Cette éponge dulcicole été détectée pour la première fois dans les eaux douces de l’île de La Réunion en novembre 2014. Largement répandue à l’échelle mondiale, sa biologie, son écologie et ses impacts restent cependant très peu étudiés. Un état des lieux de sa répartition sur l’île de la Réunion a été réalisé en 2015 par la Fédération départementale des associations agréées de pêche et de protection du milieu aquatique (FD AAPPMA), afin d’évaluer sa répartition géographique et les risques liés à sa présence dans le milieu naturel.
Une espèce bien répandue à l’échelle mondiale mais encore insuffisamment connue
Appartenant à l’un des genres les plus importants de la famille des Spongillidés, Radiospongilla cerebellata montre une très large répartition mondiale. Présente dans les régions tropicales et sub-tropicales de l’Afrique, du subcontinent Indo-Pakistanais, en Indonésie, aux Philippines, en Nouvelle-Guinée et en Chine (Boury, 2000), Radiospongilla cerebellata est également signalée au Tennessee et en Alabama aux Etats-Unis (Kunigelis & Copeland, 2014 ; Reiswig et al., 2010). Malgré sa vaste distribution à l’échelle mondiale, son écologie reste cependant peu étudiée. Cette espèce recouvre peu à peu le substrat (blocs rocheux) sur lequel elle s’accroche ; de couleur à dominance verte, sa consistance globale est plutôt fragile (Jakhalekar & Ghate, 2013). Elle semble privilégier les habitats lentiques (Jamdade & Deshpande, 2014).
Sur l’île de la Réunion, l’espèce a été découverte par un bureau d’étude sur un radier submersible situé sur une des rivières pérennes de la côte Est de l’île. Les individus prélevés ont été identifiés à titre gracieux par Madame Manconi de l’Université de Sassari en Sardaigne comme appartenant à l’espèce Radiospongilla cerebellata. Cette découverte a rapidement fait l’objet d’une alerte auprès du Groupe Espèce Invasive Réunion (GEIR) de la Direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DEAL).
Quelle répartition et impacts potentiels sur l’île de la Réunion ?
En tant que tête de réseau « milieu aquatique » au sein du GEIR, la FD AAPPMA a été missionnée par l’unité Politique de l’eau et des milieux aquatiques de la DEAL pour réaliser des suivis sur le terrain afin d’évaluer sa répartition géographique et les risques liés à la présence de cette espèce en milieu naturel. La principale menace évoquée était le risque de modification de l’habitat sur lequel l’éponge est installée (recouvrement des blocs rocheux, donc du périphyton), limitant ainsi l’accès aux ressources alimentaires en particulier pour les espèces indigènes brouteuses, dont les poissons, comme le Cabot bouche-ronde (Cotylopus acutipinnis) et le Cabot à tête de lièvre (Sicyopterus lagocephalus).
Plusieurs suivis ont ainsi été effectués, dans la zone de découverte de l’éponge mais également sur les 13 rivières pérennes de l’île, en ciblant les zones d’habitats préférentiels de cette espèce (zones calmes de type « chenal lentique » et « plat lentique »).
Une répartition très localisée et peu dense
A l’issue de ces différents suivis, R. cerebellata a été détectée dans deux rivières pérennes de l’île (linéaire de présence d’environ 250 m sur la Rivière des Roches et d’environ 500 m sur la Rivière Sainte-Suzanne). Dans les deux sites, elle est localisée à l’amont immédiat d’un radier submersible présentant des zones de « fosses » et de « plat lentique ». Les colonies visibles sont de tailles variables, ne dépassant pas 25 x 25 cm, et sont dispersées dans le milieu sans logique apparente de dispersion.
Toutefois, ces radiers ont été identifiés comme les points de concentration maximale de l’éponge. En effet, plus on s’en éloigne, plus la densité de l’éponge est faible.
En accord avec Jamdade & Deshpande (2014), les zones de courant faible à modéré semblent constituer des habitats favorables à l’installation de l’éponge. Ne pouvant s’accrocher sur des substrats situés en plein courant, les quelques rares colonies observées en début de zones lotiques (rapides) se trouvent fixées sur la face des blocs rocheux située dos au courant, profitant ainsi, pour se fixer, de zones d’abris à courant très faible.
De plus, les différents suivis effectués en 2015 et 2016 tendent à montrer que la population ne semble pas évoluer ni se propager. En effet, les colonies observées et mesurées en 2015 ont été recouvertes par le colmatage ou dégradées/lessivées lors d’épisodes de crues cycloniques. En effet, le régime hydrologique propre à La Réunion (hydrologie de type torrentiel, fortes pentes, phénomène de lessivage, etc.) joue certainement le rôle de facteur limitant le maintien de cette éponge.
Propositions de mesures de prévention
Par mesure de précaution, afin d’éviter tout risque de dissémination de fragments de l’éponge sur des cours d’eau non colonisés, plusieurs préconisations ont été faites :
- il est recommandé de rincer soigneusement tout matériel/équipement ayant pu être en contact direct avec l’éponge,
- les prélèvements d’eau par camion-citerne dans le Domaine public fluvial ont été interdits sur les deux points de prélèvement concernés à l’heure actuelle par la présence de l’éponge (radiers submersibles).
Il est important de noter que dans le cadre du maintien et du rétablissement de la continuité écologique des rivières (Directive 2000/60/CE-DCE ; L. 214-17 du Code de l’Environnement), le projet d’arasement prévu sur un des deux radiers (celui présentant la plus forte concentration en colonies spongiaires) pourrait éliminer le problème de présence de l’éponge sur cette zone en y faisant disparaître les biotopes lentiques favorables.
R.cerebellata, une éponge exotique à surveiller sur l’île de La Réunion ?
A l’heure actuelle, au niveau international, il n’existe que très peu de références bibliographiques relatives à R. cerebellata, et aucune n’évoque un caractère invasif de cette éponge. Le manque de documentation et de connaissance sur cette espèce rendent son statut difficile à définir sur l’île. Toutefois, les résultats des suivis menés de 2014 à 2016 ne montrent pas un potentiel invasif avéré de cette espèce sur l’île de La Réunion. Le classement de l’espèce Radiospongilla cerebellata comme “espèce potentiellement invasive” à La Réunion n’apparait donc pas pleinement justifié. En outre, malgré sa récente découverte sur l’île, les constats effectués sur le terrain laissent supposer une présence de l’espèce dans certains cours d’eau de l’île bien antérieure à son année de découverte. Cette hypothèse reste toutefois à confirmer.
Camille TREILHES – Chargée de missions – Cellule scientifique et technique, FD AAPPMA de La Réunion