1. Contexte et intérêt d'une communication
Le Paulownia tomenteux ou Paulownia (Paulownia tomentosa) est une espèce d’arbre de la famille des Paulowniaceae originaire d’Asie de l’Est et particulièrement abondante en Chine. Largement cultivé pour son bois de qualité, ses qualités ornementales et son utilisation dans diverses industries, P. tomentosa a été introduit depuis plusieurs décennies dans de nombreuses régions du monde. Ce fut tout d’abord le cas pour des raisons ornementales aux Etats-Unis et en Europe mais il est dorénavant aussi utilisé pour la production de bois en Amérique du Sud et en Australie. De par sa croissance rapide, ses capacités de dispersion, sa tolérance à de larges gammes de conditions climatiques et ses impacts par compétition, P. tomentosa est déjà considéré dans certaines régions du monde (e.g., Etats-Unis, Nouvelle-Zélande, Suisse) comme une espèce exotique envahissante.
Figure 1 : De gauche à droite, première ligne : Arbre, fleurs et fruits de P. tomentosa. Deuxième ligne : Feuilles et écorce de P. tomentosa.
Alors que l’espèce figure depuis 2021 sur la liste d’alerte des espèces invasives de l’Organisation européenne et méditerranéenne pour la protection des plantes (OEPP), de nombreux projets de plantations industrielles et de créations de pépinières de Paulownia voient le jour en France hexagonale. Les discours publicitaires des structures porteuses de ces projets décrivent P. tomentosa comme un arbre “magique” ou une “essence royale”, et vantent ses capacités de croissance rapide, son bois résistant, son agriculture durable et rentable, sa grande absorption du CO2, et ses multiples utilisations possibles (bois d’œuvre, biocarburant, amélioration des habitats pour la faune, parfums, alimentation du bétail, etc.). Cette communication sur la culture du Paulownia et de ses hybrides est de plus en plus abondante et visible (e.g., Paulownia.Energy France, abrepaulownia.fr, Paulownia France; Paulownia Nature, et l’achat de graines est aussi possible sur des sites de ventes en ligne comme Amazon ou Etsy). Un nombre croissant d’agriculteurs semblent aussi envisager la plantation de Paulownia comme un moyen de diversifier leur activité agricole et de valoriser leurs parcelles difficilement cultivables notamment face aux conséquences du réchauffement climatique désormais perceptibles. Mais la plupart des qualités prêtées au Paulownia demandent à être encore étayées par la science et notamment dans le contexte français.
Dans ce contexte, il a semblé utile de proposer une évaluation des enjeux et des risques que pose l’utilisation de cette espèce et de ses hybrides. Alors que l’article de Serge Muller et Frédérique Santi paru fin novembre 2023 questionnait déjà la place de Paulownia dans les villes et campagnes, nous proposons ici un complément à cette réflexion, en évaluant les risques potentiels d’invasion, les techniques de gestion pratiquées, et en fournissant des recommandations générales sur sa culture.
2. Evaluation des risques d'invasion
Aucune espèce du genre Paulownia n’est réglementée en tant que espèce préoccupante à l’échelle de l’Union européenne. La culture, la commercialisation et la plantation de Paulownia tomentosa sont donc autorisées. Le développement récent de pépinières, accompagné d’une campagne d’informations médiatisées vantant les bénéfices économiques et écologiques de sa production, pourrait conduire à un accroissement des plantations et à une augmentation d’éventuels individus échappés dans le futur, y compris en milieux naturels. Il convient donc d’étudier la réalité de ce risque en France métropolitaine.
2.1. Risques répertoriés dans le monde et en Europe
Le Paulownia tomenteux a déjà fait l’objet de plusieurs évaluations du risque dans le monde et en particulier aux Etats-Unis où il est considéré comme envahissant de la Pennsylvanie au sud jusqu’à la Géorgie et à l’ouest jusqu’au Missouri. L’application du protocole australien Weed Risk Assessment (WRA), ou de son adaptation aux îles hawaïennes (Hawaïen Pacific Weed Risk Assessment- HPWRA), attribue des scores de 14 pour la Floride et de 9 pour Hawaï, ce qui dans les deux cas signifie un risque élevé (score supérieur à 6).
Plus récemment, l’espèce a été évaluée en Europe. L’OEPP a placé le Paulownia dans sa liste d’alerte en 2021 pour attirer l’attention sur ce taxon afin de rassembler les informations sur sa présence dans la région OEPP, et notamment des informations sur ses impacts, à la fois économiques et écologiques, dans l’ensemble de son aire de répartition non indigène. Bindewald et al. (2020) proposent une synthèse des évaluations antérieurement réalisées en Europe à l’aide de différents protocoles de priorisation. Selon eux, il en ressort que le Paulownia présente un risque faible (2 évaluations) à modéré (4 évaluations). Le protocole Neophyte key lui assigne un risque faible en raison d’une présence essentiellement dans des habitats anthropiques et l’absence de risque sanitaire et économique important. De même, selon le protocole ISEIA, P. tomentosa présenterait un faible risque du fait de son incapacité à coloniser des habitats ayant une valeur patrimoniale, et d’incidences négatives jugées peu probables. Il faut toutefois noter que le niveau de confiance attribué à ce score est faible car les connaissances restent souvent insuffisantes. La méthode GABLIS évalue un risque intermédiaire car en dépit de l’absence d’impact avéré sur la biodiversité, sa capacité de reproduction et de dissémination est élevée et sa tendance à occuper des milieux thermophiles suggère une possibilité d’extension facilitée par le changement climatique (la méthode BGW Lists CZ arrive aux mêmes conclusions). Le système allemand PaR NNT aboutit à un risque modéré en lien avec une possibilité de propagation incontrôlable dans les milieux ouverts. Enfin le protocole Harmonia+ donne un risque modéré dans les milieux ouverts et un risque faible en forêt où en étant moins compétitif que d’autres essences forestières il est peu susceptible de se régénérer sous une canopée fermée. La publication de Bindewald et al. (2020) comporte un tableau récapitulatif complet de ces évaluations de risques (pages 525 et 526).
En Suisse, l’espèce figure sur la liste des néophytes potentiellement envahissantes. Le Paulownia est disséminé sur une grande partie du territoire mais uniquement à faible altitude. Il est particulièrement présent en forêt au sud des Alpes. Pour l’heure, aucun effet négatif sur la faune ou la flore n’a été relevé mais la dissémination de l’espèce en Europe est encore mal connue. Toutefois, l’efficacité de colonisation de l’espèce dans les milieux ouverts ou perturbés est indéniable et repose sur la très grande quantité de graines produites (jusqu’à 20 millions par arbre), leur germination rapide (absence de dormance) et la croissance très rapide des jeunes plants. Elle est listée parmi les « Organismes exotiques envahissants dont la mise en circulation à des fins d’utilisation directe dans l’environnement est interdite » selon l’ordonnance sur l’utilisation d’organismes dans l’environnement.
Selon l’analyse de risque réalisée sur l’espèce en 2021 en Grande-Bretagne, les impacts environnementaux sont notés comme modérés (avec un faible niveau de confiance) car l’espèce est surtout susceptible d’être trouvée en zones urbaines et sur des sols perturbés, rendant moins probables des impacts sur l’environnement. Il est constaté que l’espèce peut former des monocultures en zones boisées, mais, ne tolérant pas l’ombre, elle pourrait être supplantée à long terme par les arbres indigènes. L’impact le plus probable concernerait les habitats rocheux ou riverains ouverts, où l’espère pourrait modifier le fonctionnement de l’écosystème.
Les impacts économiques sont considérés comme mineurs (faible niveau de confiance) en évoquant des développements possibles en zones urbaines et sur les lignes de chemin de fer.
Les voies d’introduction citées sont l’intérêt ornemental de l’espèce comme très probable, car le Paulownia est toujours une plante populaire dans les parcs et jardins, et l’agroforesterie, notée comme modérément probable, car l’espèce n’est pas encore utilisée pour le bois d’œuvre en Grande-Bretagne mais pourrait le devenir.
Les voies de propagation naturelle et humaine sont toutes deux considérées comme présentant des risques modérés avec une forte production de graines, une propagation végétative et l’utilisation à des fins ornementales toujours en progression (pour en savoir plus sur la biologie et l’écologie du Paulownia). En résumé, cette analyse conclut que l’extension de l’espèce et ses impacts sont considérés comme modérés avec un niveau de confiance moyen.
Figure 2 : Carte de présence par pays de Paulownia tomentosa (CABI, 2024). Cette carte repose sur les introductions répertoriées dans les articles scientifiques. Pour l’hexagone, la dernière actualisation date de 2006 avec l’article de Jeanmonod et Schlüssel (2006) portant seulement sur la région Corse.
2.2. Risques dans l'hexagone
Au cours de la dernière décennie, le statut accordé à Paulownia tomentosa a évolué dans les listes scientifiques élaborées par les Conservatoires botaniques nationaux.
En effet, par exemple en Franche-Comté, l’espèce était considérée en 2016 comme rare et occasionnelle avec un statut « non-envahissant » (Vuillemenot, 2016). En 2019, l’espèce a été inscrite sur la liste des espèces végétales exotiques potentiellement envahissantes catégorie « alerte » (Petit et Hugot, 2019) et figure sur la liste des espèces à surveiller en Pays de la Loire dans la catégorie des « plantes invasives avérées uniquement en milieu fortement influencé par l’Homme et dont le caractère envahissant en milieu naturel n’est pas connu ailleurs dans le monde dans des régions à climat proche » (Dortel & Bail, 2019). En région Rhône-Alpes, P. tomentosa s’est vu attribuer en 2020 une cotation de 1 sur l’échelle de Lavergne soit un « taxon non envahissant, introduit de longue date (50-100 ans), ne présentant pas de comportement envahissant et non cité comme envahissant dans les territoires géographiquement proches » (Debay et al., 2020). Le statut de taxon potentiellement envahissant a aussi été retenu en région Occitanie (Cottaz et al., 2021) où, au-delà d’échappement en contexte urbain et au niveau des infrastructures, le Paulownia tend à se naturaliser dans les ripisylves. En région PACA, P. tomentosa est simplement considérée comme occasionnelle sans potentiel invasif (CBNA & CBNMed, 2021) tandis qu’en Nouvelle-Aquitaine, elle est considérée comme insuffisamment documentée (Caillon et al., 2022). Elle a été ajoutée à la liste des plantes invasives potentielles de Bretagne en 2024 en raison de son caractère invasif « avérée ailleurs en climat similaire ». L’espèce est présente depuis peu sur ce territoire et montre un comportement envahissant en milieu anthropisé (Burguin, 2024). Cette diversité d’appréciation dans ces évaluations peut tout à fait refléter les diversités des corpus d’observations disponibles ou des dynamiques variables de colonisation de l’espèce dans ces différents territoires.
Le changement climatique peut-il booster la propagation du Paulownia en France ? :
En raison de l’origine de P. tomentosa dans un climat plus chaud (Asie du Sud-Est) et de son importante dispersion dans le sud-est des Etats-Unis qui a d’ailleurs amené à le considérer comme envahissant, il est probable que des températures plus élevées faciliteront sa dispersion. La tolérance de l’arbre à de longues périodes de sécheresse est un atout supplémentaire. L’augmentation récente des observations de P. tomentosa en milieu naturel en Europe centrale a été attribuée à la hausse des températures (Essl, 2007 ; Sukopp & Wurzel, 2003). Une même augmentation des signalements dans l’hexagone au cours des dix dernières années a été observée. Cette hausse des températures pourrait en fait favoriser toutes les étapes de l’invasion de P. tomentosa depuis des développements rapides de jeunes plants dans des biotopes ouverts jusqu’aux installations pérennes d’arbres matures en zones urbaines.
Des risques d’invasion par multiplication végétative ? :
P. tomentosa peut produire des drageons émergents des racines et de rejets émergents de tiges (Innes, 2009), principalement dans les cas d’exploitation en taillis, mais cette réaction n’induit pas de dispersion éloignée du pied mère.
Un hôte pour des parasites et insectes exotiques ? :
P. tomentosa est une plante hôte de Halyomorpha halys, la punaise marbrée ou punaise diabolique. Cet insecte polyphage cause des dommages aux légumes et aux fruits, et peut envahir les maisons en hiver. Cependant, comme il est déjà largement naturalisé dans l’hexagone et y dispose de nombreux hôtes, l’impact additionnel potentiel de P. tomentosa pour sa dispersion est jugé minime. P. tomentosa est également hôte de deux longicornes d’Asie du Sud (Apriona germari et Massicus raddei), jusqu’à présent absents en Europe. Ces deux espèces sont considérées comme nuisibles vis-à-vis de nombreux genres d’arbres cultivés ou indigènes et économiquement importants et sont donc à surveiller (OEPP, 2020). Enfin, P. tomentosa est un hôte sauvage de Pseudomonas syringae pv. actinidiae, une maladie émergente affectant la production de kiwis en Europe.
Des risques concernant les hybrides ? :
Les grandes capacités d’adaptations climatiques de P. tomentosa en font un candidat efficace pour des hybridations. Ainsi, les hybrides commerciaux sont variés et possèdent apparemment chacun des résistances particulières aux conditions climatiques. Il existe des hybrides proposés pour des climats “plus frais”, pour “les régions plus chaudes” ou encore pour des climats “moins venteux” , tous présentés avec des caractéristiques adaptées. L’ensemble des hybrides de P. tomentosa commercialisé dans l’hexagone n’est pas encore répertorié, mais quelques exemples peuvent être cités.
Un des hybrides commercialisés les plus cités est le Paulownia “Shan Tong” (Jakubowksi, 2022), un hybride entre P. tomentosa et P. fortunei, doté selon ses promoteurs d’une grande tolérance au froid (jusqu’à -27 degrés) et à la sécheresse. Il présenterait une croissance rapide (40 cm de diamètre en 8 ans) conféré par P. fortunei.
Le Paulownia “Pao Tong Z07” serait un “Super Hybride” des espèces P. tomentosa, P. fortunei et P. kawakamii, dont les qualités indiquées sont des résistances au froid et à la chaleur extrêmes.
Enfin, le Paulownia “Energy“, ou encore le Paulownia “ZE PRO ®“, hybrides entre P. tomentosa, P. elongata et P. fortunei récemment proposés en pépinière, présenteraient des capacités de croissance très rapides et supérieures aux hybrides déjà disponibles sur le marché.
Peu de données sont disponibles sur le nombre d’hybrides commercialisés, leur biologie et leurs capacités de dispersion. De nombreuses incertitudes et zones d’ombre subsistent donc à propos de leur potentiel envahissant. La question est d’autant plus délicate qu’il est difficile sur le terrain de déterminer précisément le taxon devenu effectivement envahissant en milieu naturel : s’agit-il de l’espèce sauvage (ou plutôt d’un proche descendant de l’espèce sauvage initialement introduite) ou d’un hybride en particulier ?
Trois possibilités sont à envisager :
(1) Le potentiel envahissant d’un hybride est supérieur à celui de l’espèce sauvage, de par ses traits améliorant les performances de la plante (e.g., résistance aux maladies ou aux pathogènes, rusticité, haute fertilité, croissance plus rapide, augmentation de la taille) ;
(2) ce potentiel est similaire ;
(3) ce potentiel est réduit (hybrides à fertilité diminuée voire stériles). En cas d’envahissement avéré en milieu naturel, il sera sans doute nécessaire d’établir l’identité génétique de la population concernée pour contribuer à la gestion globale de l’espèce.
Figure 3 : Carte de distribution de Paulownia tomentosa en France (d’après Openobs sans Pl@ntenet pour éviter autant que possible les points dans des milieux non-naturels, e.g., jardins, pépinières)
3. Pratiques de gestion
Paulownia tomentosa est géré depuis 1998, en tant qu’espèce exotique envahissante aux États Unis. Depuis, plusieurs autres pays, notamment en Europe, ont réalisé des actions de gestion.
3.1. Exemple de recommandation de gestion de l'espèce en Suisse
En Suisse, les recommandations actuelles de gestion proposées dans le cadre du Cercle Exotique réunissant les experts cantonaux sur les EEE y privilégient les méthodes mécaniques. Des réticences sont explicitement émises concernant les méthodes chimiques, en raison de leur encadrement réglementaire strict et du manque d’expérience suffisante pour en évaluer l’efficacité et les impacts sur la biodiversité indigène.
Ainsi, il est recommandé :
- Pour les jeunes plants et rejets (≤ 2 ans ou ≤ 1,5 m de hauteur) : arrachage une fois par an (de mars à août) avec une extraction maximale des racines, suivi d’un contrôle en novembre. Cette procédure doit être répétée pendant 2 ans, avec un contrôle l’année suivante.
Une alternative est de faucher deux fois par an (d’avril à septembre) au ras du sol, suivi d’un contrôle en octobre, à répéter pendant 5 ans, avec un contrôle l’année suivante. Toutefois, cette méthode seule ne suffit pas à éliminer complètement la population.
- Pour les arbustes (> 2 ans ou > 1,5 m de hauteur) : intervenir avant la floraison pour éviter la dispersion des graines. Le dessouchage (de juin à septembre) avec une extraction maximale des racines doit être répété pendant 2 ans, suivi d’un contrôle l’année suivante.
Une autre méthode consiste en un abattage la première année, suivi d’une fauche des rejets deux fois par an (d’avril à septembre) au ras du sol, avec contrôle en octobre. Cette procédure doit être répétée pendant 5 ans, avec un contrôle l’année suivante.
- Pour les arbres (Ø > 10 cm) : le cerclage de tous les troncs ou individus du site simultanément est recommandé, à condition qu’il n’y ait aucun danger de chute d’arbres ou de branches.
Les populations éliminées doivent être surveillées pendant plusieurs années pour vérifier l’absence de nouveaux rejets ou de levée de semis.
Table 1 : Calendrier recommandé en Suisse pour chaque technique. Source : Cercle exotique, https://www.kvu.ch/de/arbeitsgruppen?id=138
Élimination des déchets végétaux en Suisse : Toujours selon le Cercle exotique, le matériel végétal sans fleurs, graines ou racines peut être composté normalement. Le matériel végétal avec fleurs ou graines doit être éliminé par compostage en tas ou en boîte, par cofermentation avec une étape d’hygiénisation, ou par fermentation thermophile en phase solide. Les racines et radicelles peuvent également être éliminées par compostage en boîte ou par fermentation thermophile en phase solide. L’élimination dans une usine d’incinération des ordures ménagères est également toujours possible.
3.2. Gestion en hexagone
A notre connaissance, jusqu’à présent aucune recommandation organisée n’a été proposée dans l’hexagone. La coupe régulière des suppléants et l’abatage des arbres de plus grandes dimensions sont classiquement évoquées, tout comme le cerclage ou annelage qui concerne spécifiquement les arbres de grande taille. L’annelage (ou cerclage) correspond à l’élimination du phloème (tissu conducteur) sur une petite partie du tronc pour couper l’alimentation du système racinaire en sève élaborée. L’annelage est connu pour provoquer la mortalité des arbres en quelques mois à quelques années selon les espèces. L’avantage potentiel de cette technique simple et réalisée manuellement est son faible impact de mise en œuvre et son coût peu élevé, puisque les arbres ne sont pas abattus et restent morts sur le site. Son inconvénient principal est la dangerosité éventuelle des arbres dépérissants en cas de chute.
Des expérimentations menées sur l’efficacité de l’annelage partiel et complet des Paulownias ont été lancées en avril 2020 (Mireille Boyer comm. pers.). La parcelle expérimentale continue depuis à être suivie. 155 paulownias ont été identifiés, 140 pour être écorcés et 15 en tant que témoins. Les arbres ont d’abord été annelés sur 40 cm de haut et 90 % de leur circonférence pendant deux saisons, puis totalement annelés.
Les résultats montrent que l’annelage complet est une technique manuelle efficace en quelques années pour dévitaliser des Paulownias. Le nombre de suppléants formés (rejets sur les troncs ou drageons sur les racines) est en effet facilement gérable et devient très faible dès la deuxième année végétative après l’annelage. Après annelage du tronc, il est conseillé de passer deux fois par an (mi-avril – fin aout/début septembre) pour éliminer les suppléants et écorcer à nouveau une partie des arbres et cela pendant 3 ans au moins.
D’autres modes d’interventions telle que la coupe tire-sève, consistant à couper ou casser les tiges des jeunes individus, en général à hauteur d’homme, pour les blesser et orienter les ressources vers la cicatrisation, pourraient également être testés sur les jeunes peuplements. Cette approche déjà appliquée par le CEN Occitanie pour la gestion d’Acer negundo pourrait être efficace pour toutes les espèces ligneuses ne présentant pas de risque notable de dispersion par drageonnement.
Le calendrier de mise en œuvre des opérations de gestion devra tenir compte des enjeux liés à la faune et à la flore (périodes conseillées pouvant être incompatibles avec la phénologie/reproduction d’autres espèces notamment à enjeux).
4. Discussion et recommandations générales
Actuellement, les informations largement médiatisées dans l’hexagone à propos du Paulownia incitent à développer la culture et l’utilisation du bois de ces arbres pour diversifier ses débouchés. Une très grande part de ces informations en vante les bénéfices et les intérêts, y compris vis-à-vis des enjeux écologiques les plus récents (séquestration du carbone, production d’énergie). Comment, par exemple, ne pas être intéressé par la plantation et la production de cet arbre : “Du fait de ses caractéristiques, le bois de Paulownia présente de nombreux avantages comme combustible. Lors de la combustion, les pellets de Paulownia libèrent 3 fois plus d’énergie que les alternatives habituelles (Pin, Acacia, Sapin), tout en émettant 10 à 50 fois moins de CO₂” (“Le Paulownia L’arbre et le bois” page 6) ?
Cependant, l’histoire invasive du Paulownia, espèce envahissante dans plusieurs territoires avec des impacts sur la biodiversité native, est passé sous silence. De même que plusieurs informations relatives à sa mise en culture.
C’est probablement pourquoi plusieurs Chambres d’agriculture (Bretagne, Pays de la Loire et Gironde) ont publié des articles et mises en garde sur le Paulownia et les projets de boisements en terres agricoles. En effet, de tels boisements peuvent modifier le statut règlementaire des parcelles et, par exemple, leur retirer leur éligibilité dans le cadre de la PAC. Ainsi, des rappels des précautions à prendre pour la mise en place d’un projet de plantation sont largement présentés dans ces documents. Les possibilités techniques de plantation en fonction de la nature, de la qualité des sols et des contraintes de terrain sont complétées par des informations sur les éléments éventuellement limitants dont la sensibilité au gel (d’où le besoin d’une protection hivernale les deux premières années dans certaines régions françaises), la sensibilité aux vents forts, aux embruns, à la sécheresse, au pourrissement dans des sols hydromorphes, et au pH compris entre 5 et 7 dans un sol “pas trop lourd, riche et profond”. Ainsi les articles appellent à la prudence vis-à-vis de la culture du Paulownia, et mentionnent la nécessité d’une surveillance régulière des plantations et les besoins de main d’œuvre, dans un cadre règlementaire particulier et l’intérêt d’une étude technique (sol, climat, travaux) préalable pour assurer la bonne faisabilité des projets. Plus particulièrement, la Chambre d’Agriculture de Bretagne (décembre 2023) soulignait à l’époque l’absence de réels débouchés à la culture de Paulownia, et encourageait la culture d’autre essences autochtones possédant les mêmes qualités attribuées au Paulownia (croissance rapide, captation du CO2). Ainsi, il est préférable de rester en adéquation avec les filières actuelles en produisant plutôt « du bois avec des débouchés existants au local et de permettre à des entreprises régionales de se développer autour du bois, afin de pérenniser l’outil économique ».
Concernant plus particulièrement les hybrides, la stabilité dans le temps de leur stérilité induite est parfois remise en question, car il semblerait que certains d’entre eux puissent récupérer leur fertilité après un certain temps, en fonction de différents paramètres environnementaux (température notamment) ou génétiques (Anderson et al., 2006). Par exemple, l’Organisation Européenne pour la Protection des Plantes relate le cas du cultivar Buddleja davidii ‘Lochinch’ (un des cultivars de l’Arbre à papillon), décrit comme un hybride stérile entre B. davidii et B. fallowiana. En 2003, un horticulteur du sud de la France a cultivé B. davidii ‘Lochinch’, mais après trois ans d’expérience, le cultivar a montré une abondante reproduction sexuée (EPPO, 2005).
Ce risque devrait inciter à appliquer le principe de précaution et toute plantation de P. tomentosa et de ses hybrides devrait donc faire l’objet d’une évaluation préalable du risque d’invasion, en suivant des protocoles bien définis. Un répertoire des hybrides commercialisés devrait être établi pour faciliter l’accès aux informations concernant leurs utilisations et installations sur le territoire et permettre la mise en place de suivis de certaines plantations. Il s’agit là d’un axe de recherche important à développer pour améliorer les connaissances du potentiel envahissant des hybrides de P. tomentosa et établir de meilleures évaluations de risques permettant d’encadrer leur gestion future dans des conditions adaptées de sécurité environnementale.
Ainsi, plusieurs recommandations peuvent être émises :
- Privilégier les espèces autochtones, qui pour certaines ont les mêmes qualités que celles attribuées au Paulownia. Il est possible de se rapprocher de la Chambre d’Agriculture, du Centre Régional de la propriété forestière (CRPF) ou du Conservatoire botanique national de sa région sur le choix d’espèces autochtones. Dans le cadre du projet végétal local, l’OFB a missionné les réseaux CBN et AFAC Agroforesterie dans ce domaine.
- Répertorier et assurer la traçabilité des hybrides cultivés et commercialisés afin de mieux anticiper leur potentiel envahissant. Les différentes variétés de Paulownia peuvent présenter des caractéristiques de croissance et de dispersion variées. Un inventaire détaillé aiderait à identifier les hybrides les plus susceptibles de devenir envahissants et à établir des stratégies spécifiques pour leur gestion.
- Mettre en place une surveillance des cultures de Paulownia actuelles et à venir, pour mieux évaluer les risques, notamment vis-à-vis du changement climatique susceptible de les favoriser en facilitant toutes les étapes de l’invasion.
- Développer la recherche sur les risques et le potentiel envahissant du Paulownia, en prenant par exemple en compte les facteurs environnementaux favorisant son invasion et les interactions avec les espèces natives.
- Appliquer le principe de précaution et ne pas planter à proximité des sites à forts enjeux biodiversité (N2000, RNN, RNR…) et des milieux naturels favorables à Paulownia tomentosa (ripisylves, zones humides…)
Rédaction : Camille Bernery (Comité français de l’UICN), Guillaume Fried (ANSES), Mireille Boyer (Aquabio), Alain Dutarte (Expert indépendant), Yohann Soubeyran (Comité français de l’UICN)
Contributions : Jérôme Dao (CBN Pyrénées et Midi-Pyrénées), Delphine Fallour (ONF), Justine Celis (CEN Pays de la Loire), Arnaud Albert (OFB), Aurélien Caillon (CBN Sud-Atlantique), Angélique Degiovanni (CBN Corse), Madeleine Freudenreich (CBN Méditerranéen), Corentin Nicod (CBN Franche-Comté), Nicolas Valy (CBN Normandie)
Pour en savoir plus
- L’article “à surveiller de près” du CDR EEE
Exemples d’articles de presse concernant l’agriculture :
- Picardie (Action agricole picarde)
- Bretagne (Ouest-France, Paysan Breton)
Fiches des chambres d’agriculture sur le Paulownia :
Autres fiches existantes :
- France :
- INPN
- Tela-botanica
- La note Fibois Bretagne sur la situation en Bretagne
- Suisse :
Bibliographie
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