L’écologie des invasions vise à mieux comprendre les mécanismes en jeu dans les processus d’introduction d’espèces dans de nouveaux territoires. En ce qui concerne les végétaux, cette discipline reste principalement orientée vers un nombre restreint de taxons modèles, généralement ceux introduits récemment et ayant les impacts les plus importants (renouées, jussies, ambroisies). Parallèlement, une autre communauté scientifique, celle des archéobotanistes, s’intéresse aux introductions anciennes, préhistoriques et historiques. Ce champ disciplinaire s’est longtemps focalisé sur l’étude de la domestication et de la diffusion des espèces cultivées, avec cependant des avancées récentes sur la prise en compte des flores compagnes des cultures (espèces messicoles archéophytes comme le Coquelicot, le Bleuet ou la Nielle des blés).
Pourquoi les études sur les invasions végétales ne s’intéressent-elles qu’aux introductions récentes (espèces néophytes, introduites après la découverte européenne des Amériques vers 1500) ? Pourquoi les archéobotanistes n’utilisent-ils pas plus les concepts et approches développés sur les invasions récentes ? Nous pensons que les données et les approches sur lesquelles travaillent ces deux communautés peuvent s’enrichir l’une de l’autre. De ce pari est né le groupement de recherche « Archéophytes et néophytes de France » (GdR ANF), créé en 2016 pour réunir l’ensemble des communautés scientifiques étudiant les plantes introduites (archéobotanique, histoire de la botanique, botanique, phytogéographie, écologie des invasions végétales) et décloisonner leurs champs d’études respectifs. L’ambition de ce GdR est de donner une dimension taxonomique et temporelle plus large à la problématique des introductions végétales. En croisant les concepts et les outils de l’ensemble de ces communautés, ce projet ambitionne de faire avancer la recherche sur les invasions végétales qui ont eu lieu sur une échelle temporelle longue (plusieurs millénaires).
L’objectif principal du GdR est de publier un inventaire de l’ensemble des espèces végétales introduites et sauvages (archéophytes et néophytes) à l’échelle du territoire de la France métropolitaine et de maintenir à jour une base de données rassemblant de nombreuses informations sur chaque taxon (date et mode d’introduction, origine biogéographique, degré de naturalisation, habitats, traits, etc.). Croiser les champs de la base de données permettra de rechercher et d’identifier des règles générales aux processus d’invasions, et de formuler de nouvelles hypothèses. Rassembler ces données permettra de considérer les milliers d’espèces introduites sur le territoire depuis des centaines d’années comme une gigantesque expérimentation où l’on pourra mesurer des succès – mais aussi des échecs ! – à différents stades du processus d’introduction-naturalisation-invasion. Des possibilités d’analyses d’innombrables questions deviendraient ainsi accessibles. Quelles valeurs de traits sont associées aux différentes étapes du processus d’invasion ? Quelles sont les habitats les plus vulnérables à l’établissement d’espèces exotiques ? Les patrons d’invasion diffèrent-ils entre archéophytes et néophytes ? Quelles sont les principaux vecteurs d’introduction ? Diffèrent-ils selon l’origine géographique ? Les voies d’introduction influent-elles sur le succès d’invasion ? Etc.
D’un point de vue plus appliqué, la base de données permettra aussi de répondre à des questions pratiques d’évaluation du risque d’invasion en lien avec la mise en place du règlement européen sur les EEE. Ainsi, la plus-value de l’inventaire sera d’apporter des réponses aux préoccupations de recherches de chaque communauté scientifique tout en en faisant émerger de nouvelles et d’inscrire le territoire français dans les entreprises de synthèses réalisées à l’échelle européenne (DAISIE ) ou internationale (GloNAF , GRISS ).
Depuis la création du GdR en 2016, nous avons rassemblé 86 chercheurs et enseignants-chercheurs de 23 laboratoires, et des botanistes indépendants et du réseau des Conservatoires Botaniques nationaux. Un séminaire de lancement du GdR a eu lieu à l’Université de Toulouse les 6 et 7 octobre 2016. En 2017 et 2018, quatre ateliers ont été organisés pour 1) adopter une terminologie commune sur les statuts des espèces, 2) définir les limites et le découpage biogéographique du travail, 3) identifier et compiler les sources d’informations préhistorique et historique pour renseigner les dates d’introduction, et 4) organiser les informations recueillies dans une base de données. Ces travaux se poursuivront cette année avec notamment une première publication de synthèse (définitions des statuts des espèces), la mise en place de la base de données et les premières saisies de données.
Des échanges avec le GdR Invasions Biologiques ont eu lieu à plusieurs reprises, avec une communication et un texte commun présentés lors des Prospectives de l’INEE à Bordeaux les 22, 23 et 24 février 2017 et deux communications dédiées à l’étude des archéophytes et néophytes lors du colloque du GdR Invasions Biologiques à Rennes (22 octobre 2018).
Si vous êtes intéressé(e) pour rejoindre les activités du GdR, n’hésitez pas à contacter Guillaume Fried guillaume.fried@anses.fr et Cécile Brun cecile.brun@univ-nantes.fr
Rédaction : Guillaume Fried, ANSES et Cécile Brun, Université de Nantes (UMR 5602 GEODE, Toulouse)
Relectures ; Emmanuelle Sarat, Comité français de l’UICN, Alain Dutartre, expert indépendant
DAISIE : Delivering Alien Invasive Species Inventories for Europe. Il s’agit d’un inventaire européen des espèces exotiques (animaux et végétaux) financé par la Commission Européenne. Les données sont cependant largement incomplètes et non mises à jour. http://www.europe-aliens.org/
GloNAF : Global Naturalized Alien Flora. Il s’agit d’un projet plus récent de base de données sur les plantes exotiques à l’échelle globale nourrissant de nombreux projets connexes traitant de toutes sortes de questions et études scientifiques concernant les espèces exotiques (ainsi que d’autres taxons). https://glonaf.org/
GRIIS : Global Register of Introduced and Invasive Species. Ce « registre mondial des espèces introduites et envahissantes » a été développé par le Groupe de spécialistes des espèces envahissantes (ISSG) de l’UICN depuis 2006. Le concept a été revisité et élargi (des seules envahissantes à toutes les espèces introduites) afin d’atteindre l’objectif 9 d’Aichi relatif à la biodiversité et soutenir sa réalisation. Il établit des inventaires annotés et vérifiés par pays de toutes les espèces introduites et envahissantes. http://www.griis.org/