La Petite fourmi de feu (PFF) ou Fourmi électrique (Wasmannia auropunctata), originaire d’Amérique du Sud, a été détectée pour la première fois en métropole dans le Var en août 2022. Cette fourmi figure parmi les espèces exotiques envahissantes les plus problématiques au niveau mondial (IUCN Global invasive species database)
Quelques informations au sujet de Wasmannia auropunctata
Présentation de l’espèce :
Description
Les ouvrières sont reconnaissables à leur petite taille d’environ 1,2 mm de long, de couleur brun-orangé. Elles ont un petit nombre de poils dressés sur le corps, deux segments entre l’abdomen et le thorax, deux épines situées sur le premier segment de l’abdomen, et enfin des antennes de 11 segments.
Au début de leur vie, les individus sexués sont munis d’ailes qu’ils perdent ensuite. Ils sont plus foncés que les ouvrières et mesurent environ 4,5 mm de longueur. Les reines présentent 11 segments antennaires tandis que les mâles en comptent 13.
Comportement et régime alimentaire
La PFF est une espèce opportuniste et polyphage. Elle consomme des invertébrés, des graines et d’autres matières végétales. Une grande partie de son alimentation est constituée de miellat recueilli sur des pucerons (homoptères). Lorsqu’une importante source de nourriture est trouvée, de nombreux individus peuvent être recrutés, sans que les conditions climatiques ne perturbent l’activité de l’espèce.
Les ouvrières sont très agressives envers les autres espèces de fourmis et lorsqu’elles envahissent un nouveau territoire elles sont capables de les exclure complètement. Les colonies présentent une faible agressivité intraspécifique et une forte agressivité interspécifique. Les nids sont interconnectés en réseau, peu structurés et installés dans tous types de substrat au sol et dans les arbres : sous des feuilles, des pierres, dans le sol ou des creux de branches, etc., dans des milieux divers plus ou moins perturbés. Les colonies sont très mobiles et peuvent se déplacer si elles sont perturbées.
Reproduction
Le système de reproduction de la PFF est unique dans le monde animal. Cette fourmi a deux types de système de reproduction : 1) une reproduction clonale dans lesquelles les mâles et les femelles se reproduisent par clonage (les mâles fécondent des œufs haploïdes, leur ADN remplace celui de la reine pour produire in fine un clone du mâle) ; et 2) la reproduction sexuelle classique rencontrée chez les insectes. Les populations clonales sont principalement associées aux habitats humains ou semi-naturels, alors que les populations sexuelles se rencontrent dans les habitats naturels. La clonalité serait responsable de la capacité à coloniser et à persister dans des environnements extrêmes ou des habitats fortement modifiés.
Vecteurs d’introduction
En raison de son association étroite avec les humains pour sa dispersion, la PPF est considérée comme l’une des espèces classiques de fourmis vagabondes. Elle est très facilement dispersée par le transport de plantes ou de déchets verts.
Le succès de cette espèce en tant qu’envahisseur est associé à sa polyphagie, à son comportement opportuniste, au choix de la stratégie reproductive (reproduction sexuée ou clonale ), à son agressivité intraspécifique inexistante, à sa capacité à s’approprier toutes les ressources d’un environnement et à son organisation sociale unicoloniale dans laquelle les individus de différents nids se mélangent librement, formant une grande supercolonie très compétitive
(Hervé Jourdan, IRD Nouvelle-Calédonie)
Répartition mondiale :
Originaire d’Amérique Centrale et du Sud, Wasmannia auropunctata a été introduite dans certaines parties de l’Afrique (dont le Gabon et le Cameroun), du Moyen-Orient (Israël), de l’Europe (Espagne), de l’Amérique du Nord (dont le Canada) et de l’Amérique du Sud. Elle a également été introduite dans des îles des Caraïbes et de l’océan Pacifique (dont la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française) (Wetterer, 2013).
Situation en Europe
A ce jour, la PFF est connue pour avoir établi des populations uniquement dans le sud de l’Espagne, dans la région de Malaga (Espadaler et al., 2018). Avant cela, elle a été signalée pour la première fois dans des serres en 1927 au Royaume-Uni, en 1952 en Allemagne, en 1988 aux Pays-Bas lors d’une inspection à l’importation au Service de la protection des végétaux, et en 2006 en Italie.
En Espagne, la zone infestée a un périmètre de 1,2 km et couvre une surface de 5,8 ha. Bien qu’un certain nombre d’autres espèces de fourmis indigènes soient trouvées autour de cette zone infestée, aucune espèce de fourmis indigènes n’est y détectée à l’intérieur.
L’espèce est également présente en Israël dans des conditions climatiques plus difficiles (températures assez basses et faible pluviométrie). Malgré ces conditions abiotiques assez différentes de celles de leurs habitats d’origine, les populations installées montrent un comportement de nidification et de recherche de nourriture similaire à celui observé dans les zones tropicales et subtropicales (Vonshak et al., 2010).
Impact
La PPF est considérée comme l’une des espèces exotiques envahissantes les plus répandues sur la planète. Elle a colonisé presque tous les continents et engendre des impacts écologiques, économiques et sanitaires indéniables. Figurant sur la liste de l’UICN des 100 espèces les plus envahissantes au monde, elle est identifiée comme présentant de tels risques majeurs pour l’Union Européenne (Blight, 2020).
Sur le plan écologique, elle est un prédateur ubiquiste. Ses impacts sur la faune concernent les invertébrés mais aussi les vertébrés (reptiles, oiseaux, mammifères) et peuvent être directs, par prédation, et indirects par compétition ou en favorisant des insectes suceurs de sève sur les végétaux (Jourdan et al., 2000 ; Jourdan et al., 2001 ; Le Breton et al., 2003 ; Wetterer, 2013). L’ensemble des autres populations d’insectes peut être affecté par l’invasion de la PPF et, d’une manière générale, les ressources alimentaires disponibles sont modifiées et la chaîne trophique est déséquilibrée.
Les animaux domestiques tels que les chiens et les chats sont également affectés. Des piqûres répétées de cette fourmi peuvent provoquer l’altération de la vue et des cas de kératopathie ont été observés à Tahiti chez les chats et les chiens vivant à son contact.
Sur le plan économique, une étude récente a évalué son coût économique global à près de 20 milliards de dollars (Angulo et al., 2022). La PFF peut élever des cochenilles ou des pucerons sur des arbres fruitiers. En les protégeant de leurs parasites et prédateurs, elle se nourrit ainsi du miellat produit par ces homoptères. Cet élevage d’insectes piqueurs suceurs se nourrissant de sève peut conduire à la mort de certains plants avec une perte économique conséquente. Dans les zones lourdement infestées, la PFF peut fortement perturber les diverses activités agricoles en accroissant les dommages des pucerons et des cochenilles et en gênant la conduite des travaux agricoles à cause de ses piqûres répétées et irritantes.
Sur le plan sanitaire, les piqûres sont très irritantes et posent un problème sanitaire direct car en fonction des individus, la réaction cutanée peut être plus ou moins intense et longue, et accompagnée ou non de démangeaisons. Des sujets sensibles peuvent développer des phénomènes allergiques tels qu’une hypersensibilisation à la piqûre.
Situation en France
Jusqu’à présent, la PPF n’était présente en France que dans les outre-mer : Martinique et Guadeloupe dans les Antilles françaises et dans les collectivités du Pacifique (Polynésie française, Nouvelle-Calédonie et Wallis et Futuna) où elle figure parmi les espèces exotiques les plus envahissantes.
Des individus ont été récoltés cet été dans le jardin d’une résidence à Toulon, en front de mer. L’identification a été confirmée en août 2022 par Christophe Galkowski, référent taxonomique de l’association AntArea (http://antarea.fr/fourmi/). A ce jour, une zone d’environ 1ha a été localisée mais il est probable que d’autres zones soient déjà envahies. En effet, la taille de cette zone et la densité d’ouvrières rencontrées lors des deux prospections réalisées depuis suggèrent une présence de l’espèce depuis quelques années. Les services de l’État, de l’Office français de la biodiversité (OFB) et de l’Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Écologie marine et continentale (UMR IMBE) sont mobilisés pour confirmer l’ampleur des nids et de la propagation in situ de cette espèce, et pour déterminer l’origine de son introduction.
Statut et règlementation :
Wasmannia auropunctata figure sur la liste des espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour l’Union Européenne (règlement d’exécution (UE) 2022/1203). Son introduction sur le territoire, y compris le transit sous surveillance douanière, l’introduction dans le milieu naturel, détention, transport, colportage, utilisation, échange, mise en vente, vente ou achat de spécimens sont donc interdits au sein de l’Union européenne. Un arrêté est en cours de publication pour la métropole. La mise en place rapide d’un plan d’éradication ou de gestion de l’espèce est obligatoire.
Action en cours et à prévoir
Une délimitation précise de la zone d’invasion doit être réalisée très prochainement. C’est un prérequis pour l’élaboration d’un plan d’éradication adapté dans les prochaines semaines. Parallèlement à cette évaluation, une information-sensibilisation des populations locales, des gestionnaires et des entreprises du paysage est en cours afin de limiter les risques de dispersion accidentelle de l’espèce.
Pour les personnes proches du territoire colonisé :
Pour aider à estimer la zone envahie, vous pouvez signaler vos observations sur INPN Espèces. Vous pouvez aussi envoyer des spécimens morts (secs dans du coton ou dans un tube avec de l’alcool) à :
Quentin Rome Muséum national d’Histoire naturelle CP50 – 45 rue Buffon 75005 Paris |
ou | Olivier Blight UMR IMBE – Avignon Université 337 chemin des Meinajariés Site Agroparc – BP 61207 84000 Avignon |
Rédaction : Yohann Soubeyran (Comité français de l’UICN)
Relecture: Olivier Blight (Université d’Avignon, UMR IMBE), Quentin Rome (MNHN), Alain Dutartre (expert indépendant)
Cliquez sur l’image pour visionnez les vidéos :
Pour en savoir plus :
- Angulo, E., Hoffmann, B. D., Ballesteros-Mejia, L., Taheri, A., Balzani, P., Bang, A., … & Courchamp, F. (2022). Economic costs of invasive alien ants worldwide. Biological Invasions, 1-20.
- Blight. O. (2020) Risk assessment of Wasmannia auropunctata for the European Union. In : Study on Invasive Alien Species – Development of Risk Assessments.
- Espadaler, X., Pradera, C., & Santana, J. A. (2018). The first outdoor-nesting population of Wasmannia auropunctata in continental Europe (Hymenoptera, Formicidae). Iberomyrmex, 10, 1-8.
- Global Invasive Species Database (2022) Species profile: Wasmannia auropunctata
- Jourdan, H., Sadlier, R., & Bauer, A. (2000). Premières observations sur les consequences de l’invasion de Wasmannia auropunctata 1863 (Roger) sur les prédateurs superieurs dans les ecosystemes néocalédoniens. Actes des Colloques Insectes Sociaux, 13, 121-126.
- Jourdan, H., Sadlier, R. A., & Bauer, A. M. (2001). Little fire ant invasion (Wasmannia auropunctata) as a threat to New Caledonian lizards: evidences from a sclerophyll forest (Hymenoptera: Formicidae). Sociobiology, 38(3), 283-302.
- Le Breton, J., Chazeau, J., & Jourdan, H. (2003). Immediate impacts of invasion by Wasmannia auropunctata (Hymenoptera: Formicidae) on native litter ant fauna in a New Caledonian rainforest. Austral Ecology, 28(2), 204-209.
- Plan de Prévention contre les fourmis envahissantes dans le Pacifique (2004)
- Vonshak, M., Dayan, T., Ionescu-Hirsh, A. et al. The little fire ant Wasmannia auropunctata: a new invasive species in the Middle East and its impact on the local arthropod fauna. Biol Invasions 12, 1825–1837 (2010). https://doi.org/10.1007/s10530-009-9593-2
- Wetterer, J. K. (2013). Worldwide spread of the little fire ant, Wasmannia auropunctata (Hymenoptera: Formicidae). Terrestrial Arthropod Reviews, 6(3), 173-184.