Le Crabe chinois (Eriocheir sinensis H. Milne Edwards, 1853), originaire d’Asie, est un crabe vert olive, d’une largeur totale (pattes comprises) pouvant atteindre 30 cm et sa carapace 10 cm, qui se distingue par ses pinces recouvertes d’une pubescence laineuse, ce qui lui donne également le nom de Crabe à mitaines. L’espèce, qui vit en eau douce et se reproduit en mer, a été introduite en Europe au début du XXe siècle, probablement à l’état larvaire dans les eaux de ballast des bateaux (Noël & Breton, 2016).
En France, le Crabe chinois est signalé pour la première fois autour de Boulogne-sur-Mer en 1930. Il devient abondant dans l’estuaire de la Loire, de la Seine et de la Gironde au milieu du XXe siècle. Après une période d’expansion, l’espèce est en forte régression depuis 1970 (Noël & Breton, 2016). En 1973, Petit et Mizoule indiquaient que l’espèce n’était pas implantée dans le Midi méditerranéen de la France.
Carte de répartition du Crabe chinois en France métropolitaine. L’étoile rouge indique la récente observation dans les bouches du Rhône. Source : Muséum national d’Histoire naturelle . 2003-2019. Inventaire National du Patrimoine Naturel, Site web : https://inpn.mnhn.fr. Consulté le 30 août 2019
Le 23 février 2019, au cours d’une prospection en bateau sur la thématique des espèces exotiques envahissantes, réalisée sur le bras ouest du delta du Rhône (Petit-Rhône) organisée par le CBN Méditerranéen avec la participation du service départemental des Bouches-du-Rhône de l’AFB et du Parc naturel régional de Camargue, un individu de Crabe chinois a été découvert. L’espèce, capturée le matin de la prospection par le propriétaire du bateau, un pêcheur professionnel, a été formellement identifiée par les services de l’AFB (service départemental des Bouches-du-Rhône et UMS Patrinat).
Conséquences de l’implantation du Crabe chinois
A forte densité, l’espèce peut causer des dommages aux ressources piscicoles et aux filets des pêcheurs (Noël & Breton, 2016). Il peut avoir un impact sur les espèces locales (poissons, invertébrés) par prédation et compétition (GISD, 2019). Le Crabe chinois est un omnivore opportuniste qui consomme des phanérogames aquatiques, des algues, des détritus, des œufs de poisson et une large gamme de macroinvertébrés (GISD, 2019). Cette prédation peut entrainer des diminutions importantes des populations de ces espèces ainsi que des espèces concurrentes au crabe, comme les écrevisses. Les populations d’écrevisses rares et menacées peuvent être négativement affectées par les fortes densités de Crabe chinois, par compétition pour les ressources et l’habitat (GISD, 2019). Enfin, lorsque qu’elle est présente en forte densité, l’espèce engendre également des dommages aux digues et une érosion des berges en creusant des terriers pouvant atteindre plusieurs dizaines de centimètres de profondeur (Gollasch, 2011).
En France, aucun de ces impacts n’a été observé ou mesuré jusqu’à présent, du fait de la très faible densité des populations établies et de l’état des connaissances actuelles (Noël & Breton, 2016).
Présent dans tous les pays européens (EASIN, 2019), le Crabe chinois est depuis 2016 sur la liste des espèces préoccupantes de l’Union européenne, en application du règlement (UE) n° 1143/2014 qui prévoit des mesures d’interdiction, de prévention, de surveillance et de gestion des espèces ainsi listées.
Qu’implique cette nouvelle découverte ?
La première observation de l’espèce dans le département des Bouches-du-Rhône suscite de nombreuses questions. Des informations restent à recueillir pour savoir s’il s’agit d’une présence isolée ou si une population est effectivement établie. La répartition de l’espèce dans la zone doit être précisée et il serait intéressant d’enquêter sur l’existence d’observations antérieures sur ce secteur et d’identifier les voies et les vecteurs d’introduction possibles. En effet, bien que les populations établies dans le Nord et le Sud-Ouest de la France ne semblent plus en expansion et ne semblent pas perturber les écosystèmes, nous ne sommes pas à l’abri d’une dynamique des populations différente dans les Bouches-du-Rhône. A noter que le développement larvaire d’Eriocheir sinensis est optimal pour des températures de l’eau comprises entre 12 et 15 °C (Anger, 1991), conditions que l’espèce pourrait trouver en région méditerranéenne.
Afin de préciser la répartition de l’espèce sur le secteur de la Camargue et du Rhône et d’obtenir des informations sur l’historique de la présence du Crabe chinois dans ce secteur, le service départemental des Bouches-du-Rhône de l’AFB envisage de récolter des informations sur les captures éventuelles de l’espèce à l’occasion d’autres missions, notamment les opérations de contrôle des pêcheurs professionnels sur le Rhône.
La gestion du Crabe chinois a été mise en œuvre dans plusieurs estuaires du monde, comme dans celui du Guadalquivir en Espagne (Garcia-de-Lomas et al., 2010), de l’Elbe en Allemagne (Gollash, 2011), de la Tamise au Royaume-Uni (Clark et al., 2008) ou encore dans la baie de San Francisco (Eberhardt, 2016). La technique de gestion la plus fréquemment employée est le piégeage à l’aide de nasses, disposées au fond des estuaires (voir figure ci-dessous). Les retours d’expériences disponibles n’ont pas pu démontrer son efficacité pour réduire les populations de Crabe chinois à un niveau d’impact jugé comme acceptable, les populations implantées restant très difficilement maîtrisables (Gollash, 2011 ; Garcia-de-Lomas et al., 2010).
La surveillance, indispensable pour prévenir et gérer les invasions biologiques
L’observation récente dans un nouveau territoire d’une espèce exotique dont les populations sont en régression progressive dans les premiers sites d’introduction démontre l’intérêt, voire la nécessité, d’une surveillance continue permettant la collecte permanente d’informations sur la présence, l’abondance et la répartition des espèces introduites. Elle seule pourrait permettre le suivi des espèces déjà présentes et répandues, la détection précoce des espèces émergentes mais aussi les nouveaux fronts de colonisation et alerter les acteurs des territoires.
La mise en place progressive d’un réseau d’alerte et de surveillance aux échelles territoriales et nationale devrait contribuer à atteindre ces objectifs. La formation des personnes à l’identification des espèces sur le terrain et la mise en réseau des acteurs pour faciliter le transfert d’information sont indispensables pour assurer le bon fonctionnement d’un tel dispositif.
Rédaction et contributions : Emmanuelle Sarat (Comité français de l’UICN), Cécile Massé (UMS Patrinat), Cyril Cottaz (CBN Mediterranéen), Alain Dutartre (expert indépendant), Cédric Ropars (AFB, DIR PACA).
Contacts :
- Cécile Massé, UMS Patrinat : cecile.masse@mnhn.fr
- Cedric Ropars, AFB DIR PACA : cedric.ropars@afbiodiversite.fr
Pour signaler une observation :
- Signaler l’espèce à l’aide d’un ordinateur : formulaire EEE-FIF
- Signaler l’espèce à l’aide d’un téléphone : Application INPN espèces
En savoir plus :
Fiches d’identification :
EEE-FIF (UMS Patrinat)
Onema Nord-Est
DORIS
NOBANIS
Bibliographie :
- Anger, K. 1991. Effects of temperature and salinity on the larval development of the Chinese mitten crab Eriocheir sinensis (Decapoda: Grapsidae). Marine Ecology Progress Series. 72: 103-110.
- Clark, P., Campbell, P., Smith, B., Rainbow, P., Pearce, D., Miguez, R., 2008. The commercial exploitation of Thames mitten crab: a feasibility study. Pilot project on the feasibility of commercially exploiting Thames Chinese mitten crabs (Rapport pour le Department for Environment, Food and Rural Affairs No. DEFRA reference FGE). National History Museum, Londres.
- Eberhardt, A., Pederson, J., & Bisson, B. (2016). Rapid Response Plan for Management and Control of the Chinese Mitten Crab, Northeast United States and Atlantic Canada.
- Garcia-de-Lomas, J., Dana, E.D., López-Santiago, J., González, R., Ceballos, G. & Ortega, F. 2010. Management of the Chinese mitten crab, Eriocheir sinensis (H. Milne Edwards, 1853) in the Guadalquivir Estuary (Southern Spain). Aquatic Invasions. 5(3): 323-330.
- Gollasch, S. 2011. NOBANIS – Invasive Alien Species Fact Sheet – Eriocheir sinensis. – From: Online Database of the European Network on Invasive Alien Species – NOBANIS – www.nobanis.org
- Global Invasive Species Database (2019) Species profile: Eriocheir sinensis. Downloaded from http://www.iucngisd.org/gisd/speciesname/Eriocheir+sinensis on 28-08-2019.
- Noël P. & Breton G. 2016. Le crabe chinois à mitaines Eriocher sinensis (H. Milne Edwards, 1853). in Muséum national d’Histoire naturelle , 5 décembre 2016. Inventaire national du Patrimoine naturel, pp. 1-24.
- Petit G., Mizoule R., 1973. En douze ans le “Crabe chinois” n’a pu réussir son implantation dans les lagunes du Languedoc. Vie et Milieu, série C, biologie terrestre, 23(1) : 181-18