Les EEE dans la Stratégie Nationale de la Biodiversité : quels regards du Comité National de la Biodiversité ?

Lors de sa séance du 24 juin 2025, le Comité National de la Biodiversité (CNB) a adopté un avis sur l’état d’avancement 2024 de la SNB 2030. Cet avis occupe les 43 premières pages d’un document qui en compte au total 169 en incluant en annexe les contributions de différents membres du CNB.

La Mesure 10 de cette stratégie intitulée « Limiter l’introduction et lutter contre les espèces exotiques envahissantes » est une des 40 mesures de la stratégie nationale. Elle y est incluse dans le Sous-axe 1.1 « Réduire les pressions directes » de l’Axe 1 « Réduire les pressions qui s’exercent sur la biodiversité« . Quelles sont les informations faisant état de cette Mesure 10 dans cet avis du CNB ?

N.B. : les parties de texte extraites du document sont en italique.

Un avis longuement argumenté sur l'évolution de la biodiversité

Le résumé exécutif de cet avis de 6 pages rassemble des recommandations et propositions sur l’état d’avancement de la SNB parmi lesquelles 18 sont particulièrement soulignées. Ces recommandations et propositions sont organisées avec deux premiers intertitres explicites (« Un rapportage annuel effectif mais insuffisant en matière d’analyse« , « Une gouvernance qui doit gagner en inclusivité et efficacité« ), suivis d’une analyse par axes (« Réduire les pressions qui s’exercent sur la biodiversité« , « Restaurer la biodiversité dégradée partout où c’est possible« , « Mobiliser tous les acteurs« , « Garantir les moyens d’atteindre ces ambitions« ).

Au vu des arbitrages gouvernementaux politiques et budgétaires réalisés ou en cours en 2025, le CNB « s’interroge sur la capacité de la France à respecter ses engagements européens et internationaux à 2030 rappelés dans l’introduction du rapport : stopper puis inverser la trajectoire d’effondrement de la biodiversité, en accord avec le cadre mondial pour la biodiversité, adopté en décembre 2022 à Montréal. »

La première recommandation porte d’ailleurs très clairement sur ces interrogations du comité :

Recommandation 1 – Pour respecter les engagements de la France et atteindre les objectifs fixés dans la SNB, le CNB recommande avec force au gouvernement :

  • d’assurer un portage politique fort, continu et interministériel de la SNB,
  • d’intégrer pleinement les objectifs de la SNB parmi les priorités des politiques sectorielles,
  • d’assurer une montée en puissance importante et pluriannuelle des financements dévolus à la SNB (et aux politiques connexes comme la Stratégie nationale des aires protégées (SNAP) et le Plan national de restauration de la nature (PNRN)),
  • d’activer sans délai les leviers de la réduction, de la réorientation et de la suppression des soutiens publics financiers et dispositifs fiscaux dommageables à la biodiversité,
  • de renforcer l’articulation territoriale de la SNB,
  • d’assumer un haut niveau d’exigence du futur Plan national de restauration de la nature (PNRN),
  • de maintenir les objectifs intermédiaires (-50% en 2031) et finaux (zéro en 2050) de la politique « Zéro artificialisation nette » (ZAN).

L’avis global rédigé des pages 10 à 43 du document reprend l’analyse organisée présentée de manière résumée dans l’avis exécutif en listant successivement les 40 mesures.

Le CNB : créé par la loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 relative à la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, le Comité national de la biodiversité (CNB) est l’instance d’information, d’échanges et de consultation sur les questions stratégiques liées à la biodiversité. Il peut être consulté par le gouvernement sur tout sujet relatif à la biodiversité ou ayant un effet notable sur celle-ci.

Dans les avis qu’il est amené à rendre, le Comité national de la biodiversité veille à la cohérence des politiques de biodiversité aux niveaux national et territorial, en lien notamment avec les comités régionaux de la biodiversité et les comités de l’eau et de la biodiversité.

Selon l’arrêté du 17 octobre 2022, sa composition actuelle est de 143 membres répartis en 9 collèges, représentant les toutes les parties-prenantes publiques et privées concernées par la biodiversité.

Les EEE dans tout ça?

Une lecture séquentielle du document, spécifiquement portée aux mentions sur cette Mesure 10, a permis de dresser une liste des avis, regards, etc., la concernant qui y sont présentes, tout d’abord au titre du CNB puis dans les contributions de certains membres du Comité.

  • Dans l’avis du CNB

Dans le chapitre intitulé « Un lancement effectif de la SNB en 2024 mais des premiers résultats peu significatifs« , page 10, tout en rappelant l’importance du travail réalisé par les services ministériels dans la mise en œuvre de la SNB, il est noté que si certains indicateurs-clés semblent être sur la bonne voie, « d’autres nécessitent des efforts spécifiques« , dont « la lutte contre les espèces exotiques envahissantes (EEE)« .

Dans l’axe « Réduire les pressions qui s’exercent sur la biodiversité« , pages 24 et 25, le texte sur la Mesure 10 « Lutter contre les EEE » liste un certain nombre de rappels classiques sur ces espèces, tels que l’établissement de leur statut sur des éléments scientifiques et empiriques tangibles, le fait de privilégier l’interdiction du commerce des espèces potentiellement envahissantes, l’intérêt des interventions précoces ou encore les choix de stratégies sur les EEE émergentes, les fronts de colonisation pour les EEE largement installées, et les sites prioritaires.

Le CNB rappelle que plus de 90 EEE dans l’Hexagone sont aujourd’hui interdites d’importation, de commerce et de détention et que la survie de certaines espèces menacées, notamment dans les outre-mer, dépend de la poursuite d’opération de gestion d’espèces exotiques envahissantes. Il souligne à titre d’exemple l’intérêt du projet européen LIFE BIODIV’OM, qui a permis de déployer divers programmes de lutte contre les EEE dans les DOM.

En indiquant que le taux moyen par département d’introduction de nouvelles EEE a été multiplié par 10 en 50 ans, il invite à préciser les méthodes employées pour mesurer la réduction de l’introduction des EEE : échelle géographique, zones de référence, temporalité ?

Ce texte sur la Mesure 10 se termine par des considérations sur le fait que la problématique des EEE peut être assimilée à une question sanitaire au sens large et un souhait pour davantage de coordination interministérielle (Environnement, Santé, Agriculture/Foret) pour répondre aux multiples enjeux des EEE en privilégiant l’approche One Health puis se conclut par la mesure suivante :

Le CNB invite à accorder une forte priorité à l’interdiction du commerce d’espèces potentiellement envahissantes pour lutter contre les EEE et à renforcer les contrôles à l’importation, au sein des établissements commerciaux et sur le e-commerce.

  • Dans les contributions des membres du CNB

En prenant comme exemple un retour d’expérience de la communauté urbaine de Dunkerque (CUD), dans le cadre de plans de gestion pluriannuels sur l’ensemble du patrimoine naturel communautaire, la contribution de l’association France urbaine signale l’importance primordiale d’un soutien financier permettant de conserver un niveau de gestion de qualité et d’atteindre les objectifs écologiques fixés à court, moyen et long terme en citant  diverses actions de gestion, dont le contrôle des espèces exotiques envahissantes…”

A propos de la lutte contre les EEE, la contribution des Chambres d’Agricultures France  indique qu’il est nécessaire de renforcer les moyens pour limiter leur introduction et la pression qu’elles exercent.

La contribution du MEDEF sur les aspects concernant les EEE s’appuie sur les réalisations de la Fédération Nationale des Travaux Publics (FNTP) en matière de prise en compte de la biodiversité sur les chantiers. La mesure sur la lutte contre les espèces exotiques envahissantes pourrait être approfondie. Afin d’améliorer la lutte contre les EEE, il convient de continuer à former et à sensibiliser les maitres d’ouvrages, afin que cette problématique soit systématiquement traitée dans les projets d’aménagement. Est également citée la création de l’application Lucee-TP permettant la reconnaissance et le suivi des espèces exotiques envahissantes sur les chantiers et aux entreprises d’adapter leurs interventions au regard de ces risques de contamination et de mettre en place les préconisations adaptées au regard de l’espèce présente.

Dans ses commentaires sur les indicateurs clés, dont la majorité est encore élevée par rapport aux cibles de 2030, le syndicat CFE-CGC note que l’indicateur de lutte contre les espèces exotiques envahissantes est quant à lui à la hausse, ce qui témoigne d’un manque d’efficacité des actions de la SNB à ce niveau. Des mesures plus ambitieuses et des moyens supplémentaires sont à envisager afin d’atteindre les objectifs fixés.

 La contribution de l’Association française interprofessionnelle des écologues sur les EEE débute par la déclaration suivante : besoin d’approche plus préventive, se poursuit par une remarque : les EEE sont surtout évoquées via les milieux aquatiques et les jardins, mais les causes liées aux comportements humains ne sont pas assez traitées et se termine par une proposition : renforcer la prévention à destination des ménages (déchets, aquariophilie, pisciculture) et préciser les financements publics engagés pour leur régulation.

La seule mention des EEE dans la contribution de France Nature Environnement se trouve en tant qu’exemple de la qualité du rapport d’avancement du CBN en matière de fourniture d’éléments quantitatifs et/ou qualitatifs dont des recommandations sur les efforts à poursuivre : Concernant les EEE, le contrôle de l’entrée sur le territoire manque de moyens et la communication doit être renforcée.

La clôture en 2024 du projet européen LIFE BIODIV’OM,  coordonné à l’échelle nationale par la LPO et  dont une partie a permis de déployer des actions d’ampleur de lutte contre des EEE, est signalée dans la contribution de la LPO France.

La contribution de la Société Nationale pour la Protection de la Nature porte sur l’indicateur-clé utilisé pour évaluer les dynamiques des EEE en signalant qu’il ne paraît pas adapté (et il recule). Il serait plus pertinent d’avoir des stratégies adaptées par espèce ou groupe d’espèces.

Celle de l’union nationale des Centres Permanents d’Initiatives pour l’Environnement porte sur l’intérêt du suivi des expérimentations de mise en culture d’espèces et d’essences (arbustes et arbres) pour une meilleure adaptation au changement climatique et d’espèces à impact sur la santé publique telles que l’ambroisie ou le moustique tigre, en rappelant les types d’actions portées par des CPIE et unions régionales de CPIE pour limiter l’introduction et lutter contre les EEE.

Enfin celle du Centre National de la Recherche Scientifique comporte uniquement une série de questions, plutôt de nature méthodologique, sur l’évaluation des dynamiques des EEE : quelles méthodes sont utilisées pour estimer la réduction de leur introduction ? À quelle échelle (locale, régionale, nationale) ? Quelles sont les zones de référence et la temporalité de l’analyse ?

Quelques commentaires

L’objectif de cette « extraction » d’information concernant une seule mesure sur les quarante que compte la SNB, celle qui fait l’objet des préoccupations et réflexions de notre réseau, était bien de parcourir les avis, annotations et critiques figurant dans ce document établi une année après la mise en place effective de cette stratégie. Il paraissait intéressant d’examiner comment pouvait être traitée cette question particulière à partir d’analyses, de visions depuis l’échelle nationale des membres de ce Comité, pour en évaluer les écarts ou les convergences avec les échanges au sein du REST.

En complément de la proposition formelle au titre du CNB portant sur la priorité à donner à l’interdiction du commerce d’espèces potentiellement envahissantes pour lutter contre les EEE et à renforcer les contrôles à l’importation, la liste des éléments émanant de la dizaine de membres du CNB citant très diversement cette mesure montre que s’y retrouvent les questionnements assez « classiques » sur la problématique de gestion des EEE. Il s’agit par exemple des questions de financement, de renforcement des moyens pour atteindre les objectifs fixés, de la diversité des vecteurs d’introduction ou des indicateurs d’évaluation des dynamiques de ces espèces.

Le projet européen LIFE BIODIV’OM, cité également dans l’avis du CNB, et les informations sur les entreprises de travaux publics avec cette application Lucee-TP montrant leur implication effective croissante sur le sujet des EEE, illustrent des avancées perceptibles dès la première année de la mise en œuvre de cette Stratégie. Cependant, la première recommandation du CNB liste bien ses interrogations sur le respect par l’état français des engagements européens et internationaux sur les enjeux de biodiversité d’ici à 2030, avec en arrière plan les aspects de financement des actions dans ce domaine.

Au final, sur notre question des EEE, force est de constater l’extrême écart perceptible entre, d’une part, l’invitation du CNB qui leur est consacrée et les éléments sur le sujet inclus dans leurs contributions par différents membres du comité, l’ensemble constituant, au mieux, des recommandations utiles et, d’autre part, les perceptions partagées par tous les gestionnaires et chercheurs directement concernés de la gravité croissante de la situation induisant de fortes inquiétudes sur l’évolution à l’échelle nationale des moyens humains, financiers et techniques qui pourront être consacrés à la gestion des invasions biologiques.

Rédacteur : Alain Dutartre (expert indépendant)

Relectures : Yohann Soubeyran et Camille Bernery (Comité français de l’UICN)

 

Photo en bandeau : Myriophyllum aquaticum © Emilie Mazaubert