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Vallisneria australis, une nouvelle espèce aquatique exotique en France

Des surprises récentes

Début septembre 2022, des observations quasiment concomitantes ont été réalisées dans deux plans d’eau d’origine artificielle éloignés l’un de l’autre, le lac du Salagou (Hérault) et le lac de Vaivre, proche de Vesoul (Haute-Saône), d’une même espèce indéterminée de plante immergée aux longues feuilles rubanées. Les questions posées par ces observations ont déclenché des échanges entre botanistes métropolitains qui ont conduit au constat sans équivoque de la présence en milieu naturel en métropole d’au moins une nouvelle espèce exotique dont le possible caractère envahissant nécessite la présente alerte.

Parmi les plantes immergées des eaux douces de métropole, quelques genres présentent des feuilles planes quelquefois très allongées. C’est en particulier le cas du genre Vallisneria, dont la seule espèce connue jusqu’à présent en milieu naturel, V. spiralis, est assez facilement identifiable lorsqu’après la fécondation des fleurs leurs longs pédoncules blanchâtres s’enroulent sous les eaux en forme d’hélice en se rétractant. Une des caractéristiques qui peut permettre de distinguer ce genre parmi les autres morphologiquement proches est la présence visible à l’extrémité des feuilles de dents ou épines plus ou moins denses.

Les deux observations dans les plans d’eau ont porté sur des zones colonisées par des populations très denses de cette espèce, étendues sur plusieurs milliers de m². Visuellement, la présence d’épines à l’apex des feuilles permettait bien de supposer qu’il s’agissait d’une vallisnérie mais la largeur de ses feuilles dépassant 20 mm ne correspondait pas du tout à V. spiralis, à la largeur maximale de 15 mm.

Vallisneria australis (à gauche), Vallisneria spiralis (à droite) (Photos Guillaume Fried)

Vallisneria australis (Lac de Salagou, Hérault) – septembre 2022 (Photos Guillaume Fried)

A la suite des informations transmises dans le réseau de botanistes respectivement par Guillaume Fried, de l’ANSES, à propos des observations sur le lac du Salagou, et Marc Vuillemenot, du CBN de Franche-Comté à propos de celles sur le lac de Vaivre, ont été signalées des observations émanant de Thibault Lefort (LPO) vers Saintes, et de Jean Terrisse (LPO) vers Taillebourg, à propos de deux populations sur le fleuve Charente d’une espèce non encore identifiée présentant les mêmes caractéristiques de dimension des feuilles.

Les observations de Thibault Lefort (LPO) ont été réalisés en juillet 2022 lors d’une étude sur les herbiers aquatiques à proximité de Saintes (17). Plusieurs stations de Vallisneria sp. y ont été repérées. La plus importante se trouve dans une petite anse au niveau d’un canal en connexion avec le fleuve : il s’agit d’un herbier dense en eaux calmes, d’une dizaine de mètres carrés, aux feuilles bien visibles en surface. Aucune inflorescence n’a été observée durant plusieurs passages de juillet à septembre (Lefort, comm. pers.) mais lors d’une visite plus récente une tige florale comportant un bouton a été récoltée et conservée en herbier (Brugel, comm. pers.).

Plusieurs autres stations plus petites ont été observées dans le lit du fleuve, dans des biotopes au courant plus rapide où les plantes sont visibles à environ 1,5 m de profondeur. Selon Thibault Lefort il s’agit probablement de la même espèce que celle observée dans la station en eaux calmes.

 

Une identification validée

Parallèlement à ces échanges d’informations et de photos, des contacts ont été pris avec des collègues européens pour identifier précisément l’espèce. Guillaume Fried a obtenu de la part du spécialiste européen du genre, Attila Mesterházy du “Centre for Ecological Research” de Hongrie, une identification morphologique de l’espèce, comme étant Vallisneria australis. À partir d’un échantillon récolté dans le lac du Salagou, cette identification a été confirmée, suite à une analyse par méthode moléculaire réalisée par le Service de la protection des végétaux des Pays-Bas, comme étant très probablement cette espèce (Johan van Valkenburg, comm. pers.).

Ce “très probablement” qui figure comme indication dans le signalement de l’ANSES en date du 16 novembre : Première détection de Vallisneria australis, nouvelle espèce aquatique invasive en France est à relier aux travaux réalisés par Attila Mesterházy et ses collègues (Mesterházy et al., 2021) sur la génétique des espèces de Vallisneria, indiquant que les populations de V. australis présentes en Europe montrent une certaine variabilité génétique : “The investigated V. australis populations proved to be not uniform genetically“.

Extrémités de feuille de Vallisneria australis (Lac de Salagou, Hérault) – septembre 2022 (Photos Guillaume Fried)

Des identifications encore à préciser

Bien que les photographies des populations observées dans les deux plans d’eau aient paru présenter une certaine similitude, Marc Vuillemenot a indiqué que la plante du lac de Vaivre ne lui semblait pas présenter toutes les caractéristiques de V. australis.

Extrémité de la feuille (Vallisneria sp) – Lac de Vaivre (Haute-Saône) – septembre 2022 (Photo Alain Dutartre)

De même, à propos des plantes prélevées à proximité de Saintes, avec une largeur des feuilles entre 20 et 25 mm et la présence sur les photographies de feuilles fraîches de stries transversales rouge/brun, l’application de la clé de détermination proposée par Mesterházy et al. (2021) pourrait conduire à V. neotropicalis, puisque les feuilles de V. australis sont dépourvues de ces stries colorées (Lefort, comm. pers.).

Apex d’une feuille de Vallisneria sp. à Saintes (Photo Thibault Lefort)

Détail d’une feuille de Vallisneria sp à Saintes (Photo Thibault Lefort)

Quoi qu’il en soit, dans les deux cas, une analyse génétique sera nécessaire pour valider une détermination à l’espèce.

Vallisneria australis : une espèce à surveiller

Espèce appréciée en aquariophilie pour son feuillage (voir par exemple), Vallisneria australis est originaire d’Australie. Selon sa répartition mondiale, elle serait également présente en Nouvelle-Zélande, au Japon et sur la côte ouest des États-Unis. Elle est déjà considérée comme une espèce exotique envahissante au Japon (Wasekura et al., 2016).

En Europe, elle a été observée en Hongrie, Allemagne, Belgique et Italie (Mesterházy et al., 2021). Elle est connue de Hongrie depuis la fin du XIXème siècle avec de premières observations dans les sources thermales de Budapest en 1891 (Lukács et al., 2016). Elle est cependant tout à fait capable de s’installer dans des milieux naturels non chauffés comme cela a été le cas ensuite dans les autres sites en Europe. Comme pour les deux plans d’eau de métropole, elle occupe des plans d’eau fortement modifiés en développant des peuplements monospécifiques capables d’éliminer les autres plantes immergées (Mesterházy et al., 2021).

 

Des situations à examiner

Lac de Salagou (Hérault) – septembre 2022 : zone colonisée par Vallisneria australis (Photo Guillaume Fried)

Rappelons qu’il s’agit ici de premières observations. Il se peut que l’espèce (ou “les espèces” ?) soit déjà présente en métropole depuis plusieurs années, au moins dans les deux plans d’eau : en effet, selon les informations recueillies par Guillaume Fried sur le lac du Salagou, sa présence serait attestée depuis 2010 à la suite de l’examen d’une récolte d’échantillon datant de 2012 d’une plante déjà observée dans le plan d’eau deux ans auparavant (Michèle Aubrun, botaniste SHHNH).

Lac de Vaivre (Haute-Saône) – septembre 2022 : zone colonisée par Vallisneria sp (Photo Alain Dutartre)

De même, dans le lac de Vaivre, des développements importants de l’espèce observés depuis 2015 ont provoqué à partir de 2016 des interventions de faucardage et d’arrachage de la plante dans ce plan d’eau touristique aux usages récréatifs très développés. Cette forte colonisation végétale du plan d’eau jusqu’alors non spécifiquement identifiée est peut être partiellement entretenue depuis par des interventions peu adaptées au type de plante.

Cependant, la mise en place dans ce plan d’eau depuis 2016 d’un programme pluriannuel de régulation des populations de poissons fouisseurs (carpe, brème, carassins) et du silure, qui avait pour objectif de lutter contre la remise en suspension du phosphore sédimentaire responsable de blooms de cyanobactéries toxiques, gênant ou empêchant les activités nautiques, pourrait également être le facteur de déclenchement du développement de l’espèce. En effet, depuis 2016, plus de 20 tonnes de poissons auraient été retirées du plan d’eau et depuis ces blooms toxiques ont progressivement disparu (Nicolas Stolzenberg, Comité National de la Pêche Professionnelle en Eau Douce, comm. pers.). Ce développement de plantes immergées pourrait donc avoir été favorisé par la diminution de la turbidité des eaux, conséquence attendue de ces pêches régulières.

Enfin, s’il s’avérait au final que l’espèce observée dans le fleuve Charente était également V. australis, les observations de Thibault Lefort viendraient élargir la gamme de biotopes susceptibles d’accueillir l’espèce avec ces quelques stations situées dans lit du cours d’eau, ce qui n’est pas mentionné, à notre connaissance, dans la littérature disponible.

Dans leur publication, Mesterházy et ses collègues (2021) signalent que les capacités de colonisation en peuplements monospécifiques de V. australis en font un fort compétiteur (“a very strong competitor“) vis-à-vis des autres plantes immergées et qu’elle peut devenir une espèce invasive, en rappelant que les hivers froids continentaux actuels pourraient à l’avenir ne plus constituer une barrière climatique efficace.

Considérant les difficultés qui subsistent en matière d’identification des espèces du genre Vallisneria, ils proposent en fin de leur publication une clé de détermination. Elle est insérée ici à titre indicatif et doit être utilisée avec précaution car la fiabilité de certains des critères cités semble discutable (accéder à la clé de détermination). La largeur des feuilles reste cependant un critère discriminant valable entre Vallisneria spiralis et les deux espèces à larges feuilles.

Extrémités des apex des trois espèces de Vallisneria observées en milieu naturel en Europe. (A) V. neotropicalis ; (B) V. spiralis ; (C) V. australis (Mesterházy et al., 2021)

 

Commentaires

Dans l’état actuel des connaissances, nous pouvons donc considérer Vallisneria australis comme “très probablement” présente dans le lac du Salagou, grâce à la validation moléculaire qui en a été faite, ce qui ajoute une espèce dans la liste des plantes exotiques de métropole.

Les deux autres identifications restent à préciser avec des analyses moléculaires pour valider les noms d’espèces de ces populations. Dès que ces informations seront disponibles, elles seront diffusées pour compléter les connaissances.

Reste que ces observations échangées datent toutes de cet été aux conditions tout à fait exceptionnelles de quantité d’ensoleillement, d’élévation de température de l’air et des eaux, et de baisses des niveaux des eaux dans les plans d’eau et des écoulements dans les cours d’eau, une période climatique tout à fait favorable à un développement surprenant de ce type d’espèce, sans doute ordinairement beaucoup moins facilement visible parce que totalement immergée…

Nous allons devoir maintenant porter une meilleure attention aux vallisnéries de nos territoires aquatiques pour ne pas continuer à considérer, par facilité, que seule cette Vallisneria spiralis, finalement assez banale dans les eaux calmes, y est toujours la seule espèce de son genre. Il va aussi nous falloir particulièrement examiner l’évolution de ces populations nouvelles dans les sites déjà colonisés et leur possible extension dans des milieux proches, voire leur éventuelle dispersion sur tout le territoire, à la fois pour décider du statut à attribuer à cette espèce et des efforts de gestion à lui consacrer !

 

Rédaction et contributions : Alain Dutartre (expert indépendant), Guillaume Fried (ANSES), Thibault Lefort (LPO), Éric Brugel (LPO), Madeleine Freudenreich (Comité français de l’UICN)

 

 

Références

  • Lukács, B.A., Mesterházy, A., Vidéki, R., Király, G., 2016. Alien aquatic vascular plants in Hungary (Pannonian ecoregion): historical aspects, dataset and trends. Plant Biosyst. 150, 388–395.
  • Mesterházy A., Somogyi G., Efremov A., Verloove V. 2021. Assessing the genuine identity of alien Vallisneria (Hydrocharitaceae) species in Europe. Aquatic Botany 174, 103431, 6 pp.
  • Wasekura, H., Horie, S., Fujii, S., Maki, M., 2016. Molecular identification of alien species of Vallisneria (Hydrocharitaceae) species in Japan with a special emphasis on the commercially traded accessions and the discovery of hybrid between nonindigenous V. spiralis and native V. denseserrulata. Aquat. Bot. 128, 1–6.