Déterminer les EEE par leur ADN

 In dossiers de la lettre d'information

Cet article vient enrichir le dossier intitulé « Déterminer les EEE par leur ADN », figurant dans la lettre d’information numéro 5 du GT IBMA, publié en avril 2015, et déjà complété par un article sur la détection de l’Égérie dense par son ADN en 2016.

La détection précoce des espèces exotiques est une priorité pour déclencher la mise en œuvre d’interventions rapides, souvent très efficaces sur des populations nouvellement arrivées. Cependant, les méthodes basées sur l’identification de critères morphologiques n’offrent pas toujours une efficacité suffisante, en particulier pour l’identification des stades juvéniles de certains taxons d’invertébrés, et les protocoles d’échantillonnages peuvent ne pas être suffisamment performants pour détecter des espèces à de faibles densités de population. Des espèces exotiques sont ainsi susceptibles de n’être détectées qu’à partir de l’établissement d’importantes populations, ce qui rend plus difficile leur gestion. L’utilisation d’analyses ADN, directement extrait d’organismes échantillonnés ou présent dans les sédiments et l’eau (ADN environnemental ou ADNe) pourrait permettre une amélioration de la détection de ces espèces. Nous présentons ici une synthèse des résultats de trois études récentes ayant utilisé des analyses ADN dans cet objectif.

La présence d’un gammare exotique révélée grâce à l’ADNe au Royaume-Uni (Blackman et al., 2017)

L’identification morphologique des invertébrés est parfois très complexe (ici Dikerogammarus haemobaphes) © H. Kendzierska

Après la découverte de Dikerogammarus villosus en 2010 et de Dikerogammarus haemobaphes en 2012, Gammarus fossarum, une espèce commune dans l’est de l’Europe, est la 3e espèce de gammare non-indigène à être détectée dans les rivières du Royaume-Uni. Dans certaines stations, il s’agit même de la seule espèce détectée, ce qui suggère qu’elle est capable d’y dominer l’espèce autochtone G. pulex.

Cette découverte a été réalisée par analyse d’ADNe contenu dans des échantillons d’eau et de sédiments. Ces échantillons ont été filtrés et traités pour en extraire l’ADN présent, puis le fragment de gène ciblé (313 bp du gène COI (Cytochrome c Oxidase subunit I)) a été amplifié par PCR. Ce fragment a été choisi car il s’agit de celui le plus utilisé pour la discrimination des invertébrés. Les fragments obtenus ont ensuite été comparés à ceux existant dans les bibliothèques de données et ont conduit à identifier G. fossarum. La présence de l’amphipode a ensuite été confirmée par une analyse morphologique et une analyse ADN directe sur les individus prélevés.

Un nouvel examen d’échantillons historiques a montré que l’espèce serait présente au Royaume Uni depuis au moins 1964. Cette étude démontre donc que les techniques habituelles d’échantillonnage ne permettent pas toujours d’atteindre l’exhaustivité des inventaires et risquent d’être moins efficaces pour un faible nombre d’individus présents, donc en particulier dans le cas de détection précoce d’espèces exotiques. Les analyses morphologiques peuvent également présenter des difficultés et laisser subsister des erreurs d’identification, en particulier pour les stades juvéniles.

Le recours aux analyses ADNe pour la détection des espèces exotiques peut donc présenter un bénéfice significatif, permettant de détecter la présence d’espèces dans l’environnement sans nécessiter la capture directe d’individus.

Test d’une méthode de détection rapide de Dreissena sp. par l’utilisation d’ADNe dans les Grands Lacs Américains (Williams et al. 2017).

Dreissena polymorpha

Le nombre d’échantillons requis, la complexité des méthodes et les moyens nécessaires pour leur réalisation sont souvent un frein au développement des analyses ADNe. L’objectif des auteurs de cette étude était de développer une méthode d’analyse de l’ADNe rapide, pratique et utilisable sur le terrain. Pour cela, ils ont développé du matériel transportable sur le terrain permettant l’utilisation de la méthode LAMP (Loop-mediated isothermal amplification) qui a l’avantage de permettre une amplification directe de l’ADN, sans extraction ni purification au préalable. Les outils ainsi développés permettent une détection de l’espèce ciblée en 90 minutes, à partir de prélèvement d’eau de surface.

Afin d’évaluer l’efficacité de leur méthode, elle a été testée sur des échantillons d’eau issus de divers lacs américains, du Michigan et du nord du Wisconsin, où la présence de Dreissena polymorpha et Dreissena burgensis était déjà connue. Les résultats de ces analyses ont ensuite été comparés à ceux réalisés en laboratoire, et montrent une bonne efficacité de ce procédé.

Le développement de telles méthodes permettrait de simplifier les protocoles d’échantillonnage réalisés dans le cadre d’analyses d’ADNe pour la détection d’espèces exotiques.

Détection précoce de zooplancton exotique dans les ports canadiens (Brown et al., 2016).

Dans cette étude, 16 ports canadiens répartis sur plusieurs régions géographiques (Pacifique, Atlantique, Arctique et Grands Lacs Américains) ont été étudiés. Six échantillons de zooplancton ont été collectés dans chaque port entre mai 2011 et décembre 2012. Leur ADN a été extrait, puis la région V4 de l’ADNr 18S a été amplifiée par PCR. Ce fragment a été choisi en raison de sa large couverture des groupes de zooplancton (crustacés, mollusques, tuniciers). Les résultats ont été comparés aux bases de données existantes (NCBI database et SILVA/SINA version NR99_119 database), permettant d’identifier un total de 379 espèces. Parmi elles, les auteurs ont pu identifier 24 espèces exotiques dont 10 considérées comme envahissantes, à partir d’une liste de 124 espèces exotiques planctoniques potentiellement à risque pour le Canada établie à partir de la littérature existante.

Cette méthode permet de détecter des espèces présentes en faible densité, sans recourir à une analyse morphologique laborieuse, et a permis de compléter les données sur la répartition de certaines espèces exotiques au Canada en permettant leur détection dans des sites où elles n’avaient pas encore été observées.

Cependant, un certain nombre de séquences (22 %) n’ont pas pu être identifiées jusqu’au niveau de l’espèce. Comme l’efficacité de cette méthode dépend du choix de la séquence utilisée et que certaines espèces possédent des séquences très proches sur cette région d’ADN, certaines analyses ont donc pu conduire à des identifications erronées (Carcinus maenas possède par exemple une séquence à 99 % similaire à d’autres crabes exotiques présents dans la liste telle que Cancer pagurus).

Enfin, le développement de bases de données génétiques de référence permettant l’identification des espèces est un préalable indispensable pour l’utilisation systématique de ces techniques.

Rédaction : Doriane Blottière, UICN France, 13 novembre 2017.

Relecture : Claude Miaud, CEFE-CNRS, Alain Dutartre, expert indépendant.

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