D’origine tropicale, la Laitue d’eau, Pistia stratiotes L. (Araceae) est une plante aquatique vivace, flottante. Jusqu’à présent, la bibliographie nous indiquait que cette espèce était observée de manière ponctuelle et éphémère. Il était admis que cette présence aléatoire était liée au caractère gélif de la plante : les peuplements observés quelquefois en fin d’été dans le Sud-Ouest (Gironde) et en région méditerranéenne (Gard, Hérault, Vaucluse, Bouches-du-Rhône) semblaient disparaître avec l’hiver et dépendre de réintroductions régulières (espèce utilisée en aquarium de serres ou d’appartement et en bassins extérieurs). Observée de manière plus régulière depuis 2012 sur le contre canal en rive droite du Rhône, en amont de sa confluence avec le Gardon, une prolifération importante est signalée depuis début septembre 2016 sur plusieurs kilomètres avec une portion de près de quatre kilomètres où l’espèce recouvre 100 % du canal (relevés effectués début octobre 2016 par le SMAGE des Gardons).
D’après la Compagnie Nationale du Rhône (CNR) Pistia stratiotes est connue dans ce secteur depuis 2005. Cette plante se reproduit végétativement par des stolons qui donnent naissance à de nouvelles rosettes, formant ainsi de grandes colonies. Selon les informations disponibles, l’espèce produit des graines viables en Europe mais aucune germination n’a pour l’instant été observée sur le terrain en métropole. Les graines germent à une température minimale de 20°C, et sont résistantes à de longues périodes de gel ne dépassant pas -5°C. Dans les régions où la germination est possible, la voie asexuée reste cependant le mode principal de reproduction de l’espèce. Sur le contre-canal du Rhône, l’espèce semble passer l’hiver sous les ronciers en pied de berge, mais a aussi été observée dans des roselières, les enrochements, et parmi les hélophytes de bordure. Sa croissance est extrêmement rapide et des plans d’eau entiers ou des portions de cours d’eau dépourvues de courant peuvent être recouverts par un tapis dense de rosettes connectées par des stolons. La jussie, déjà présente sur le secteur est capable de s’installer au sein de ce tapis, elle y a été observée en quelques endroits. En revanche, le Myriophylle du Brésil, présent les années précédentes sur le même site, n’a pas été retrouvé cette année.
A la faveur d’un hiver 2015-2016 particulièrement doux, un nombre bien plus important de stolons a pu survivre durant cette période et se développer dès le début de l’été à partir d’un nombre beaucoup plus important de pieds “mères” que les autres années, ce qui peut expliquer la situation très exceptionnelle observée cette année. A une telle densité, la laitue d’eau élimine l’ensemble de la végétation indigène immergée ou flottante, diminue voire annule la pénétration lumineuse dans l’eau et crée des conditions d’anoxies néfastes à la faune dans ce milieu peu courant. Plusieurs questionnements émergent de la part des pêcheurs, qui fréquentent régulièrement le site, sur les impacts de la prolifération de Laitue d’eau sur les peuplements piscicoles et une pêche électrique pourrait être envisagée pour tenter d’y répondre. La CNR va engager des travaux pour gérer cette situation. Un arrachage mécanique est prévu avec un bateau arracheur et un engin amphibie, ainsi qu’un piochage au niveau des aqueducs à l’aide d’une pelle mécanique. Les plantes arrachées seront évacuées sur des zones prévues à cet effet (hors zone inondable) puis traitées dans une décharge habilitée. Ces actions seront accompagnées d’un suivi hivernal post-intervention. Il conviendra de réaliser une campagne de reconnaissance depuis les berges du Rhône et des canaux à l’aval de la zone présentement colonisée, les crues du Gardons étant susceptibles de disperser les stolons. Ces actions de suivi et de veille seront réalisées en lien avec les acteurs locaux (associations de pêche et SMAGE des Gardons).
Pour éviter une remontée de l’espèce sur les Gardons et ses affluents (favorisée par le vent du sud), une campagne d’arrachage exhaustif est envisagée sur la commune de Comps en novembre 2016. Un suivi sera réalisé en 2017.
Il permettra de définir si ces actions d’arrachage précoce ont été efficaces, ou, dans le cas où l’espèce est retrouvée, d’identifier les difficultés de gestion restant à anticiper. Ces écueils pourront être liés à la difficulté d’extraction de plants qui ont survécu à l’hiver, où à la germination de graines de Laitue d’eau sur la zone, qui serait alors une hypothèse à explorer.
A une échelle plus large, pour favoriser sa détection précoce et son éradication rapide, il conviendra désormais de cibler cette espèce dans les différents réseaux de surveillance, dont celui dédié au suivi des Jardin espaces verts et infrastructures (JEVI) de la surveillance biologique du territoire. Avec le changement climatique et la fréquence plus élevée des hivers doux, des proliférations de cette ampleur risquent de se reproduire plus souvent dans la vallée du Rhône mais aussi potentiellement ailleurs, au moins dans le Midi et le Sud-Ouest.
En régions PACA et ex-Languedoc-Roussillon, afin de contribuer à l’amélioration de la connaissance de la répartition de cette espèce, n’hésitez pas à signaler toute nouvelle observation sur le site « Espèces végétales exotiques envahissantes Alpes-Méditerranée » du Conservatoire botanique national méditerranéen : www.invmed.fr
Rédaction : Guillaume Fried (ANSES), Jean-Phillipe Reygrobellet (SMAGE des Gardons), Romain Brusson (CNR), Alain Dutartre (Expert indépendant), Emmanuelle Sarat (UICN France) et Joël Martin (AAPPMA Gaule Aramonaise).
En savoir plus :
Vélard C.1998. La Laitue d’eau : Pistia stratiotes L. Synthèse bibliographique. CEMAGREF, 85 pp.