Comment l’humain transforme les communautés d’oiseaux insulaires par l’introduction d’oiseaux exotiques

L’humain ne se contente pas de déplacer des espèces d’un bout à l’autre de la planète, il sélectionne aussi avec soin certaines familles d’espèces dont les caractéristiques présentent un intérêt pour lui. Une équipe de recherche internationale, comprenant des chercheuses du CNRS et de l’Université Paris Saclay, a étudié les différents facteurs contextuels (géographiques, biotiques et humains) qui influencent les communautés d’espèces exotiques d’oiseaux dans plus de 400 îles du monde. Ces travaux viennent de paraître dans la revue Ecology Letters, sous le titre « The anthropocene biogeography of alien birds on islands: drivers of their functional and phylogenetic diversities ».

Contexte

L’humain a introduit des espèces exotiques à travers le monde depuis des milliers d’années, espèces qui, si elles deviennent envahissantes, sont susceptibles d’impacter drastiquement les communautés natives. En 1957, les chercheurs Mc Arthur & Wilson ont identifié les lois qui expliquent la diversité des espèces vivant dans les îles : plus l’île est de grande superficie, plus elle peut abriter d’espèces (loi aire-espèce) ; plus l’île est éloignée du continent moins la diversité des espèces est riche (relation isolement-diversité). Cependant, 60 ans plus tard l’humain a, par l’introduction d’espèces exotiques, obligé les scientifiques d’aujourd’hui à redéfinir ces lois biogéographiques. C’est ce à quoi s’est attelé une équipe de recherche issue du laboratoire Écologie, systématique et évolution (ESE – Univ. Paris-Saclay, CNRS, AgroParisTech), en collaboration avec deux chercheurs à l’international (Ocean University of China de Qingdao, Chine ; Freie Universität Berlin, Allemagne).

Les études existantes jusqu’alors sur le sujet ont décrit les facteurs influençant la diversité taxonomique en espèces exotiques (c’est-à-dire le nombre d’espèces), mais n’ont étudié qu’une partie du problème. En effet, la diversité biologique est multidimensionnelle et comprend d’autres facettes au-delà du nombre d’espèces, comme la diversité des caractéristiques et traits des espèces (diversité fonctionnelle) ou la diversité d’histoire évolutive (diversité phylogénétique). C’est pour mettre en évidence les différents facteurs promouvant ces deux autres facettes de la diversité exotique, que l’équipe de recherche a étudié les oiseaux exotiques établis sur les îles dans le monde entier.

Eléments de méthode et résultats majeurs

Après avoir défini les communautés d’oiseaux exotiques et natives sur plus de 400 îles à travers le monde, les autrices et auteurs ont évalué les caractéristiques des 188 espèces exotiques d’oiseaux présentes sur ces îles. Ces caractéristiques prenaient par exemple en compte leur morphologie (taille du bec, longueur des ailes, masse corporelle), les préférences d’habitat et les préférences de régime alimentaires. L’équipe a ainsi pu estimer la part de la diversité fonctionnelle et de la diversité phylogénétique que ces espèces représentaient par rapport aux plus de 10 000 espèces d’oiseaux du monde entier. Ensuite, en croisant ces données avec des informations contextuelles sur les îles, portant sur la géographie (superficie, distance aux continents), la présence des espèces locales ou encore sur le degré de présence humaine et de transformation des habitats par l’humain, l’équipe a identifié les facteurs qui influencent les différentes diversités.

Il apparait tout d’abord que l’humain n’a pas introduit des espèces de manière aléatoire mais qu’il a sélectionné une grande variété d’oiseaux pour leurs traits dans certaines îles, et dans d’autres il n’a choisi de ne sélectionner qu’un faible nombre de familles. Ainsi, certaines îles contiennent de grandes diversités fonctionnelle et phylogénétique, comme les îles de Hawaii et de Nouvelle-Zélande, certaines îles des Caraïbes (Bermudes, Puerto-Rico) ou encore l’île de La Réunion. En revanche, d’autres îles présentent des diversités beaucoup plus faibles, notamment les îles de l’Atlantique Nord, les Seychelles et les grandes îles d’Indonésie et de Papouasie Nouvelle-Guinée (Fig. 1).

Figure 1 : Cette carte montre les patrons de distribution de deux facettes de la diversité des oiseaux exotiques sur 407 îles à travers le monde : la couleur des cercles représente la diversité fonctionnelle et la taille représente la diversité phylogénétique. On remarque premièrement que les deux types de diversité sont corrélées : quand les îles contiennent des oiseaux exotiques représentant une grande diversité fonctionnelle (en jaune), ils représentent aussi une grande diversité phylogénétique (grande taille des cercles). On note ensuite la présence de « points chauds » en diversité exotique, comme les îles de Hawaii ou de Nouvelle-Zélande. Figure adaptée de l’article Marino et al., 2024.

En constatant ces écarts entre les îles des diversités fonctionnelle et phylogénétique des oiseaux introduits, l’équipe a cherché à les expliquer. Ainsi, à l’aide de modèles statistiques, l’équipe a évalué le rôle joué par trois contextes sur la diversité fonctionnelle et phylogénétique des oiseaux exotiques sur les îles :

  • Le contexte géographique, représentant des caractéristiques comme la taille des îles, leur distance au continent le plus proche, leur altitude maximale, etc. ;
  • Le contexte biotique, comprenant des informations sur les espèces d’oiseaux natives vivant sur les îles à savoir leur diversité (taxonomique, fonctionnelle et phylogénétique) ;
  • Le contexte humain, incluant des variables comme la population humaine totale sur chaque île, le degré de modification des milieux naturels ou encore le nombre de ports et d’aéroports.

Ces analyses ont permis de démontrer que plus il y a d’espèces d’oiseaux exotiques introduits, plus les diversités fonctionnelle et phylogénétique des oiseaux exotiques sur les îles sont élevées. Ce résultat était attendu, en effet, les îles présentent des communautés d’espèces simplifiées avec peu de redondances, plus il y a d’espèces, plus il y a de chance qu’elles représentent une diversité de formes de vies et d’histoires évolutives différentes. Toutefois, résultat moins attendu, l’article montre aussi que les variables humaines liées à la pression de colonisation (le nombre de fois où les humains apportent de nouvelles espèces exotiques), la modification des habitats naturels et la connectivité humaine (nombre de ports et aéroports) ainsi que la taille de population humaine ont un effet positif important sur les diversités fonctionnelle et phylogénétique (Fig. 2). Nous savions déjà que l’humain introduisait des espèces exotiques sur les îles bouleversant les communautés natives, mais il n’avait pas encore été démontré sur un grand nombre d’îles que l’humain influençait aussi la diversité fonctionnelle et phylogénétique des espèces exotiques.

Figure 2  : Représentation des relations causales entre le contexte géologique (orange), humain (bleu) et biotique (jaune et vert), et la diversité fonctionnelle (A.) et phylogénétique (B.) des espèces exotiques. La largeur des flèches est proportionnelle à la valeur absolue des effets.

Enfin, les communautés d’oiseaux exotiques sur une partie des îles étudiées sont apparues plus proches entre elles que ce qu’on attendrait au hasard. En contrôlant les valeurs de diversité fonctionnelle et phylogénétique par le nombre d’oiseaux introduits, l’équipe a constaté que la relation entre la diversité taxonomique et les autres dimensions de la diversité (fonctionnelle et phylogénétique) n’était pas linéaire. Plus il y a d’espèces introduites, plus les diversités fonctionnelle et phylogénétique augmentent lentement. Cela signifie que l’humain sélectionne les espèces introduites (volontairement ou non), et cette sélection a ensuite des conséquences sur les nouvelles communautés d’oiseaux qui contiennent des espèces qui se ressemblent de plus en plus. On assiste par ailleurs à une forme d’homogénéisation à travers les îles du monde : si toutes les espèces transportées, introduites puis qui s’établissent ont les mêmes caractéristiques, alors les communautés insulaires, même si elles sont géographiquement très éloignées, tendent à être similaires.

Conclusions

Ces travaux apportent une nouvelle preuve que l’humain est responsable des patrons de distribution de la biodiversité contemporaine, représentant un facteur de changement significatif pour de multiples facettes de la biodiversité. L’humain sélectionne des espèces qui vont lui être utiles, qui sont souvent issues de familles proches, appauvrissant ainsi la diversité globale présente dans les îles et réduisant les possibilités futures d’adaptation de ces communautés insulaires. Cela est particulièrement problématique pour les écosystèmes insulaires qui sont soumis à de nombreuses contraintes et desquels les espèces natives ne peuvent pas s’échapper, du fait de leur isolement.

Rédaction : Clara Marino (FRB-Cesab) et Céline Bellard (Université Paris-Saclay, CNRS)

Relecture : Camille Bernery (CF UICN)

Référence de l'article :

Marino, C., Journiac, L., Liu, C., Jeschke, J. M., & Bellard, C. (2024). The anthropocene biogeography of alien birds on islands: Drivers of their functional and phylogenetic diversities. Ecology Letters, 27(6), e14465.

https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/ele.14465

Photo de couverture : PJeganathan