Connaissez-vous Cotula coronopifolia ?

 In A surveiller de près

Originaire d’Afrique du Sud, cette petite plante ornementale au feuillage charnu décoratif et aux fleurs en bouton d’un jaune très lumineux est apparemment appréciée dans le monde de l’horticulture pour ses capacités à s’installer comme “couvre-sol de milieu aquatique” en bordure de bassins en y supportant la submersion. D’une taille ne dépassant généralement pas 45 cm et pouvant se développer en herbiers denses, elle peut servir à dissimuler une bâche ou une bordure inesthétique dans les installations de bassins ornementaux.

Elle fait toutefois preuve de fortes capacités de dispersion et de développements d’herbiers monospécifiques dans des habitats fragiles qui en font une espèce à surveiller…

Une large dispersion mondiale

Notons que l’intérêt esthétique de cette espèce aux noms vernaculaires quelquefois intrigants (Cotule pied-de-corbeau, Corne de cerf, Cotule à feuilles de sénebière ou Cotule à feuilles de Coronopus, ou encore, en anglais, “Brassbuttons“, littéralement “boutons de laiton”) n’empêche pas que dans les documents horticoles la concernant elle soit aussi parfois créditée d’une mention d’alerte faisant état de ses capacités de dispersion : elle n’est en effet pas restée sagement là où on avait décidé de l’installer.

Originaire d’Afrique du Sud, sa dissémination horticole volontaire lui a permis de s’établir en milieu naturel dans de nombreux pays du monde : en Amérique Centrale et en Amérique du Sud, en Australie, Tasmanie (Rozefelds & Mackenzie, 1999), Nouvelle-Zélande (Esler & Astridge, 1987) et, pour l’Europe, dans les zones côtières de la plupart des pays de la façade atlantique, du sud de la Norvège au sud de l’Espagne, mais aussi dans le bassin méditerranéen (Brunel et al., 2010), dont en Tunisie (Daoud-Bouattour et al, 2011), au Maroc (Ennabili & Gharnit, 2003), en Italie et en Grèce (Sarika et al., 2005). Dans nombre de ces pays, ses capacités invasives sont de plus en plus reconnues. Par exemple, le long d’une grande partie du littoral ibérique, elle a envahi localement les communautés de marais salés (Costa et al. 2009). Enfin, en ce qui concerne la métropole française, sa dynamique d’extension devient perceptible et nous semble donc nécessiter une vigilance renforcée.

La cotule en métropole

Selon Dupont P. et S. (1968), les premières observations de cette espèce en métropole datent de 1896 : elle “abondait” le “long” des estuaires du Trieux et du Jaudy en Bretagne. Son extension en Bretagne s’est poursuivie et elle a été récoltée par les mêmes auteurs en 1968 dans la partie sud de la Grande-Brière.

La Cotule en Brière © E. Sarat

Par ailleurs, dans un autre article de Pierre Dupont (1972), consacré à la végétation du Parc naturel régional de Brière, la seule indication concernant les plantes exotiques a justement trait à Cotula coronopifolia, que l’auteur cite dans un court alinéa : “A toutes ces espèces, bien de chez nous, se sont ajoutées quelques “étrangères” souvent banales mais parfois intéressantes : c’est le cas de Cotula coronopifolia, composée sud-africaine que nous avons rencontrée en quelques points de la partie salée de la Brière aux environs de Trignac ; sa naturalisation en France n’avait été notée jusqu’ici que dans des marais salants bordant des rivières des Côtes-du-Nord” (page 284).

Depuis cette période, la banalité que l’on pouvait concéder à cette espèce a fortement évolué, de même que son intérêt, au fur et à mesure de sa dispersion géographique en métropole et des démonstrations de ses capacités d’installation en herbiers monospécifiques. C’est en particulier le cas pour la Corse où, observée en milieu naturel depuis 1958 (une première observation sur la commune de Sartène), elle peut, selon Fried (2012), y former sur plusieurs centaines de mètres carrés des peuplements monospécifiques denses éliminant toute autre espèce. Les observations actuelles la concernant dans l’île sont situées dans 15 mailles de 10 km.

A proximité des côtes de la Manche ou de l’Atlantique, elle est présente dans quelques sites du Nord de la France (des observations datent de 2000 à 2014) et dans des sites épars dans les départements de la Manche, Côte d’Armor, Finistère, Morbihan, Ile-et-Vilaine et Vendée.

Elle est en revanche beaucoup plus présente en Loire-Atlantique, en particulier en Brière (Damien, 2007), dans le Marais Breton et l’estuaire de la Loire où elle est signalée jusque vers Le Pellerin (Fabien Dortel, CBNB). En Brière, selon Jean Patrice Damien (PNR de Brière), en l’absence d’un suivi régulier, l’espèce semble bien implantée sur une grande partie de la zone humide jusqu’en aval de Pontchâteau, et présenterait un gradient décroissant d’éloignement de l’estuaire de la Loire. En fonction des variations des conditions de milieux, ses peuplements mono spécifiques très localisés ne se développent pas tous les ans et si, certaines années, elle s’installe en herbiers pouvant atteindre quelques dizaines de m², sa dynamique jugée faible au regard d’autres plantes exotiques comme les jussies ou la Crassule de Helms ne l’a fait pas considérer comme envahissante.

Elle est également observée de manière dispersée sur le lac de Grand-Lieu en bordure de la zone centrale du lac où, selon l’importance de l’étiage, elle ne se développe pas tous les ans : selon Jean-Marc Gillier (RNN du Lac de Grand-Lieu), elle n’y est donc pas considérée comme un problème.

Plus au sud, sa dynamique d’extension semble plus évidente. Observée depuis 2006 dans quelques sites le long de l’estuaire de la Gironde, elle s’est depuis assez largement dispersée et colonise des mares de tonnes de chasse, des vasières et des plans d’eau de Mortagne-sur-Gironde jusque dans l’Entre-deux-Mers. Elle est présente sur plusieurs îles de la Gironde (Aurélien Caillon, CBNSA). Sa dispersion se poursuit le long de l’estuaire car elle vient d’être observée dans une nouvelle commune de Charente-Maritime proche des sites déjà connus (Leila Renon, Agglo Royan).

Elle a également été repérée en 2015 dans un site de la Baie de l’Aiguillon en Charente-Maritime.

Quelques éléments d’écologie

Cotula coronopifolia - Emilie Mazaubert

Cotula coronopifolia © E. Mazaubert

Plante parfois pérenne en Afrique du Sud, elle est généralement annuelle en Europe tempérée mais, au Portugal, si elle est annuelle au nord du Tage, elle est pérenne plus au sud (Costa et al., 2009).

Cette espèce pionnière s’installe dans les bordures de zones humides saumâtres ou salées, généralement sur des sols limoneux humides temporairement submergés (zone de battement de la nappe d’eau) et souvent dépourvus de végétation.

Adaptée à des teneurs en sel variables, selon Partridge et Wilson (1987a), ses possibilités de germination dans des conditions de salinité proches de sa tolérance au sel à l’âge adulte ne limitent donc pas sa dispersion. Par ailleurs le fait qu’elle soit relativement plus tolérante vis-à-vis des teneurs en sel des eaux et des sols que d’autres espèces des zones humides qu’elle colonise (Partridge & Wilson, 1987b) lui donne un avantage compétitif. Dans des expérimentations en laboratoire portant sur la résistance à la submersion, Rich et Ludwig (2012) ont quantifié la production de racines adventives en remplacement des racines intra-sédimentaires lors des submersions, et les effets négatifs sur la croissance des plantes de l’élimination de ces racines photosynthétiquement actives : une démonstration supplémentaire des capacités de l’espèce aux conditions de variation de niveau des eaux.

Campos et al. (2004) signalent également que C. coronopifolia fait partie des espèces bien adaptées aux conditions environnementales difficiles qui règnent dans les marais salés.

Cependant cette plante facilement colonisatrice dans certaines conditions ne domine pas dans tous les cas et, par exemple, elle peut être supplantée par les jussies ou la Crassule de Helms (observations de Jean-Patrice Damien et Fabien Dortel) dans les biotopes où elle se retrouve en compétition avec elles.

Quelles possibilités de régulation ?

En 2015, à la suite d’une demande d’aide concernant les moyens de régulation de cette espèce, nous avions fait passer une demande d’information dans la Lettre d’Information IBMA N°6 pour obtenir des informations complémentaires sur sa répartition et son écologie : cette demande avait reçu très peu de réponses.

A l’époque, aucune technique de régulation efficace n’était avérée et les seules informations organisées se trouvaient dans un document d’alerte et un “Plan d’action sommaire envers Cotula coronopifolia sur le site de Vitrezay (17)”. Ces deux documents rédigés en 2011 par le CBN Sud-Atlantique, étaient une conséquence directe de la découverte en 2010 de l’espèce dans ce marais riverain de l’estuaire de la Gironde et d’une décision de procéder rapidement à l’éradication préventive de cette population, opération effectivement réalisée par arrachage manuel. Ce plan d’action se termine par des préconisations de suivi régulier du site, d’arrachages manuels systématiques de nouveaux individus et d’observations des milieux proches.

Depuis, aucune information nouvelle n’est venue conforter nos connaissances sur les possibilités de régulation de cette espèce et l’arrachage manuel semble rester la technique envisageable, au moins sur des sites présentant des populations éparses en début de colonisation. En effet, ce mode d’arrachage semble difficile à envisager sur des superficies importantes et des herbiers denses.

Un étrépage mécanique des sites colonisés pourrait être testé mais comme le note Aurélien Caillon (CBNSA), d’une part un décapage produira une mise à nu de biotopes qui seront toujours favorables à l’espèce, plante pionnière à phénologie précoce (avril), et d’autre part la gestion ultérieure des terres issues du décapage devra tenir compte des risques ultérieur de dispersion de l’espèce.

Quelle que soit la technique appliquée, des suivis post-intervention sont toujours nécessaires pour vérifier l’absence de repousses ou procéder à l’arrachage des repousses en cours d’installation. En ce qui concerne la gestion des terres déplacées, leur réutilisation pourrait éventuellement se faire dans des biotopes non soumis à inondation et des suivis de contrôle devront également y être faits. Aurélien Caillon indique enfin l’intérêt d’une végétalisation de ces terres comme éventuel moyen de régulation de l’espèce.

Enfin, signalons qu’une seconde espèce du genre, C. australis, également présente en métropole semble actuellement en voie de progression, également le long des côtes atlantique et méditerranéenne et en Corse, sur des pelouses sableuses piétinées (Tison & De Foucault, 2014). Selon Aurélien Caillon, cette plante discrète (plus petite que l’autre espèce) est probablement sous observée.

Ainsi, actuellement, aucun retour d’expérience de gestion argumenté concernant Cotula coronopifolia n’est disponible : il serait sans doute temps que la vigilance supplémentaire qu’il nous paraît souhaitable de lui consacrer se traduise par des efforts de compilation des informations éventuellement disponibles chez différentes parties-prenantes concernées par cette petite plante à la jolie fleur.

D’autant que, dans les années à venir, la montée des eaux océaniques que prévoient les modèles sur le changement climatique risque d’accroitre dans des proportions importantes les superficies de biotopes qui lui sont favorables tout au long des frontières marines de la métropole…

Rédaction : Alain Dutartre, expert indépendant
Remerciements à Aurélien Caillon, Jean-Patrice Damien, Fabien Dortel, Jean-Marc Gillier, Leila Renon, pour les informations apportées ayant permis cette synthèse.
Relectures : Doriane Blottière, Comité français de l’UICN

Références

  • Brunel S., Schrader G., Brundu G., Fried G., 2010. Emerging invasive alien plants for the Mediterranean Basin. Bulletin OEPP/EPPO, 40, 219–238
  • Campos J. A., Herrera M., Biurrun I., Loidi J., 2004. The role of alien plants in the natural coastal vegetation in central-northern Spain. Biodiversity and Conservation 13: 2275–2293
  • Costa J. C., Neto C., Arsenio P., Capelo J., 2009. Geographic variation among Iberian communities of the exotic halophyte Cotula coronopifolia. Bot. Helv., 119: 53–61
  • Damien J. P., 2007. Pour une gestion durable des zones humides : l’exemple des parcs naturels régionaux. Aestuaria, 10 : 265-282
  • Daoud-Bouattour A., Muller S. D., Ferchichi-Ben Jamaa H., Ben Saad-Limam S., Rhazi L., Soulié-Märsche I., Rouissi M., Touati B., Ben Haj Jilani I., Gammar A. M., Ghrabi-Gammar Z., 2011. Conservation of Mediterranean wetlands: Interest of historical approach. C. R. Biologies 334, 742–756
  • Dupont P., 1972. La végétation du Parc de Brière. PENN AR BED. Volume 8, N° 69, 282 -295.
  • Dupont P., Dumpont S., 1968. Cotula coronopifolia en Loire-Atlantique. Bulletin de la Société Scientifique de Bretagne. T. XLIII, 283, 26-27.
  • Ennabili A., Gharnit N., 2003. Effets d’aménagements du littoral tétouanais (Nord-Ouest du Maroc) sur la végétation hygrophile (Spermatophyta). Acta Bot. Barc., 48 : 199-216
  • Esler A. E., Astridge S. J., 1987. The naturalisation of plants in urban Auckland, New Zealand 2. Records of introduction and naturalisation. New Zealand Journal of Botany, 25: 4, 523-537
  • Fried G., 2012. Guide des plantes invasives. Belin, 302 p.
  • Partridge T. R., Wilson J. B., 1987a. Germination in relation to salinity in some plants of salt marshes in Otago, New Zealand, New Zealand Journal of Botany, 25: 2, 255-261
  • Partridge T. R., Wilson J. B., 1987b. Salt tolerance of salt marsh plants of Otago, New Zealand. New Zealand Journal of Botany, 25:4, 559-566
  • Rich S. M., Ludwig M., Colmer T. D., 2012. Aquatic adventitious root development in partially and completely submerged wetland plants Cotula coronopifolia and Meionectes brownii. Annals of Botany 110: 405–414
  • Rozefelds A. C., Mackenzie R., 1999. The weed invasion in Tasmania in the 1870’s: knowing the past to predict the future. Twelfth Australian Weeds Conference, 581-583
  • Sarika M., Dimopoulos P., Yannitsaros A., 2005. Contribution to the knowledge of the wetland flora and vegetation of Amvrakikos Gulf, W Greece. Willdenowia, 35 (1): 69-85.
  • Tison J. M., De Foucault B. (coords), 2014. Flora Gallica. Flore de France. Biotope. XX + 1196 p.
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