Beaucoup de bruit pour rien ou un mauvais coup à la gestion des EEE ?

 In dossiers de la lettre d'information

Les plantes non indigènes ajoutées à la flore britannique seraient sans conséquences négatives sur la biodiversité indigène [1]

C’est en tout cas le titre de l’article et la thèse de deux chercheurs anglais, Chris D. Thomas et Georgina Palmer (Université de York), qui vient de paraître dans la revue de l’Académie des Sciences des Etats-Unis d’Amérique[2] (PNAS).

A partir d’une analyse portant strictement sur une approche «comptable» de la biodiversité végétale de plusieurs centaines de sites de Grande-Bretagne et de ses évolutions sur un peu moins de deux décennies, les auteurs concluent à l’absence d’impacts significatifs des plantes invasives sur la flore britannique en matière de biodiversité.

Depuis sa très récente publication, cet article a déjà fait l’objet de multiples diffusions dans les réseaux travaillant sur la problématique des EEE et de nombreux commentaires, généralement négatifs dans divers forums de discussions. En effet, la présentation scientifique d’une telle analyse, négligeant totalement tous les autres impacts que peuvent créer les plantes vis-à-vis des autres communautés vivantes dans les écosystèmes colonisés et des usages humains de ces milieux, présente des risques importants d’interprétations divergentes sur les enjeux de la gestion des EEE.

Quand les médias s’emparent du sujet…

Réalisée le 24 mars, une interview de son premier auteur est également disponible sur les pages «Science & Environment» de la BBC[3].

Dans cette interview, Chris Thomas présente les principaux résultats de cette méta-analyse portant sur une analyse de l’évolution des peuplements végétaux de 479 stations réparties sur le territoire du Royaume Uni. Les données traitées sont issues des investigations réalisées sur le terrain entre 1990 et 2007 dans le cadre du British Countryside Survey[4], vaste enquête sur les ressources naturelles du territoire débutée en 1978.

Il indique avoir trouvé que les modifications d’occurrence et de recouvrement des plantes durant cette période ne présentent pas de différences entre espèces indigènes et les exotiques (Using the extensive Data, we find that changes to plant occurrence and cover between 1990 and 2007 at 479 British sites do not differ between native and non-native plant species).

Selon lui, la grande majorité des espèces non indigènes étaient très peu communes et se trouvaient dans une seule des stations étudiées. Ainsi, la végétation est très largement composée d’espèces indigènes, ce qui signifierait que la plupart des changements de la végétation ne sont pas liés aux espèces exotiques (the vast majority of non-native species were not even common enough to be found in a single one of the sample plots. So most of the vegetation is not composed of non-native species, which means that most vegetation change has got nothing to do with non-native species).

Il a également précisé qu’il convenait que certaines plantes exotiques étaient bien des nuisances pour les humains, en ajoutant que des espèces indigènes pouvaient aussi être problématiques, comme les orties dans les jardins ou le séneçon dans les prairies, mais que cela ne signifie pas que ces espèces conduisent inexorablement le reste de la biodiversité britannique à l’extinction (We are not saying that some non-native plants are not a nuisance to us as humans. There are native species that are problematic, such as nettles in gardens or ragwort in meadows, but it does not mean that any of these species are inexorably driving the rest of British biodiversity extinct).

La conclusion de cette interview est que selon Chris Thomas l’inscription d’autant d’espèces exotiques dans le haut de la liste des plantes problématiques n’a pas vraiment de sens – à moins d’être prêt à ajouter à cette liste des centaines d’espèces indigènes aussi problématiques (What we would conclude is that to have quite so many non-native species at the top of our list of problematic plants doesn’t really make sense – unless you are willing to add hundreds of problematic native species to the list as well).

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Renouée du Japon

Le 28 mars, une page du site Internet de The Economist reprenait cette information dans une rubrique «Invasive Species» avec comme titre «Not weeds» (pas des mauvaises herbes) et comme sous-titre : « malgré les inquiétudes, les plantes exotiques sont rarement gênantes pour les plantes indigènes » (Despite concerns, alien plants are rarely troublesome to native ones)[5].

Cette information assez longue détaille les travaux présentés dans l’article de PNAS en indiquant par exemple qu’ils ne montrent pas que de nouveaux arrivants se déchaînent (There was no suggestion of the newcomers running amok) et que seulement 11 espèces sur les 100 les plus abondantes répertoriées dans l’étude étaient des exotiques, comme si l’abondance d’une espèce sur un vaste territoire était le critère le plus important.

En admettant que certaines espèces créent effectivement des problèmes (et la renouée du Japon est citée comme exemple), elle reprend également le commentaire sur la nuisibilité de certaines plantes indigènes gênantes comme le Séneçon jacobée, toxique pour les chevaux.

Dans cette page un alinéa consacré aux espèces invasives animales élargit un peu l’analyse (The situation is different for invasive animals). Toutefois s’il est rapidement fait mention de l’impact de l’introduction des écureuils gris sur l’écureuil indigène, et des effets des introductions de rats, de chats et de porcs sur de petites îles, c’est pour mieux en revenir à l’avis sur les plantes : But plants seem benign.

Et le texte se poursuit par un procès d’intention bien connu envers les «conversationnistes», dont certains s’opposeraient aux espèces introduites simplement parce qu’elles sont étrangères (Some conservationists object to introduced species just because they are alien) et se référeraient à un état idéal de la nature dont il ne faudrait pas s’éloigner (the way things are today … represents a “natural” state of affairs, deviations from which are to be regretted) pour se terminer par une question simpliste également très classique : si ces introductions augmentent la biodiversité, pourquoi ne pas les apprécier ? (And if those introductions are increasing biodiversity, what’s not to like?).

En matière de communication, les illustrations sont importantes et contribuent souvent très largement au message. Ainsi, la page de l’interview de la BBC est illustrée de deux photos dont une présente la renouée asiatique avec cette légende : bien que coûteuse à contrôler et à éliminer, la renouée japonaise ne menace pas la flore du Royaume-Uni à l’échelle nationale (Although costly to control and eliminate, Japanese knotweed does not threaten UK flora nationally). Sur la page de The Economist figure également une photo de renouée asiatique avec comme légende «OK. These knotweeds really are weeds» (d’accord la renouée est vraiment une mauvaise herbe). Comment ne pas voir dans le choix de ces photos et de leurs légendes, un appui supplémentaire clair à la thèse défendue dans l’article de PNAS pour minimiser les impacts des EEE ?

Quelles réactions en France métropolitaine et à l’international ?

Entre ces deux parutions, est parue en France le 26 mars une information du Journal de l’Environnement[6] qui se référait à l’article paru dans la revue américaine avec comme titre « Les plantes «invasives» sont-elles si méchantes ?» et dans son accroche un avis assez clair «Une approche intéressante, mais un peu réductrice».

ambroisie

Ambroisie à feuille d’armoise, espèce hautement allergène.

Des éléments de réflexion fournis par Yohan Soubeyran (UICN France) y figurent qui débouchent en fait sur des questions de fond sur l’objectif, l’utilité, les intentions et les éventuelles utilisations ultérieures de ce type d’article scientifique publié dans des revues renommées. Parmi eux : «L’impact des invasions biologiques ne se limite pas à la disparition des espèces indigènes: outre les effets socioéconomiques et sanitaires, par exemple avec l’ambroisie [très allergène, ndlr], ces espèces sont catégorisées comme des transformateurs d’écosystèmes.» et «attention à ne pas remettre en cause l’intérêt de gérer ces espèces. Pour autant, il ne faut pas crier haro sur toutes les espèces introduites, il ne s’agit pas d’engager une lutte tous azimuts contre les espèces invasives: les actions doivent être engagées en fonction de priorités, que ce soit par espèces ou par sites»

En effet, la présentation de résultats d’une telle analyse à large échelle qui ne peut estimer des impacts locaux même s’ils sont significatifs dès lors qu’ils sont peu nombreux, ciblée de plus sur une partie réduite de la problématique des invasions biologiques, et ce sans retour vers le contexte général de cette problématique, nous semble poser de réelles questions éthiques.

Est-ce une erreur, un manque de discernement ou une volonté délibérée de limiter l’analyse des impacts des plantes invasives aux seules extinctions d’espèces ? De réduire une telle analyse à une approche comptable de la biodiversité (les nombres d’espèces, les présentes, celles en régression ou encore celles disparues depuis le début des investigations) ? Oublier les modifications écologiques que peuvent produire de nombreuses plantes invasives dans les écosystèmes qu’elles colonisent, pas seulement sur autres plantes mais sur les communautés animales (invertébrés et vertébrés), et les nuisances qu’elles causent aux usages humains de ces milieux ?

Si, sur des îles de dimensions réduites, les disparitions d’espèces imputables aux invasions biologiques sont relativement faciles à quantifier, il n’en est pas de même sur les continents. Selon l’échelle de territoire sur laquelle porte l’analyse, il est généralement impossible d’assurer que telle espèce invasive a fait disparaître une autre espèce. De plus, la disparition d’espèces n’est pas un indicateur très facile à utiliser car il s’agit généralement de processus longs et les investigations ne peuvent pas prétendre être suffisamment exhaustives pour donner des résultats certains.

Les réactions de divers spécialistes mondiaux sur les invasions biologiques exprimées dans des forums de discussion comme par exemple celui du réseau ISSG (Invasive Species Specialist Group)[7], organisé au sein de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) questionnent selon différentes manières les raisons de cette publication. Il lui est évidemment reproché de se présenter sous une forme qui biaise totalement l’analyse transversale que la communauté scientifique a déjà produite sur l’ensemble des impacts causés par les invasions biologiques.

Certains de ces chercheurs citent des exemples précis de modifications de relations trophiques induisant de fortes régressions ou des disparitions d’espèces animales.

D’autres font remarquer que c’est un exemple classique d’une analyse d’un ensemble de données dont les conclusions sont extrapolées sans preuves à l’appui. Cela semble particulièrement vrai en ce qui concerne l’extrapolation à l’échelle du globe qui figure dans l’article du PNAS : selon Chris Thomas et sa collègue, les effets négatifs des plantes exotiques sur la biodiversité britannique ont été exagérés, et peuvent également avoir été exagérés dans d’autres parties du monde (The negative effects of non-native plants on British biodiversity have been exaggerated, and may also have been exaggerated in other parts of the world). S’il est possible d’admettre que la première assertion est recevable, d’autant plus que la flore de la Grande Bretagne a subi des modifications permanentes et de nombreuses inroductions d’espèces depuis des siècles, la seconde est tout à fait discutable car de nombreuses études démontrent déjà le contraire.

D’autres commentaires sont plus critiques. Il y est notamment fait référence à «l’irresponsabilité» des auteurs concernant l’extrapolation déjà évoquée. Une intention d’alimentation d’une controverse par leur publication leur est aussi attribuée. Une irresponsabilité des éditeurs de la revue est également citée, ayant soit volontairement publié par opportunisme cet article pour créer une controverse (in an attempt to stir up controversy) car les controverses suscitent réactions et amélioration de l’impact de la revue, soit en ne contrôlant pas suffisamment la procédure de relecture des articles proposés.

D’autres sont encore plus clairs : l’un d’entre eux indique qu’il craignait de voir arriver ce genre d’article et qu’il est déprimé à l’idée que les décideurs politiques se souviendraient du titre (I knew this was coming and am still depressed to see it since all policy makers will remember is the headline). Le jour suivant la publication de The Economist, un autre message, diffusant l’adresse internet de la page, très laconique, précisait «The damage is already done».

Enfin, un autre de ses chercheurs faisait simplement remarquer «this might be considered a «troll» post – he knows he’s stirring the pot», ce que l’on peut traduire par «ce peut être considéré comme une provocation. Ils savent ce qu’ils font en remuant la…». Trivial mais très explicite cet avis n’est-ce pas ?

Des débats contre-productifs pour la gestion des EEE

Nous ne pouvons évidemment pas conclure sur les raisons de la production de cette publication, même si la coïncidence des calendriers entre cette publication et la mise en œuvre très récente du règlement européen sur les EEE et les travaux en cours sur l’établissement de la liste des EEE préoccupantes pour l’Union viennent de débuter, n’en est peut-être pas une. Nous ne pouvons pas non plus préjuger des intentions des auteurs (autres que d’alimenter la réflexion scientifique) et donc aller jusqu’à leur rappeler ce vieil adage rabelaisien «Science sans conscience n’est que ruine de l’âme».

Il nous paraît toutefois indispensable de rappeler que la présentation de tels résultats, éclairant par le plus petit bout possible de la lorgnette une problématique aussi universelle que celle des invasions biologiques, est un risque extrêmement important vis-à-vis des décisions qui doivent être prises par les décideurs politiques et donc de l’organisation future de la gestion des EEE en France.

Ce n’est pas la première fois que des débats s’instaurent entre les mondes de la recherche et de la gestion mais ils sont souvent contre-productifs pour la gestion. Aussi la communauté des gestionnaires doit-elle absolument rester vigilante et poursuivre l’alimentation et la diffusion du corpus d’informations sur les impacts, de toute nature, que produisent les EEE dans les milieux qu’elles colonisent, ceci afin de mieux informer les décideurs et les aider à améliorer analyses et décisions.

Après les «climato-sceptiques» niant les effets du changement climatique, aurons-nous aussi des «invaso-sceptiques» ?

Alain Dutartre, 25/04/2015

[1]Non-native plants add to the British flora without negative consequences for native diversity”

[2] http://www.pnas.org/content/early/2015/03/18/1423995112

[3] http://www.bbc.com/news/science-environment-32020321

[4] http://www.countrysidesurvey.org.uk/

[5] http://www.economist.com/news/science-and-technology/21647270-despite-concerns-alien-plants-are-rarely-troublesome-native-ones-not-weeds

[6] http://www.journaldelenvironnement.net/article/les-plantes-invasives-sont-elles-si-mechantes,57067?xtor=EPR-9

[7] http://www.issg.org/

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