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Entretien : « L’Auvergne-Rhône-Alpes : de la plaine à la montagne, une synergie qui se construit à plusieurs échelles ! »

Bonjour, qui êtes-vous et dans quelle région agissez-vous ?

Sylvie Martinant et Pascal Sauze introduisant la 5ème réunion du REST EEE à Clermont Ferrand

Sylvie Martinant : Je suis salariée au Conservatoire d’espaces naturels (CEN) d’Auvergne et j’interviens à l’échelle de la région Auvergne-Rhône-Alpes (AuRA), dans le cadre d’une mission confiée par la DREAL.
Pour précision, les CEN possèdent un agrément régional et cinq autres CEN sont également présents dans la région. En raison de l’historique de nos travaux sur les espèces exotiques à l’échelle Auvergne (dès 2009), c’est le CEN Auvergne qui est devenu chef de file pour la thématique espèces exotiques envahissantes (EEE) pour la région après la fusion des deux anciens territoires Auvergne et Rhône-Alpes. Les référents EEE dans chacun des CEN contribuent à l’élaboration de nos axes d’intervention et objectifs (Plus d’informations dans le plan d’actions quinquennal des Conservatoires d’espaces naturels d’Auvergne-Rhône-Alpes).

Pascal Sauze : Bonjour,  je suis chargé de mission à la DREAL Auvergne-Rhône-Alpes et je suis basé à Clermont-Ferrand dans un service qui s’appelle Eau, Hydroélectricité et Nature. Ce service est bi-sites avec Lyon et Clermont-Ferrand. La thématique EEE est portée à Clermont-Ferrand, pour le suivi de l’ensemble des 12 départements de la Région.

Quelles sont vos principales missions en lien avec les EEE ?

PS : Il y a les missions régaliennes, qui relèvent de l’échelon régional. Il s’agit par exemple,  de faire remonter le positionnement de nos correspondants EEE au sein des Directions départementales des territoires (DDT) auprès de l’instance ministérielle, du rapportage des actions mises en place dans les départements. La DREAL prépare les arrêtés régionaux qui concernent plusieurs départements ou des procédures spécifiques lancées par l’échelon national. La DREAL appuie la rédaction des arrêtés départementaux et se charge de compiler les résultats La gestion de la faune exotique envahissante, avec l’arrêté capricorne asiatique dans l’Ain qui a permis à la mise en place de mesures de lutte et de surveillance sur la commune de Divonne-les-Bains pendant une durée minimale de quatre ans qui peut être cité en exemple. La DREAL s’occupe également de l’évaluation des études d’impact et l’examen des dossiers de dérogation à la destruction des espèces protégées ; ainsi que tout ce qui est de l’ordre de la planification, avec le suivi du SRADDET (Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires), des PLUi (Plan local d’urbanisme intercommunal) ou des SCoT (Schéma de cohérence territorial) dans lesquels nous prenons en compte, entre-autre, les EEE. Les DREAL suivent les appels à projet sur les EEE (Opération coup de poing en 2022, Fond vert en 2023) et nous disposons aussi d’une délégation de budget opérationnel de programme (BOP113), qui nous permet de financer directement quelques actions sur les EEE.

SM : Mes missions visent principalement de l’appui technique à la DREAL, notamment lorsque des questions remontent sur des aspects de connaissances et de gestion. Historiquement, j’étais plutôt dans de l’animation à l’échelle de l’Auvergne, mais maintenant, il s’agit plus de commandes ponctuelles, comme la réalisation de la cartographie interactive des acteurs EEE en AuRA et l’enquête préalable à ce travail. J’ai également des missions d’appui lors de la rédaction de documents stratégiques, en attendant que le réseau régional et son animation se mettent en place.
Sinon au quotidien, j’assure également la gestion de sites naturels dans lesquels je vais aussi être confrontée à la présence d’EEE.

Qui sont vos partenaires ? Avec quels organismes travaillez-vous le plus souvent ?

SM : Pour la flore, c’est principalement avec les Conservatoires botaniques nationaux (CBN) que je travaille (ils sont deux à l’échelle de la région : le CBN Massif central et le CBN Alpin).
Pour la faune, je vais plutôt passer par la DREAL, car les compétences sont dispersées entre la FREDON, l’OFB, la DDPP ou les DDT. Pour tout ce qui est connaissance, je suis amenée à travailler de plus en plus avec les gestionnaires des pôles thématique de l’Observatoire régional de la biodiversité :

Et au quotidien dans les appuis techniques, les partenaires vont être assez diversifiés même si ce sont souvent des syndicats de rivières et parfois des communes.

PS : Il y a aussi un certain nombre de collectivités qui prennent activement en main la problématique EEE, avec des interlocuteurs par type d’espèce. Il y a ainsi une multitude de petits partenaires qui émerge.

Êtes-vous en relation avec d’autres coordinations ou réseaux ?

SM : Le Centre de ressources EEE est un des partenaires privilégiés, ainsi que la FCEN qui réunit les animateurs de réseau EEE en région. J’essaie de suivre ce qui se fait sur le Bassin Loire-Bretagne, ainsi que les travaux initiés par Clara Erard de la FCEN sur la faisabilité d’un plan de gestion sur les EEE à l’échelle du Rhône. Il y a donc plusieurs démarches qui se mettent en place et qui valent le coup d’être suivies.

PS : Il y a aussi des dispositifs plus transversaux, comme les Territoires engagés pour la nature (TEN) pour lesquels nous pouvons proposer de l’appui technique. Dans un quart des candidatures à ce label, il y a une problématique EEE déjà identifiée dans la politique environnementale de la collectivité. Quand cela n’est pas le cas nous essayons alors de les sensibiliser.

Pouvez-vous présenter en quelques mots votre groupe de travail et sa structuration ?

© www.touteleurope.eu

PS : La structuration de ce « réseau » était plus intense lorsqu’elle était à l’échelle d’une petite région, et maintenant celle à l’échelle de la grande région reste encore à construire. Alors en effet, il y a plein d’acteurs et d’interlocuteurs mais cela manque encore de coordination. C’est complexe à mettre en place avec 12 départements et il faudra que nous arrivions rapidement à définir une stratégie régionale bien claire, en lien avec les départements qui réalisent déjà des suivis annuels des actions de lutte contre les principales EEE. Mais en effet, l’échelon départemental me semble un bon échelon pour cette nouvelle structuration, avec une clé d’entrée thématique.

SM : Pour compléter, il y a deux ans, nous avions lancé une enquête régionale pour mieux connaitre les acteurs régionaux impliqués. Sur plus de 400 structures (collectivités, départements, parcs, lycées agricoles, parcs floraux, zoo, etc…), 70 ont répondu à l’enquête. Ainsi, en parallèle d’une structuration par département ou par thématique, l’idée serait de remobiliser ce réseau d’acteurs et de l’étoffer. Nous souhaitons pouvoir garder de la souplesse, et ne pas avoir une structuration trop rigide afin qu’elle puisse s’adapter à la diversité géographique de notre territoire.

Existe-t-il une stratégie régionale, et comment êtes-vous impliqués dans celle-ci ?

PS : Au sein des services de l’état, nous avions une doctrine sur le sujet – puis la stratégie nationale EEE est parue et il a fallu la décliner à l’échelle régionale. Nous avons préféré proposer une feuille de route régionale, avec des objectifs ciblés jusqu’en 2030. Elle est divisée en deux temps, avec un bilan à mi-parcours. Quelques actions prioritaires ont été identifiées pour la première année (définir un mode opératoire pour intervenir rapidement ; hiérarchiser les espèces à l’échelle de la région pour prioriser la gestion ; réaliser des cartes de répartitions ; recenser les centres d’élimination des déchets EEE ; etc.).
Cette feuille de route doit encore être complétée par les acteurs et opérateurs territoriaux mais nous espérons pouvoir l’officialiser à la rentrée 2023.

Vous avez évoqué la hiérarchisation des espèces, avez-vous des listes départementales/régionales et qui les réalise ?

SM : Tout d’abord pour la flore exotique envahissante, nous avons une liste pour l’Auvergne, qui avait été actualisée en 2017 (CBN Massif central, 2017), et une liste a été publié en 2021 par le CBN Alpin (Debay, Legland et Pache, 2020). Il y a ensuite des listes pour le département du Rhône et pour la Loire, ainsi que d’autres en cours. Nous souhaiterions avoir une liste pour l’ensemble de l’Auvergne-Rhône-Alpes, pour une lecture homogène à l’échelle de la région mais aussi avec un échelon départemental.

Pour la faune, nous avions une liste datant de 2014 pour l’Auvergne, donc tout le travail reste à faire. Il s’agit d’un travail conséquent qui va être réalisé avec le pôle invertébrés et vertébrés de l’Observatoire de la Biodiversité en Auvergne-Rhône-Alpes (https://www.biodiversite-auvergne-rhone-alpes.fr/). Beaucoup de données sont disponibles, mais elles restent encore très éparpillées.

Quelles sont les EEE sur lesquelles vous êtes actuellement les plus sollicités ?

Senecio inaequidens, Romagnat (63) © D. Courtine

SM : Proche de Clermont, je gère la réserve naturelle régionale du Puy de Marmant, dans laquelle j’ai une problématique d’Ailante du Japon (Ailanthus altissima) qui est très présent, et plus ponctuellement de Robinier faux-acacia (Robinia pseudoacacia), même si je ne le gère pas partout, du Séneçon du cap (Senecio inaequidens) qui est arrivé par l’axe routier de l’A75 ; et également des espèces horticoles échappées des jardins comme le Mahonia, Berbéris, Cotonéasters, etc.
Côté faunistique, il s’agit plutôt d’insectes comme le Frelon asiatique, ainsi que deux guêpes solitaires exotiques envahissantes. Pour ces dernières, ce sont des espèces qui apparaissent dans peu, voire pas de liste et il y a très peu de spécialistes dans le domaine, même s’il y a une concurrence très probable avec l’entomofaune locale.

PS : Les sollicitations sont très hétéroclites. Il n’y a pas de dominante, si ce n’est peut-être la Tortue de Floride pour la faune et les renouées asiatiques pour le monde végétal.

Si vous aviez la possibilité de faire disparaître de votre région une population d’EEE, laquelle serait-ce et pourquoi ?

Fiche Tamia de Sibérie sur l’Atlas Biodiv’AURA (https://atlas.biodiversite-auvergne-rhone-alpes.fr/)

PS : Dans l’Isère, nous avons une population de Tamia de Sibérie (Tamia sibiricus). C’est une espèce encore peu présente à l’échelle nationale et des actions sont en cours du côté de l’OFB. Il faut encore poursuivre les actions, pourquoi pas dans le cadre d’un appel à projet en demandant un financement Fond vert pour espérer supprimer définitivement ce foyer.

SM : Il y a aussi la Crassule de Helms (Crassula helmsii). Nous avons deux, trois spots d’identifiés dans la région, et j’aimerais bien que nous réussissions à en venir à bout. La population présente dans la Loire a été gérée, mais il en reste encore dans le bassin amont de la Dordogne.
Je ne pense pas que nous arriverons à le faire disparaître de nos paysages, mais le Séneçon du Cap est présent dans tous les milieux rudéraux et se dissémine très rapidement. Il faudrait pouvoir le contrôler à minimum, car il est toxique pour le bétail et n’est pas évident à gérer. Il se retrouve partout, en milieu calcaire, en milieu halophile, dans les rochers, ça pousse même dans les fentes des surfaces goudronnées !

Sur quel(s) projet(s) travaillez-vous actuellement (ou avez-vous travaillé récemment) ?

SM : Suite à l’arrêt de notre ancien site (http://eee-auvergnerhonealpes.fr/wordpress/), des pages dédiées aux EEE viennent d’être mises en place sur le site de l’Observatoire Régional de la Biodiversité AuRA (https://www.biodiversite-auvergne-rhone-alpes.fr/eee/). Les informations ont été simplifiées pour pouvoir toucher un public plus large, mais il s’agit bien de garder le même niveau d’information que celui qui était disponible. Nous allons réintégrer des listes d’espèces, avec un lien vers l’Atlas de la biodiversité pour la répartition, en précisant les statuts de l’espèce et en donnant accès aux fiches disponibles sur le CDR EEE. Tout ça pour que les utilisateurs aient un maximum d’information, mais dans un contexte local. J’espère que cela sera fini d’ici la fin de l’année.

Rencontrez-vous des difficultés ou des contraintes sur certaines thématiques ?

SM : Les contraintes que je vois sont avant tout financières, puisque nous travaillons sur cette thématique en pointillé, commande après commande. J’espère que nous arriverons à avoir un fonctionnement plus fluide et annuel afin de mettre en place un réseau d’acteur, avec une animation plus pérenne. Le territoire régional est également complexe : 3 régions biogéographiques relativement distinctes (Massif central, plaine rhodanienne, massif alpin) et 12 départements avec de nombreux acteurs. Heureusement que d’autres structures assurent une veille, relaient les informations et réalisent des synthèses car nous n’avons pas toujours le temps à notre échelle de nous investir pour rester informés de tout ce qui se passe sur les EEE. Je me pose également plusieurs questions par rapports à l’avenir et à l’évolution de certains milieux car plusieurs espèces vont certainement disparaître et d’autres vont suppléer. Alors que va-t-il en être des EEE et de leur évolution dans nos écosystèmes ?

PS : Je rajouterai deux difficultés qui sont propres à notre région. Tout d’abord la difficulté transfrontalière, avec parfois des priorités différentes (nous avons eu le cas avec la Suisse) et un besoin d’harmonisation pour plus de cohérence et de lisibilité. Plus généralement, il y a la commercialisation des EEE qui reste toujours d’actualité. La région Auvergne-Rhône-Alpes est très peuplée, avec beaucoup de centres urbains et de transits avec notamment l’important aéroport de Lyon . Il faudrait que nous ayons davantage la capacité de contrôler et de verrouiller les flux provenant des filières d’achats de plantes ou d’animaux exotiques. Pour cela, je pense que le national devrait donner plus d’orientations, voire qu’il y ait des d’organismes de contrôle et de surveillance mieux coordonnés.

Pour finir, quel est l’aspect de votre travail que vous appréciez le plus ?

SM : J’aime beaucoup la diversité des acteurs, ainsi que la diversité des connaissances nécessaires à l’appréhension d’un tel sujet. Même si ça peut être très chronophage, découvrir de nouvelles espèces et acquérir de la connaissance à leur sujet reste très enrichissant. Et puis, j’apprécie aussi de travailler avec Pascal ! La dynamique du réseau, c’est stimulant, motivant et rassurant. On se sent moins seuls.

PS : Effectivement la diversité des interlocuteurs confère un côté très intéressant à ce travail. Nous travaillons avec des personnes parfois très motivées, notamment dans le cadre du REST EEE. Il y a plein de pistes de travail, avec un choix d’actions très vaste.

 

Lien et ressources à partager :

Les listes de la flore exotique envahissante en Auvergne-Rhône-Alpes :

 

Retour sur les deux journées d’échanges sur la stratégie de gestion des EEE en Auvergne-Rhône-Alpes en 2017 (CDR EEE, 2017)

 

Rédaction : Cet entretien a été mené le 29 mars, en présence de Madeleine Freudenreich (Comité français de l’UICN), Sylvie Martinant (CEN Auvergne) et Pascal Sauze (DREAL AuRA).