A surveiller de près : Première observation de Salvinia minima dans l’Orne

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Figure 1 : Aspect général de Salvinia minima © T. Prey

La petite Salvinie (Salvinia minima) est une fougère aquatique flottante de la famille des Salviniacées (Figure 1), originaire d’Amérique du Sud et d’Amérique centrale. Les stations naturelles de la plante s’étendent de l’Argentine jusqu’au Mexique. Elle a ensuite été introduite aux Etats-Unis dans les années 30 en commençant par la Floride (eaux de ballast des bateaux). Elle s’étend maintenant dans 14 états américains notamment en Louisiane et au Texas où elle est particulièrement abondante.

En Europe, les données sont encore très rares d’après le Global Biodiversity Information Facility (GBIF). Les données intégrées concernent le Danemark et l’Allemagne. En Afrique, une seule station est connue actuellement dans la base de données (Afrique du Sud) alors qu’en Asie, on recense des stations en Indonésie, Malaisie ainsi qu’en Inde. L’ensemble de ces données, en dehors de l’aire de répartition naturelle de la plante, sont récentes et sont comprises entre 2019 et 2022.

En France, cette espèce a été observée dans le département de l’Orne en 2023. Il s’agirait de la seule localité connue en France en milieu naturel, l’autre population découverte il y a 3 ans en Charente-Maritime ayant été éradiquée depuis (Jean-Marc Tison, comm. pers. 2023).

 

Description de l’espèce

Salvinia minima se distingue des autres espèces du genre Salvinia par la petite taille des frondes (longueur ne dépassant pas les 2 cm et largeur inférieure à 1cm) et par la structure de poils présents sur la face supérieure. En effet, ces poils translucides sont portés par un « pied » plus long que large et les poils à son sommet sont toujours disjoints (Figure 2) contrairement à Salvinia molesta (une autre espèce de Salvinie exotique largement introduite en France) dont les poils ressemblent à de minuscules fouets de cuisine (Julien et al. 2002) (Figure 3).

Figure 2 : Aspect caractéristique des poils de Salvinia minima (face supérieure de la fronde) © T. Prey

Figure 3 : Aspect caractéristique des poils de Salvinia molesta (face supérieure de la fronde) © Barry Rice, certains droits réservés (CC BY-NC-SA) https://www.inaturalist.org/guide_taxa/882807

Figure 4 : Taille et forme d’une feuille de Salvinia minima © T. Prey

 

Les feuilles flottantes de S. minima sont orbiculaires à ovales, avec des bases en forme de cœur et des extrémités arrondies à crantées (Figure 4).
S. minima est considérée comme une espèce stérile (Schneller 1980). Néanmoins, les sporocarpes (sortes de sacs dans lesquels se forment les structures productrices de spores) sont courants parmi les feuilles submergées des individus de grande taille. Des sporocarpes en forme de petits citrons (de moins de 1 mm de large) sont fréquemment fixées en spirales le long de l’axe principal des filaments submergés.

 

Dissémination et biotopes

Tout comme pour S. molesta (Paradis & Miniconi, 2011), l’espèce a été introduite et commercialisée comme plante d’aquarium ou comme plante ornementale pour les bassins extérieurs. Ensuite, on peut imaginer facilement plusieurs facteurs de dispersion de l’espèce : rejets volontaires dans le milieu naturel (vidange, nettoyage des aquariums et plan d’eau par exemple), dissémination par les oiseaux d’eau, ragondins, etc. Lorsque les conditions sont favorables, l’espèce semble pouvoir coloniser rapidement le milieu naturel.
S. minima est une espèce des eaux peu profondes des mares et fossés permanents ou temporaires et des ruisseaux ou rivières à faible courant.

 

Impacts

S. minima peut couvrir complètement les cours d’eau et les mares (Jacono et al 2001; Montz 1989). Elle devient souvent l’espèce dominante (Dickinson et Miller, 1998) et impacte négativement les plantes indigènes (Nolfo-Clements 2006; Tipping et al. 2009). Comme la plupart des espèces exotiques envahissantes aquatiques cette espèce provoque des dérèglements sur les milieux aquatiques : diminution du courant, baisse du taux d’oxygène, ombrage de la colonne d’eau, augmentation de la vitesse d’envasement, embâcle pour la navigation, etc. (Morgan et al., 2024).

 

Moyens de lutte 

L’arrachage manuel ou mécanique est un bon moyen de lutte sur les petites surfaces.
Aux Etats-Unis, le charançon Cyrtobagous salviniae, déjà utilisé pour lutter contre S. molesta dans de nombreux pays, a été également testé sur des stations de S. minima avec de très bons résultats (Tipping et al. 2012a et 2012b).
En outre, il a été démontré dans le sud de la Louisiane (Tewari et Johnson 2011) que la mite Samea multiplicalis peut également réduire la biomasse de S. minima, en particulier en association avec Cyrtobagous salviniae.
Un autre charançon (Stenopelmus rufinasus) se nourrit de S. minima, mais seulement lorsque sa plante hôte préférée est épuisée (Parys et al. 2015).

 

Description de la station

S. minima a été signalée sur la commune de Saint-Roch-sur-Egrenne (61), en contact avec une station de Flûteau nageant (Luronium natans) connue depuis plusieurs années par le Conservatoire d’espaces naturels de Normandie.

Le biotope où se situe la population correspond à un bras peu actif de la rivière Egrenne. Deux stations ont été découvertes, l’une dans une dépression humide exondée, plus ou moins ombragée, la seconde dans la portion en eau du bras de l’Egrenne. La station exondée paraît relativement restreinte (quelques m²) ; la station « flottante » montre en revanche un recouvrement important et monospécifique, traduisant le caractère envahissant de la plante. Ce recouvrement était par ailleurs beaucoup plus important lors du second passage (octobre 2023) que lors du premier passage où l’espèce a été découverte (mai 2023) indiquant un développement saisonnier remarquable.

Une surveillance est à prévoir rapidement afin d’évaluer le risque d’envahissement engendré par cette espèce sur les populations d’espèces indigènes (notamment ici Luronium natans : espèce protégée à l’échelle nationale et inscrite à l’annexe II de la directive HFF) (Figure 5 & 6).

Figure 5 & 6 : Dépression humide temporaire colonisée par l’espèce & Salvinia minima in situ en mélange avec Luronium natans. © W.Arial – CEN Normandie

Sa présence établie dans le réseau hydrographique laisse présager une propagation dans le cours de l’Egrenne, dans les zones plus en aval, toutes aussi propices à son installation.

Même s’il est possible que le froid hivernal puisse éradiquer l’espèce, nos hivers de plus en plus doux lui permettront peut-être de résister, comme c’est le cas par exemple pour la station de Laitue d’eau (Pistia stratiotes) observée à Ranville dans le Calvados en 2022 et 2023 où l’on constate une nette progression de la population (Pierre Daniel, comm. pers., 2023).

Enfin, il faut savoir que S. molesta, fait partie de la liste des espèces préoccupantes de l’Union Européenne et figure à l’Annexe 1-3 de l’arrêté du 14 février 2018 relatif à la prévention de l’introduction et de la propagation des espèces végétales exotiques envahissantes sur le territoire métropolitain. Il est malheureusement fort probable que S. minima suive le même parcours que cette dernière.

 

Rédaction : Timothée Prey (CB de Normandie)
Découverte de l’espèce et relecture : William Arial (Cen Normandie)
Relecture : Thomas Bousquet (CB de Normandie)
Détermination : Timothée Prey (CB de Normandie) avec l’aide de Fabien Dortel (CBN de Brest)

 

Crédit de la photo du bandeau : Timothée Prey

 

Références bibliographiques :

  • Dickinson, M. B. & Miller, T. E. 1998 – Competition among small, free-floating, aquatic plants. American Midland Naturalist, 140, 55–67.
  • Jacono, C.C., Davern, T.R. and Center, T.D., 2001 – The adventive status of Salvinia minima and S. molesta in the southern United States and the related distribution of the weevil Cyrtobagous salviniae. Castanea 66 (3):214–226.
  • Julien, M.H., T.D. Center, and P.W. Tipping. 2002 – Floating fern (Salvinia). Pages 17-32 in Van Driesche, R., S. Lyon, B. Blossey, M. Hoddle, and R. Reardon, eds. Biological control of invasive plants in the eastern United States. USDA Forest Service Publication FHTET-2002-04. USDA Forest Service. Morgantown, WV.
  • Howard Morgan, V., E. Anemaet, and E. Lower, 2024 – Salvinia minima Baker: U.S. Geological Survey, Nonindigenous Aquatic Species Database, Gainesville, FL, https://nas.er.usgs.gov/queries/factsheet.aspx?SpeciesID=297, Revision Date: 10/29/2021, Access Date: 2/7/2024
  • Parys, K. A., & Johnson, S. J., 2013 – Biological control of common salvinia (Salvinia minima) in louisiana using cyrtobagous salviniae (coleoptera: curculionidae). The Florida Entomologist, 96(1), 10–18. http://www.jstor.org/stable/23608867
  • Parys, K.A., S. Tewari, and S.J. Johnson. 2015 – Adults of the Waterfern Weevil, Stenopelmus rufinasus Gyllenhal (Coleoptera: Curculionidae), Feed on a Non-Host Plant, Salvinia minima Baker, in Louisiana. The Coleopterists Bulletin 69(2):316-318.
  • Montz, G. N. 1989 – Distribution of Salvinia minima in Louisiana. In Proc. 23rd Annual Meeting, Aquatic Plt Control Res Prog., 14-17 November 1988, West Palm Beach, FL, Misc. Paper A-89-1, USACOE, Waterways Experiment Station, Vicksburg, MS.:312-316.
  • Nolfo-Clements, L.E. 2006 – Vegetative survey of Wetland Habitats at Jean Lafitte National Historical Park and Preserve in Southeastern Louisiana. Southeastern Naturalist 5(3):499-514.
  • Paradis G., Miniconi R., 2011 – Une nouvelle espèce aquatique invasive découverte en Corse, au sud du golfe d’Ajaccio : Salvinia molesta D.S.Mitch. (Salviniaceae, Pteridophyta). Le journal de botanique, 54 : 45-48.
  • Schneller J.J. 1980 – Cytotaxonomic investigations of Salvinia herzogii de la Sota. Aquatic Bot. 9. (3): 279 – 283
  • Tewari, S., and S. Johnson. 2011 – Impact of two herbivores, Samea multiplicalis (Lepidoptera: Crambidae) and Cyrtobagous salviniae (Coleoptera: Curculionidae), on Salvinia minima in south Louisiana. Journal of Aquatic Plant Management 49: 36-43.
  • Tipping, P.W., L. Bauer, M.R. Martin, and T.D. Center. 2009 – Competition between Salvinia minima and Spirodela polyrhiza mediated by nutrient levels and herbivory. Aquatic Botany 90(3) : 231-234.
  • Tipping, P.W., M.R. Martin, and T.D. Center. 2012a – Weevils Versus No Weevils: A Comparison of Salvinia minima Populations in Florida and Louisiana. Florida Entomologist 95(3):779-782.
  • Tipping, P.W., M.R. Martin, L. Bauer, R.M. Pierce, and T.D. Center. 2012b – Ecology of common salvinia, Salvinia minima Baker, in southern Florida. Aquatic Botany 102:23-27.

https://www.gbif.org/fr/ consulté le 07/02/2024

 

 

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