Connaissez-vous cette plante aux larges feuilles poussant les pieds dans l’eau ? On peut la trouver en vente en ligne sur des sites horticoles présentée comme une plante ornementale vivace, à placer en intérieur ou à rentrer avant la saison hivernale sous nos latitudes, mais c’est aussi (surtout ?) une plante comestible qui fait partie des cultures vivrières de nombreux pays tropicaux.
Il s’agit du Taro (Colocasia esculenta) que l’on peut acheter sous les noms de Chou de Chine, Chou caraïbe ou oreille d’éléphant. Le dernier nom n’a rien de surprenant puisque ses feuilles peuvent mesurer jusqu’à 80 cm de longueur sur un pétiole atteignant 1 mètre…
Se développant en milieux tropicaux dans des sols humides ou dans des zones humides peu profondes, il est cultivé pour ses tubercules et ses jeunes pousses qui se consomment cuits à l’eau ou grillés.
Le Taro est apprécié en Afrique occidentale, en Chine, en Polynésie (dont les territoires français ultramarins), dans les îles de l’océan Indien et dans les Antilles. Il fait partie des cultures vivrières auxquelles s’intéresse pour leur importance planétaire l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO, http://www.fao.org/home/fr/).
Mais son extension sur la planète peut déboucher sur d’autres questionnements que la nutrition humaine.
En effet, dans la lettre d’information datée de mai 2017 de l’Organisation Européenne de Protection des Plantes figure une information concernant sa récente installation dans le sud de l’Europe. Cette information (2017-109), intitulée “Colocosia esculenta : une plante envahissante qui se dissémine dans la Péninsule ibérique” fait état des travaux d’un groupe de chercheurs présentant de nouvelles observations de l’espèce en milieux naturels en Espagne et une évaluation des risques d’invasion attribuables à cette espèce (Dana et al., 2017).
Les auteurs rappellent que cette espèce est déjà considérée comme invasive dans différentes parties du monde, dont différents états des Etats Unis et de l’Australie. Selon eux elle est traditionnellement cultivée au Portugal, aux îles Canaries et à Madère mais aussi, selon d’autres auteurs, en Andalousie, la partie sud de l’Espagne. Elle y a été observée pour la première fois en milieu naturel en 2008, sur un petit cours d’eau situé dans la province de Séville (voir photo ci-dessous, qui illustre bien la densité des plantes).
Depuis cette date, la plante a été identifiée dans quatre nouveaux sites, deux dans la province de Cadiz, deux autres dans la province de Séville. Elle y occupe de petites zones (de 3 à 150 m de linéaire) dans deux cours d’eau temporaires et dans deux zones humides, en mélange avec la Jacinthe d’eau (Eichhornia crassipes) ou le Roseau commun (Phragmites australis).
Elle est également connue au Portugal (Figure 1) mais les auteurs de l’article estiment qu’il s’agirait de plantes échappées de zones cultivées, non encore naturalisées (ce qu’ils nomment “ephemerophytes“) alors que les quatre nouveaux sites espagnols abriteraient des plantes naturalisées.
Pour évaluer l’amplitude climatique de l’espèce et ses potentialités d’invasion en Europe, deux méthodes ont été appliquées. La première s’est appuyée sur un logiciel en ligne (“Climatch“), la seconde sur la classification climatique de Köppen-Geiger. Ils ont ensuite utilisés deux méthodes d’évaluation des risques d’invasion, celle proposée par Pheloung en 1995 (“Australian Weed Risk Assessment“) et celle plus récemment proposée par Garcia-de-Lomas et ses collègues en 2014.
Selon les résultats des approches climatiques, les auteurs indiquent que la péninsule Ibérique présente des conditions comparables avec les régions du monde où l’espèce est déjà envahissante et que la grande majorité des pays européens serait propice à l’installation de l’espèce. La méthode de Garcia-de-Lomas et al. (2014) donne à l’espèce un score total de 73,2 sur 100 et l’application de la méthode australienne a abouti à un résultat similaire, avec un score de 9 sur une gamme s’étendant de -14, (taxon inoffensif) à 29 (risque maximum), avec un seuil de 6 à partir duquel l’espèce devrait être “rejetée”. Les analyses de risques leur permettent ainsi de conclure que C. esculenta présente des risques importants d’invasion des zones humides et des berges des milieux aquatiques (“high risk for wetlands and riversides”) et que l’espèce devrait être règlementée dans la péninsule Ibérique comme dans le reste de l’Europe.
Ils suggèrent donc que l’espèce soit règlementée au niveau européen (“it seems reasonable to legally regulate the use of this species in Europe“). Ils proposent également de l’inclure dans la liste des espèces interdites (“banned“) dans la péninsule Ibérique, de prévoir des mesures pour contrôler les évasions possibles à partir des zones actuellement cultivées et d’éliminer les plantes naturalisées en milieux naturels. L’article se termine par quelques indications sur les techniques de gestion envisageables pour cette espèce.
Si même les légumes nous envahissent…
Alain Dutartre, septembre 2017.
En savoir plus :
- Dana et al. 2017. Colocasia esculenta (L.) Schott (Araceae), an expanding invasive species of aquatic ecosystems in the Iberian Peninsula : new records and risk assessment. Limnetica. 36(1): 15-27.
- Garcia-de-Lomas et al. 2012. First report of an invading population of Colocasia esculenta (L.) Schott in the Iberian Peninsula. BioInvasions Records. 1(2) : 139-143.