte a été faite par le chien de détection.
Et les EEE dans tout ça ?
Les capacités de détection des chiens sont par ailleurs de plus en plus utilisées à propos d’EEE et des programmes, des expérimentations et des tests existent dans de nombreux pays pour promouvoir et développer ces pratiques.
N.B. : Les informations présentées ci-après ne sont que des exemples. Une compilation plus large devrait présenter un grand intérêt dans l’évaluation des possibilités envisageables et des modalités de développement de cette technique.
C’est par exemple le cas en Nouvelle-Zélande où un programme de conservation engagé depuis plusieurs décennies a recours à des chiens de détection pour repérer les espèces protégées et, plus récemment, diverses espèces exotiques envahissantes comme des rongeurs, des mustélidés, des fourmis ou encore des plantes indésirables.
“Working Dogs for Conservation” est une organisation américaine de chiens détecteur de conservation, mais pas seulement. Leurs activités développées sur les EEE sont présentées dans le contexte de biosécurité, incluant prévention, détection précoce, cartographie des colonisations par ces espèces ou la recherche du dernier individu dans la mise en œuvre d’une éradication (“finding every last individual during eradication“). Dans la présentation de leurs réalisations, ils citent des programmes sur des espèces végétales, des mollusques et des serpents.
Un programme concernait le Pastel des teinturiers ou guède (Isatis tinctoria.), une plante herbacée originaire d’Europe du Sud-Est et d’Asie, considérée comme une espèce exotique envahissante dans une partie des États-Unis. La colonisation par cette espèce du mont Sentinel au Montana a fait l’objet d’interventions par des bénévoles pendant une décennie, sans que cette colonisation ne régresse. L’utilisation de chiens de détection, repérant les plantes quel que soit leur développement et avant la production des graines ou les fragments de racines, ont permis en quatre ans de réduire de plus de 99,8 % la population végétale présente.
Dans une étude de faisabilité de la détection de l’Agrile du frêne (Agrilus planipennis), coléoptère dont les larves s’attaquent au bois, pouvant conduire à la mort des arbres colonisés, les chiens ont également fait preuve d’une grande efficacité. Ils ont été capables de distinguer le bois de frêne des autres arbres et espèces d’arbustes et de paillis, mais également de détecter la présence ou non d’infestation dans le bois de frêne ainsi que la présence d’œufs, larves et adultes du coléoptère, y compris lors d’inspections de produits du bois.
Des tests de détection des deux espèces de moules invasives, moule zébrée (Dreissena polymorpha) et moule quagga (Dreissena rostriformis bugensis) ont permis de confirmer l’efficacité du flair des chiens. En effet, ils ont identifié 100 % des bateaux supportant des moules, en détectant également des larves véligères microscopiques en nage libre indétectables à l’œil nu, alors que les observateurs humains n’en ont trouvé que 75 % et de plus dans un temps beaucoup plus court. Le texte de présentation de ces tests note enfin que les chiens ont été d’excellents ambassadeurs du projet, aidant à faciliter l’éducation et la sensibilisation qui font partie intégrante de la prévention.
Le capital de sympathie des chiens auprès du public peut en effet jouer un rôle très utile dans ce domaine.
Poissons
Dans son mémoire de thèse de 2018 consacré à la détection d’espèces aquatiques par des chiens, Jesse Austin Quaife a testé leur capacité à détecter dans l’air des molécules volatiles émises par des poissons en flairant les échantillons d’eau qui les contenaient. Ses travaux font partie d’un programme de l’Université de Waikato en Nouvelle-Zélande portant en particulier sur la Carpe koï, un poisson causant des nuisances notables dans certains plans d’eau du pays. Quaife a mené quatre expériences dans lesquelles les chiens ont d’abord été confrontés à des échantillons d’eau d’aquarium, certains ayant contenu des carpes koï (Cyprinus carpio), d’autres sans poisson. Une autre expérience comportait des dilutions des eaux d’aquarium pour atteindre des concentrations similaires à celles trouvées dans l’environnement naturel. Deux autres expériences avaient pour objectif de déterminer si les chiens pouvaient distinguer la carpe koï d’un poisson éloigné (Poisson-chat à tête brune, Ameiurus nebulosus) ou d’un poisson apparenté (Poisson rouge, Carassius auratus).
Dans les quatre expériences, les chiens ont pu identifier correctement les eaux qui avaient contenu la Carpe koï et ignorer les autres échantillons (sans poisson ou avec les deux autres espèces de poisson) avec une précision supérieure à 80 %. L’auteur conclut donc que les chiens sont capables de détecter avec précision la présence de carpes koï dans des échantillons d’eau à des concentrations similaires à celles trouvées dans l’environnement naturel et de faire la distinction entre au moins trois espèces de poissons.
Mammifères
Le Vison d’Amérique, espèce exotique envahissante fréquentant les mêmes types de milieux que le vison d’Europe, représente une menace pour les populations du vison indigène dont la répartition en métropole a fortement régressé. Le dressage d’un chien de détection avec pour objectif la discrimination des deux espèces a permis un test de cette technique (Sentilles et al., 2018). L’entrainement du chien s’est porté sur l’identification des fèces des deux espèces et les essais en conditions réelles sur le terrain durant l’hiver 2017-2018 ont permis de confirmer l’efficacité de la détection avec les analyses génétiques réalisées sur les fèces découvertes par le chien. Des tests complémentaires sont prévus.
Les bactéries aussi…
La maladie du verdissement des agrumes est une maladie bactérienne causée par Candidatus Liberibacter spp. Cette bactérie est un phytopathogène transmis par des insectes vecteurs, les psylles. Elle est la cause d’une très grave pandémie au sein des cultures horticoles. Parmi les difficultés de sa détection figurent une présence qui peut être erratique au sein des arbres infectés et une incubation de plusieurs mois avant apparition de symptômes visibles.
Le recours à des chiens de détection comme système d’alerte précoce a été mené en trois phases de complexité croissante pour former les chiens à reconnaître l’odeur des arbres infectés. Des tests ultérieurs ont été conduits pour tester les performances et la précision de détection. Dans l’ensemble, les chiens ont présenté une précision 99,05 % et lorsque deux chiens ont été utilisés en même temps pour obtenir un consensus de détection, cette précision a été portée à près de 100 %.
Les plantes
Chez les végétaux, des spartines font par exemple l’objet d’interventions de régulation à l’aide de chiens de détection pour limiter la colonisation des zones d’estuaires en Nouvelle-Zélande par ces espèces et leur hybride (f Spartina alterniflora, S. anglica et S. × townsendii).
Il en est de même pour les renouées du Japon. Dans une information récente du CABI, il est fait mention du dressage en Irlande de chiens de détection pour repérer des petits fragments de Renouée du Japon (n’importe quelle partie de la plante) sur les sites colonisés et dans la terre végétale remaniée, ceci en toute saison, même en dormance et enterrée (une profondeur de 1 mètre est même citée).
En complément de rappels sur les enjeux de la colonisation de nombreux sites par les renouées, l’article présente un panégyrique de l’utilisation des chiens dans cette détection d’espèces indésirables, dont leur capacité à travailler toute l’année alors que les méthodes d’observation classiques peuvent dépendre de la saison, leur rapidité et leur précision de détection, y compris dans des terrains difficiles d’accès ou envahis par la végétation. Les chiens pouvant même être équipés de harnais GPS localisant leurs alertes pour que les équipes puissent intervenir ensuite avec les coordonnées exactes des colonisations.
En guise de commentaire final ?
Ce catalogue est loin d”être exhaustif et n’a donc pas la prétention de produire une liste représentative de l’ensemble des tests de capacités de détection des chiens actuellement en cours à l’échelle mondiale, mais cette première synthèse ouvre un questionnement sur le recours à un animal de compagnie pour en faire un auxiliaire possible de nos nécessités de gestion des EEE.
Par exemple, il semble nécessaire de relativiser les réflexions quelquefois enthousiastes présentant certains des résultats surprenants obtenus lors des tests. Il n’est pas question de remettre en question ces résultats mais bien de rappeler que la mise en oeuvre de ces auxiliaires potentiels de gestion de certaines EEE nécessite des mois d’éducation et d’entrainement préalables, c’est-à-dire un temps de préparation et un investissement importants.
Ce qui devrait peut-être amener à des choix de développement de cette méthode d’investigation portant plus particulièrement sur des espèces difficiles à détecter, soit pour des raisons de nombre d’individus (exemple du vison d’Amérique ?) ou pour des raisons de visibilité réduite (fragments de rhizomes de renouées par exemple ?).
En revanche, le rôle d’ambassadeurs de la gestion que pourraient jouer ces chiens auprès du grand public, ainsi que le rapporte la présentation des tests sur les moules d’eau douce exotiques envahissantes, en lien direct avec le capital de sympathie de ces animaux proches des humains, devrait être considéré avec intérêt comme un moyen éventuel de réduction des conflits qui se produisent régulièrement dans certains contextes de gestion.
Rédaction : Alain Dutartre, expert indépendant
Relectures : Madeleine Freudenreich, Emmanuelle Sarat, Comité français de l’UICN
En savoir plus :
- Cristescua R. H., Millera R. L., Frèrea C. H. 2019. Sniffing out solutions to enhance conservation: How detection dogs can maximise research and management outcomes, through the example of koalas. Australian Zoologist. 18 p.
- Quaife, J. A. (2018). Detection of an invasive aquatic species by canine olfaction (Thesis, Master of Applied Psychology (MAppPsy)). The University of Waikato, Hamilton, New Zealand. Retrieved from https://hdl.handle.net/10289/12124
- Sentilles, J., Bellanger, C., Fayet, M., Steinmetz, J., Guinot-Ghestem M. 2018. Un chien de détection pour le suivi des espèces invasives ? Faune sauvage n° 321 : 26-27.
- Thorne, C. (1995). Feeding behaviour of domestic dogs and the role of experience. In: The Domestic Dog: its Evolution, Behaviour and Interactions with People. Edited by J. Serpell. Cambridge: Cambridge University Press. pp 103-114.