L’introduction et l’expansion d’espèces animales exogènes peut avoir un impact très lourd sur la faune autochtone. Elles sont en effet susceptibles d’exercer une prédation ou d’entrer en compétition avec les espèces animales natives et de favoriser la transmission de pathogènes dans leur nouvel environnement (Mooney et al, 2001). L’existence de ces risques a conduit le parlement européen à établir une liste des espèces constituant une « préoccupation majeure », enjoignant ainsi les états membres à entreprendre des recherches scientifiques pour acquérir les connaissances nécessaires à la gestion de ces populations (Règlement UE n° 1143/2014).
Inscrit sur cette liste depuis 2016, le Raton laveur (Procyon lotor) est un Carnivore de taille moyenne originaire d’Amérique du Nord et introduit en Europe au début du XXème siècle. Généraliste et dépourvu de prédateurs naturels, il est aujourd’hui en pleine expansion sur le territoire français. A ce jour, 3 noyaux de populations sont connus en métropole (Figure 1) : la population pionnière du Grand-Est, issue de la rencontre des mascottes des soldats de la base militaire OTAN de Laon-Couvron et des populations de ratons laveurs belges et allemandes (Léger et Ruette, 2014) ; la population du Massif Central, apparue en Auvergne vers la fin des années 1990 (Maillard et al, 2020) ; la population de Gironde, probablement issue d’individus échappés de parcs zoologiques et en expansion depuis la dernière décennie (Ruys et al, 2014).
Son régime alimentaire opportuniste et ses capacités préhensiles lui permettent de se nourrir d’une grande variété d’aliments d’origine animale, végétale ou anthropique. Dans son aire d’origine, il est d’ailleurs connu pour être un prédateur redoutable de passereaux et de tortues (Schmidt, 2003 ; Munscher et al, 2012). De fait, il pourrait représenter une menace pour les espèces patrimoniales locales.
Facilement apprivoisable, le Raton laveur n’hésite pas à aller trouver abri et nourriture près des habitations humaines. Cette proximité pourrait engendrer d’importants dommages économiques comme c’est le cas aux États-Unis ou au Japon où le Raton laveur génère de gros dégâts dans les cultures (Beasley, 2005 ; Matsuo et Ochiai, 2009), les vergers (Ikeda et al, 2004) et les habitations (Zeveloff, 2002).
La nature généraliste du Raton laveur pourrait également le conduire à entrer en compétition avec les espèces autochtones aux mœurs proches tels que la Martre des Pins, le Chat forestier ou le Vison d’Europe, plus exigeants en termes de niche écologique.
Enfin, le Raton laveur peut être porteur des maladies propres aux Carnivores comme la rage, la leptospirose, la gale, la parvovirose ou la maladie de Carré, mais également d’un parasite propre à son espèce appelé Baylisascaris procyonis. Ce nématode est responsable d’une maladie rare, la baylisascariose, transmissible à plus de 90 espèces animales dont l’Homme (Sorvilllo et al, 2003) et causant de lourdes séquelles neurologiques voire la mort de son hôte.
Malgré ces inquiétudes, aucune étude scientifique n’a été réalisée jusqu’à présent pour évaluer l’impact éventuel du Raton laveur sur la biodiversité en France et celui-ci bénéficie encore d’une grande popularité auprès du grand public (voir l’article Des sargasses, des ratons laveurs et des hommes – Centre de ressources EEE).
Faire tomber le masque du Raton laveur
Face à ces questionnements, un consortium réunissant plusieurs partenaires scientifiques et techniques a vu le jour en 2019 avec pour objectif de pallier le manque crucial d’informations sur l’éco-éthologie et le statut sanitaire du Raton laveur en métropole (Figure 2). L’acquisition de ces connaissances de base constitue un point de départ indispensable à la mise en place de mesures de gestion adaptées et permettra d’orienter les futurs travaux de recherches sur les problématiques liées à l’espèce dans sa nouvelle aire de répartition.
L’étude de l’éco-éthologie de l’espèce prend la forme d’une thèse portée conjointement par le GREGE et l’Université de Reims Champagne-Ardenne représentée par le laboratoire du GEGENAA et la station de terrain CERFE. L’objectif de ce travail est d’étudier les habitudes spatiales et alimentaires du Raton laveur dans son nouvel environnement.
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Sites d’étude
Ce programme de recherche est mené sur trois sites d’études présentant des paysages contrastés. Les deux premiers sites sont localisés en ex-région Champagne-Ardenne où se situe la plus ancienne et plus importante population française de ratons laveurs. Le premier est le Parc Naturel Régional de la Montagne de Reims (PNR51), plateau forestier entouré par les vignes et la plaine céréalière. Le second se trouve dans la Vallée de l’Aisne au sein d’un milieu fragmenté largement dominé par les cultures (Canal08). Le dernier se situe dans la Vallée de l’Eau Blanche, zone humide protégée en périphérie de la métropole bordelaise, fief de la population de ratons laveurs girondine (Junca33).
Savoir comment il utilise l’espace et les habitats
Les modalités d’utilisation de l’espace par le Raton laveur peuvent être étudiées grâce au suivi par collier GPS de ses déplacements dans son milieu naturel. Pour ce programme de recherche, 39 ratons laveurs adultes sauvages ont été piégés, anesthésiés et équipés de colliers GPS entre 2017 et 2022 (Figure 3). La majorité des suivis s’est achevée prématurément : 4 à cause de dysfonctionnements techniques, 7 par la chute du collier, 7 par la fin de vie de la batterie, et 5 par la mort du porteur dont 1 à cause des blessures provoquées par son collier, ce dernier nous conduisant à stopper la pose des colliers GPS. Au terme de l’étude, les suivis de 28 individus disposent de suffisamment de données pour permettre des analyses spatiales.
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Domaine vital
L’acquisition de données de localisations des ratons laveurs permet de connaître l’étendue de leur domaine vital, autrement dit « la zone traversée par un individu dans ses activités normales de collecte de nourriture, d’accouplement et de soins aux jeunes » (Burt, 1943). L’estimation des domaines vitaux étant dépendante du nombre de points considéré (Powell, 2000), seuls les individus suivis pendant au moins 40 jours sont utilisés pour ces analyses, soit 23 individus.
Les premiers résultats révèlent que les individus issus de la population Junca33 ont des domaines vitaux significativement plus petits que ceux des individus vivant dans les deux autres sites, avec 77,3 ± 40,1 Ha en moyenne contre 168,9 ± 79,2 Ha pour la population PNR51 et 393,2 ± 270,4 Ha pour les individus de Canal08 (Figure 4). Les 3 populations montrent également une forte variabilité interindividuelle, particulièrement marquée pour la population Canal08 dont la taille des domaines vitaux individuels varie entre 72 et 675 Ha.
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Sélection de l’habitat
Associées à l’utilisation de Systèmes d’Informations Géographiques, les données GPS peuvent également permettre de savoir quels habitats sont préférés ou évités par le Raton laveur. Dans l’exemple présenté ici, la sélection des habitats est étudiée en comparant les habitats utilisés (habitats au sein desquels sont enregistrées les points GPS) avec les habitats disponibles (habitats représentés dans le domaine vital de l’animal). Cette sélection est exprimée sous la forme d’un indice, l’indice de sélectivité de Chesson, compris entre -1 et 1 (Figure 5). La sélection représentée ici s’exerce à l’échelle de la population : Si tous les individus d’une population (sans les extrêmes) ont un indice de Chesson supérieur à 1 pour un habitat, alors cet habitat est considéré comme sélectionné significativement pour la population considérée (Fiderer et al, 2019).
Pour la population PNR51, aucun habitat n’est sélectionné ou évité de manière significative. La population Canal08 montre en revanche un évitement significatif des cultures, jardins et zones habitées. À l’inverse, les milieux humides, qu’ils soient ouverts (marais) ou arborés (forêts et ripisylves) sont significativement sélectionnés. Enfin, la population Junca33 va éviter significativement les jardins et les milieux ouverts et sélectionner significativement les eaux de surface (mares, étangs, cours d’eau). À l’exception des parcs et jardins évités par les populations Junca33 et Canal08, aucun habitat n’est sélectionné de la même façon d’un site à l’autre.
Savoir ce qu’il mange
Il est possible de connaître la composition du régime alimentaire d’un animal en identifiant les espèces présentes dans ses repas déjà consommés, autrement dit dans son « bol alimentaire ». Selon les outils utilisés, les analyses peuvent être réalisées à différents stades de digestion. Pour cette étude, des prélèvements d’estomacs et de fèces ont été ainsi réalisés sur l’ensemble des départements des Ardennes, de la Marne et de la Gironde.
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Analyse visuelle des contenus stomacaux
Des analyses préliminaires ont été menées sur les contenus stomacaux de 48 individus sauvages tués par piégeage, chasse ou collision routière. Ces analyses consistent à isoler les vestiges d’aliments présents dans l’estomac puis à les identifier à l’aide de clés de détermination en les observant au microscope ou à la loupe binoculaire (Figure 6).
L’aliment le plus représenté dans les estomacs analysés est le maïs, présent dans un tiers des échantillons des Ardennes et de la Marne et 16,7% des échantillons de Gironde. Suivent les insectes, essentiellement des Carabidés et des Orthoptères mais également quelques guêpes, présents dans un quart des estomacs ardennais et environ 13% des estomacs des autres sites. Viennent ensuite les végétaux autres que fruits et maïs, représentés dans un quart des échantillons Marnais. Puis les Crustacés, exclusivement représentés par les écrevisses, aliment le plus représenté parmi les échantillons de Gironde (Figure 7).
Si certains éléments sont facilement reconnaissables, cette méthode reste tout de même limitée par l’influence de l’état de digestion des aliments. En effet, les parties dites « molles » comme la chair animale ou la pulpe des fruits sont vite réduites à l’état de bouillie, contrairement aux os, à la chitine des insectes ou à la tige ligneuse de certains végétaux (Sheppard et Hardwood, 2005). Il y a donc de fortes chances que des aliments consommés depuis plusieurs heures ne soient plus identifiables.
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Métabarcoding
Une autre méthode utilisée pour cette étude consiste à extraire les ADN contenus dans les fèces des ratons laveurs afin de les comparer à des ADN répertoriés dans des banques de référence dédiées. Cette méthode, appelée métabarcoding, doit son nom à l’utilisation de très courtes séquences d’ADN propres à chaque espèce et appelée « code-barres » (Figure 8).
L’avantage de cette technique est qu’elle peut permettre de révéler la présence d’espèces qu’il aurait été très difficile d’identifier visuellement. L’inconvénient c’est qu’elle est très sensible à la qualité de l’ADN, ce qui peut empêcher ou fausser l’identification des séquences (Ando et al, 2020).
A l’heure actuelle, 180 échantillons de fèces ont été extraits et traités par le Laboratoire des Landes et des Pyrénées. Ces données seront prochainement analysées et devraient permettre d’apporter davantage de précision quant à la composition du régime alimentaire du Raton laveur, notamment sur la présence éventuelle d’espèces protégées.
Quelques éléments de discussion
Chacune des populations étudiées se démarque par des comportements spatiaux et alimentaires propres. La sélection significative des eaux de surface et la présence majoritaire de l’écrevisse dans les estomacs des ratons laveurs girondins laissent penser que celle-ci constitue une ressource alimentaire suffisante pour leur permettre de maintenir des domaines vitaux de petite taille. À l’inverse, les individus évoluant dans le bocage autour du canal des Ardennes semblent devoir effectuer de grands déplacements pour trouver de la nourriture, ce qui expliquerait l’établissement de domaines vitaux de grande taille. Ils semblent toutefois sélectionner préférentiellement les milieux humides et fermés pour leurs déplacements, lesquels sont pourtant peu représentés dans le paysage au sein duquel ils évoluent. Les ratons laveurs suivis au sein du PNR51, quant à eux, sélectionnent les habitats de manière très différente d’un individu à l’autre. Certains individus vont par exemple se nourrir presque systématiquement dans des zones habitées (hangar, compost…) tandis que d’autres resteront soigneusement cantonnés à la forêt ou près d’un plan d’eau.
Il est important de noter qu’un grand nombre de facteurs biologiques et environnementaux peuvent influencer ces comportements, tels que les saisons et le sexe des individus. Or, en raison des nombreuses difficultés rencontrées lors des suivi GPS, le nombre de données obtenues ne permet pas de sous-échantillonner les populations sans compromettre la pertinence des analyses réalisées.
Malgré tout, ces premières analyses confirment la grande plasticité dont peut faire preuve le Raton laveur tant dans son utilisation de l’espace et des habitats que dans le choix de ses aliments. Elles révèlent également l’importance de tenir compte des biotopes du territoire et de sa structuration paysagère, et de l’histoire de la population et des individus pour la mise en place de mesures de gestion adaptées.
Le travail continue…
Des analyses plus fines de la sélection de l’habitat et de la composition du régime alimentaire sont en cours pour préciser les résultats de ces premières analyses.
Cette thèse s’inscrit au sein des travaux de recherche menés par le consortium Raton laveur. Des études sont actuellement réalisées par ses membres pour faire état du statut sanitaire (Thèse vétérinaire de Nathan Thenon, 2022) et de la structure génétique des populations de Raton laveur en France métropolitaine. Affaire à suivre…
Rédaction et illustrations : Manon Gautrelet, Groupe de recherche de d’étude pour la gestion de l’environnement (GREGE) – photo de couverture © R. Emeriau ; Fig.3 © S. et B. Charpentier
Relecture : Madeleine Freudenreich (Comité français de l’UICN) et Alain Dutartre (expert indépendant)
Références :
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- Beasley, J. C. (2005). Home range attributes and multi-scale habitat selection of raccoons in Northern Indiana. Thesis, (December), 63.
- Burt, W. H. (1943). Territoriality and home range concepts as applied to mammals. Journal of Mammalogy, 24(3), 346–352.
- Fiderer, C., Göttert, T., & Zeller, U. (2019). Spatial interrelations between raccoons (Procyon lotor), red foxes (Vulpes vulpes), and ground-nesting birds in a Special Protection Area of Germany. European Journal of Wildlife Research, 65(1). https://doi.org/10.1007/s10344-018-1249-z
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- Mooney, H. A., & Cleland, E. E. (2001). The evolutionary impact of invasive species. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, 98(10), 5446–51.
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- Ruys, T., Coïc, C., Cugnasse, J.-M., Steinmetz, J., & Lorvelec, O. (2012). Le Raton laveur, une espèce naturalisée en région Aquitaine ? 20(February), 42–44.
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- Sheppard, S. K., & Harwood, J. D. (2005). Advances in molecular ecology: Tracking trophic links through predator-prey food-webs. Functional Ecology, 19(5), 751–762. https://doi.org/10.1111/j.1365-2435.2005.01041.x
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- Zeveloff, Samuel I. (2002). Raccoons: A Natural History. Washington, DC: Smithsonian Institution Press; 240 p.