Les espèces exotiques envahissantes (EEE) sont une des principales menaces qui pèsent sur la biodiversité dans le monde. Le nombre d’EEE ne cesse en effet d’augmenter, avec parfois des impacts importants sur les activités humaines (adventices de cultures, espèces allergisantes, vecteurs de maladies…) et sur les espèces natives (modification du milieu, prédation, compétition…). Certains arbres exotiques peuvent également créer d’importantes difficultés, comme le Cerisier tardif qui envahit les sous-bois forestiers, ou l’Ailante glanduleux qui réduit la diversité spécifique en dégageant des substances allélopathiques dans les sites où elle peut former des peuplements monospécifiques. Cependant, des conflits entre conservation de la biodiversité et développement économique peuvent émerger avec certaines espèces présentant des usages reconnus. Par exemple, le Robinier faux-acacia apprécié pour sa valeur ornementale produit un bois de qualité. Cette espèce fixatrice d’azote a cependant tendance à envahir des milieux ouverts de grand intérêt biologique, dont elle modifie totalement les conditions abiotiques, ce qui lui vaut une place dans le classement des 100 pires invasives d’Europe du projet DAISIE.
De par leur long cycle de vie, les arbres exotiques présentent également une plus longue période de latence entre leur introduction et le moment où ils sont susceptibles d’envahir les milieux naturels, ce qui empêche une évaluation précoce correcte de leur potentiel invasif. Il se constitue ainsi une véritable « dette d’invasion » en Europe, avec toute une série d’espèces déjà introduites, et installées, et en phase de devenir invasives. Aujourd’hui largement répandu, le Robinier faux-acacia fut l’une des premières essences introduites en Europe, dès le 17ème siècle (figure 1). Comme les arbres peuvent être de très efficaces ingénieurs d’écosystèmes, il est crucial d’identifier les espèces à risques avant qu’elles ne deviennent trop répandues et que les coûts de leur gestion trop élevés.
La sylviculture est une des principales voies d’introduction d’espèces d’arbres exotiques, d’autant plus au cours des vingt dernières années avec les divers programmes de diversification d’essences de production destinés à améliorer la résilience des forêts face aux changements climatiques. Or, les espèces exotiques plantées sur de grandes superficies sont choisies pour être en bonne adéquation climatique et édaphique avec leur zone d’introduction, tout en présentant un taux de croissance élevé, ce qui favorise leur naturalisation et accroit le risque de devenir invasif. L’introduction d’espèces exotiques comme stratégie d’adaptation au changement climatique a d’ailleurs été récemment décriée par plusieurs études scientifiques et associations (par exemple, le livre blanc de la Société Botanique de France sur l’introduction d’essences exotiques en forêt, paru en 2021). Les risques de réduction de la biodiversité, d’introduction conjointe de pathogènes, d’hybridation ou d’invasions dans les milieux naturels sont en effet jugés importants. En 2014, la base La base de données mondiale des arbres et arbustes envahissants comptabilisait 59 arbres exotiques envahissants en Europe (Rejmanek, 2014).
Utiliser les vieux arboretums forestiers comme des expérimentations naturelles
En Wallonie, région couvrant la moitié sud de la Belgique, un réseau d’arboreta forestiers a été créé au début du 20ème siècle pour tester les capacités de production d’une série d’espèces natives et exotiques. Certains de ces arboreta ont été peu gérés depuis quelques dizaines d’années, ce qui offre l’opportunité d’observer la régénération naturelle des espèces exotiques. Huit arboretums ont été sélectionnés dans l’objectif d’y identifier les espèces présentant un caractère envahissant.
Plusieurs espèces présentant à la fois une importante régénération et une dispersion importante ont ainsi été identifiés : certaines déjà connues pour leur caractère invasif, telles que le Chêne rouge d’Amérique ou le Cerisier tardif, mais également certains érables et conifères (Érable jaspé de gris, Pruche de l’Ouest, Sapin de Vancouver, Thuya géant…). Des suivis spécifiques de dispersion ont par exemple démontré que la Pruche de l’Ouest (Tsuga heterophylla) peut former de nouvelles populations matures à grande distance des plantations (plus de 500 mètres en 50 ans sur certains sites) et créer de denses fourrés empêchant la régénération d’espèces natives. En associant la densité de régénération de ces espèces avec leur distance de dispersion, il est ainsi possible d’identifier les essences avec un fort potentiel d’envahissement (figure 2). Les arboreta forestiers et autres vieux sites expérimentaux peuvent donc servir de « sites sentinelles » pour détecter des espèces exotiques à risque.
En complément, des études du lien entre traits de croissance et caractère invasif d’érables et de conifères ont été menées sur des plantules. Ces études ont permis de mettre en évidence un « syndrome d’invasion forestière », caractérisé par une croissance rapide en hauteur et une tolérance à l’ombrage qui, couplées à d’efficaces capacités de dispersion, permettent à certaines espèces de devenir envahissantes en milieu forestier.
L’utilisation irraisonnée d’arbres exotiques pourrait dès lors modifier de manière extrêmement importante et dommageable les écosystèmes forestiers concernés par ces introductions. Compte tenu de la vulnérabilité des forêts natives face aux changements globaux, il est imprudent de faire peser plus d’incertitude sur les forêts avec une utilisation abusive d’arbres non indigènes dont les impacts sur les écosystèmes sont encore mal évalués. Certaines pratiques forestières, comme les mises à blanc ou les plantations en monocultures peuvent également faciliter la dispersion de certaines espèces non indigènes. Il serait donc primordial d’effectuer de minutieuses analyses de risques avant l’utilisation d’essences exotiques et, de manière générale, de plutôt favoriser l’utilisation d’essences natives ou du moins européennes dans les programmes de diversification forestière.
En 2017, un Code de conduite sur l’utilisation d’essences exotique a été produit par le Conseil de l’Europe visant à prévenir l’introduction et la dissémination d’espèces d’arbres exotiques envahissants.
Consultez la vidéo du webinaire : https://societebotaniquedefrance.fr/2023/04/29/invasions-silencieuses-en-forets-pourquoi-certains-arbres-exotiques-deviennent-ils-envahissants/
Rédaction : Aurore Fanal, doctorante à l’axe Biodiversité et Paysage, Gembloux Agro-Bio Tech (ULiège)
Relecture : Alain Dutartre (expert indépendant) et Madeleine Freudenreich (Comité français de l’UICN)
Références utiles :
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