Dynamique végétale invasive et importance des conditions hydrologiques hivernales pour la Jussie en Brière : une histoire sans fin ?

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Le Parc naturel régional de Brière conduit depuis 1999 un inventaire annuel des plantes aquatiques exotiques envahissantes qui lui permet de mieux évaluer l’évolution des colonisations, d’apporter une compréhension globale des dynamiques en place et d’élaborer des stratégies de gestion adaptées.

En mars 2018, ont été diffusées des informations sur le développement jugé atypique de la Jussie en Brière au cours de l’année 2017. Il s’agissait de retards de développement de la plante, et de réductions apparentes de sa production de biomasse et des emprises des colonisations de plusieurs sites en prairies humides.

Quasiment trois ans plus tard, il semblait utile d’actualiser cette chronique s’appuyant les travaux de la mission biodiversité et espèces invasives du syndicat mixte du PNR de Brière comportant notamment un inventaire mobilisant annuellement 2 agents pendant 4,5 mois. En plus de la jussie, de la Crassule de Helms (Crassula helmsii), du Myriophylle du Brésil (Myriophyllum aquaticum) et du Baccharis (Baccharis halimifolia), ces inventaires du PNR incluent également une veille plus large sur les plantes invasives avérées et potentielles, dont une quinzaine ont déjà été localisées dans ou à proximité du territoire du Parc, telles que : Égérie dense (Egeria densa), Hydrocotyle fausse-renoncule (Hydrocotyle ranunculoides), Balsamine de l’Himalaya (Impatiens glandulifera), Renouées asiatiques (Reynoutria sp.)…

Situation en 2018

Un retour à la normale pour la jussie ?
En 2018, l’évolution de la Jussie a semblé déjà plus proche des schémas déjà observés : l’espèce s’est étendue et densifiée dans les secteurs colonisés déjà identifiés, tout en s’implantant sur de nouvelles stations. En une année, les surfaces colonisées ont augmenté de 19 % en canaux et fossés et de 8 % en prairies et plans d’eau. Quelques nouvelles stations, au caractère considéré comme plus ou moins pionnier selon leur éloignement des secteurs connus, ont été identifiées par les agents du Parc.

Cette évolution annuelle de la colonisation n’atteint cependant pas celle observée en 2016, le maximum sur la période 1999-2018.

De plus en plus de zones inventoriées
L’inventaire de la Jussie et des autres plantes invasives a expertisé 776 km de canaux et fossés, 719 ha de plans d’eau et 4 893 ha de prairies inondables en 2018. Comparativement à 2017, la prospection a été en progression de 462 ha (+ 10,4 %) en prairies, 31 ha (+ 4,5 %) en plans d’eau ainsi que de 57 km (7,9 %) en canaux et fossés.

Le bilan de cet inventaire indique que cette augmentation de la superficie de territoire couverte est liée à une combinaison de plusieurs facteurs, dont le maintien de niveaux d’eau élevés facilitant les déplacements intra marais mais aussi grâce à l’amélioration constante des compétences des agents le réalisant.

Situation en 2019

Si la couverture 2018 avait été exceptionnellement élevée, l’inventaire 2019 est revenu à un niveau comparable à celui des années antérieures. Cette réduction est liée à une combinaison de plusieurs facteurs contraignants, tels que la baisse rapide des niveaux d’eau estivaux augmentant les difficultés d’accès à certains sites, extension de la Crassule de Helms et secondairement du Myriophylle du Brésil rallongeant les durées d’inventaires.

Comme 2018, l’année 2019 a été caractérisée par une dynamique proche des schémas de développement saisonnier déjà observés. Comparativement à l’année précédente, les superficies et linéaires comptabilisés sont en légère régression. Cette diminution est de 6,6 % en prairies, 11,1 % en plans d’eau et 12,1 % en canaux et fossés.

Évolution de la colonisation entre 2016 et 2019

La dynamique végétale de 2017 ne témoignait donc pas d’une tendance durable à la baisse pour les populations de jussie du PNR de Brière.

Ces informations plus récentes confirment que les conditions hydrologiques exceptionnelles dans les marais durant l’hiver 2016-2017 (ennoiement des prairies très tardif et de durée réduite) ont eu un impact négatif significatif sur la colonisation par la Jussie l’été qui a suivi.

Il est cependant intéressant de constater que les superficies colonisées durant ces dernières années restent inférieures aux observations de 2016, avec toutefois une légère hausse en 2018 de la superficie d’herbiers dispersés dans les canaux, les plans d’eau et les fossés (Tableau 1).

Tableau 1 : Évolution entre 2016 et 2019 des linéaires et des superficies colonisés par la Jussie selon les typologies des herbiers
(en orange pâle et gras : les valeurs les plus élevées)

Ces résultats doivent toutefois être examinés avec prudence car les observations se réfèrent principalement à une évaluation de la présence au sol de la plante et non à son état de développement, largement impacté en 2017.

On constatera tout de même que la dynamique observée en 2017 a eu seulement un effet peu durable, avec un retour dès l’année suivante à des conditions de développement plus “standard” depuis le début de la colonisation de la Brière par la Jussie, en lien avec des conditions climatiques et hydrologiques plus habituelles.

Illustration : Suite de la chronique de développement de la Jussie de 2017 (gauche) à 2020 (droite) au Millau (Saint-Joachim) © J-P. Damien, PNR Brière

Si l’hydrologie hivernale de l’hiver 2016-2017 a marqué négativement cette dynamique de colonisation, on pourrait également s’interroger sur les conséquences d’une hydrologie exceptionnelle inverse, c’est-à-dire un ennoiement précoce et de longue durée des marais. Cette situation est justement survenue durant l’hiver 2019-2020, et une analyse des données de l’inventaire de 2020 est en cours. Toutefois, l’évaluation déjà débutée des emprises totales observées (1 265 ha en prairies, 179 ha en plans d’eau et 367 km en canaux et fossés) atteste d’une hausse significative des superficies colonisées avec un retour à une situation proche de celle de 2016.

Ce constat confirme l’importance des conditions hydrologiques des milieux, notamment hivernales, comme facteurs influençant, positivement ou négativement, la dynamique de colonisation estivale de la Jussie, plus particulièrement sur les milieux temporairement inondés. En particulier, la survenue d’un retard et d’un déficit d’inondation hivernale pourrait apparaître alors comme un élément, positif bien qu’aléatoire, de régulation des herbiers de Jussie.

Cette variabilité des développements de Jussie constitue une contrainte relativement peu importante quant aux modalités des interventions de régulation mais, malheureusement, là où en 2017 la Crassule de Helms commençait à s’installer en mélange dans de vastes secteurs colonisés par la Jussie, elle a profité de la régression de l’autre espèce pour accroître son implantation.

Trois années plus tard, les implantations de Crassule y sont maintenant largement supérieures à celles de Jussie. La Crassule de Helms pourrait donc bien devenir un nouveau “casse-tête de gestion” pour le PNR de Brière, avec une dispersion qui se poursuit à partir de nouvelles implantations pionnières périphériques et obliger à redéfinir un plan de gestion adapté à cette évolution. Une histoire sans fin, peut-être bien…

 

Rédaction : Jean-Patrice Damien, Chargé de mission “Biodiversité et espèces invasives” au syndicat mixte du PNR de Brière,
Madeleine Freudenreich, Comité français de l’UICN et Alain Dutartre, expert indépendant

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