Entretien : « Avancer ensemble pour répondre aux enjeux des EEE en région Grand Est »

 In Entretiens

Bonjour, tout d’abord : qui êtes-vous, dans quelle région agissez-vous et quelles sont vos missions ?

Camille G. : Je m’appelle Camille Gunder et je travaille au Conservatoire d’espaces naturels (CEN) de Lorraine, en tant qu’animatrice régionale sur les EEE et sur toute la région Grand Est.

Laurence C. : Je suis Laurence Claudel, chargée de mission Espèces protégées à la DREAL Grand Est. J’ai différentes missions en lien avec les espèces protégées principalement, dont par exemple l’instruction de dossiers de dérogation en lien avec les milieux aquatiques. J’interviens sur la thématique des EEE, notamment le pilotage de la stratégie régionale pour le compte de la DREAL.

Camille Gunder (gauche) – Laurence Claudel (droite)

Pouvez-vous présenter en quelques mots le réseau EEE en Grand Est et sa structuration ?

LC : Au début, nous sommes partis d’un constat partagé avec plusieurs structures, qu’il y avait beaucoup de questions sur le « comment faire ». Pour la DREAL, c’étaient par exemple des questions sur l’application des règlementations et la mise en place de la déclinaison de la stratégie nationale relatives aux EEE (publiée en 2017), pour laquelle les DREAL s’étaient vu confier la tâche par le ministère. Pour avoir une vision claire de ce qui existait déjà en Région et les besoins locaux, le Cerema s’est proposé de faire une enquête auprès d’un grand panel d’acteurs. Finalement, le pilotage de cette étude nous a conduit à créer un premier réseau, qui a préfiguré ce qu’est aujourd’hui le comité technique du réseau EEE en Grand Est.
Fin 2018, une grande journée technique de restitution a été organisée, et c’est au cours de cette rencontre que nous avons posé les bases à la fois de l’animation et de la stratégie régionale. L’objectif de la stratégie était tout d’abord de répondre aux besoins identifiés dans l’enquête du Cerema, et nous partions aussi du principe qu’aucune structure à elle seule, n’avait vraiment les moyens de porter cette stratégie et que pour avancer, il nous fallait alors mutualiser nos moyens et organiser une animation entre ces structures. C’est donc ce que nous faisons depuis maintenant 4 ans.

CG : Pour le coup, nous nous organisons toujours par ex-régions. Je vais principalement collaborer avec le Conservatoire botanique (CB) de Lorraine, avec qui j’organise des interventions sur le territoire de l’ex-région Lorraine ; et tout ce qui se passe en Alsace, ce seront le CEN Alsace et le Conservatoire botanique alsacien qui s’organiseront entre eux, pareil pour la Champagne-Ardenne. C’est un premier niveau de structuration où chacun s’organise sur son territoire. En revanche, au niveau du pilotage et de la coordination pour la région, c’est quasiment exclusivement à travers mon poste d’animatrice régionale que les échanges se font, sauf cas exceptionnel.

Qui sont vos partenaires ? Avec quels organismes travaillez-vous le plus souvent ?

CG : Dès 2018, il a été mis en place un comité technique qui rassemble toute une diversité de structures, comme les trois CEN, les trois CB régionaux, l’OFB, l’Université de Strasbourg, la FREDON et la Fédération des CEN. Nous sommes également soutenus financièrement et techniquement par la DREAL, l’Agence de l’eau Rhin-Meuse et la Région. Au cas par cas, nous travaillons ponctuellement sur le terrain avec beaucoup d’autres acteurs, comme les fédérations départementales de pêche ou de chasse par exemple.

LC : De mon côté, les partenaires sont sensiblement les mêmes, avec bien entendu, des échanges prioritaires avec le CEN Lorraine et les deux autres CEN, qui déclinent l’animation sur leur territoire. En plus, j’ajouterais les autres services de l’état, notamment sur les aspects règlementaires.

Êtes-vous en relation avec d’autres coordinations régionales ?

LC : Bien sûr, nous avons eu beaucoup d’échanges avec le niveau national, notamment François Delaquaize du Ministère de la transition écologique, ainsi que le CDR EEE qui venait de se constituer et la Fédération des CEN (FCEN). Ensemble, nous avions identifié deux points qui nous semblaient importants. Nous souhaitions qu’il y ait une animation qui s’intéresse à l’ensemble de la région (nouvellement formée) et qui puisse traiter à la fois de la faune et de la flore. Ce n’était donc pas forcément évident de trouver une structure pour travailler sur un territoire aussi grand, mais très vite, notre choix s’est porté sur le réseau des CEN, surtout que la FCEN apportait un appui et des retours d’expérience non-négligeables sur ce qui avait déjà été démarré par ailleurs, et nous avons donc sollicité en premier le CEN qui était au milieu, c’est-à-dire, celui de Lorraine. Ils ont accepté la mission et nous ont aidé à construire la journée technique de 2018.

CG : Évidemment, avec les co-animateurs du Grand Est, nous nous contactons très régulièrement et nous concertons dans la prise de décisions relative à l’animation. En dehors de la région, mes relations avec les autres coordinations sont plus rares et ponctuelles. C’est en projet, mais nous souhaiterions créer plus de contacts avec les régions frontalières et pourquoi pas les pays frontaliers, pour au moins qu’il y ait un dialogue. A voir si après nous réussissons à mettre quelque chose en place de régulier, au moins pour l’échange d’informations.

Journée technique de restitution © DREAL Grand Est, 2018

Existe-t-il une stratégie régionale, et comment êtes-vous impliquées dans celle-ci ?

LC : Oui, tout à fait. Les grands axes de la stratégie avaient été définis en 2018, et nous l’avions conçue comme une déclinaison de la Stratégie nationale. Le document est disponible sur le site de la DREAL. Cette stratégie ne reprend pas tous les thèmes mais ceux qui nous paraissaient les plus importants à décliner à notre échelle.

CG : Au CEN, un plan d’action régional est en cours de constitution. Il retrace l’animation depuis 2019 et va s’étendre jusqu’en 2024. C’est un document qui est en cours de validation, et nous ne l’avons pas encore soumis aux autres partenaires. Il est possible qu’il continue d’évoluer.

LC : Pour préciser, la stratégie régionale qui a été écrite en 2018 n’était pas déclinée en plan d’actions mais définissait déjà plusieurs priorités, dont l’établissement de listes. Avant de faire un plan d’action, nous souhaitions d’abord savoir ce qu’on était capable de faire collectivement avec une animation régionale. Chaque année, collectivement, le comité technique prépare un plan d’action pour l’année, qui s’inscrit dans les actions de la stratégie.

En parlant d’espèces, avez-vous des listes régionales et qui les réalise ?

CG : Ce sont les conservatoires botaniques du Grand Est qui ont réalisé la liste catégorisée pour la flore, qui a été publiée en 2020. Cette liste a été réalisée en suivant le protocole de l’EPPO et catégorise les espèces présentes selon si elles sont émergentes, implantées, etc. Ensuite, grâce à cette liste, nous avons effectué un travail de priorisation de ces catégories, pour identifier celles pour lesquelles nous devions intervenir prioritairement. En Grand Est, la stratégie c’est d’intervenir en premier lieu sur les émergentes et celles qui peuvent impacter un milieu d’intérêt patrimonial. Les actions sont ainsi hiérarchisées en fonction de chaque priorité définie : il s’agit donc d’une seconde liste, qui sert uniquement à l’animation (elle n’est pas publiée) et qui est constamment modifiée au fil des réunions de suivi avec les conservatoires botaniques.

Pour la faune, c’est mon collègue David Demergès qui a réalisé la liste avec la méthode dite ISEIA (Invasive Spacies Environmental Impact Assessment). Nous avons ensuite fait le même travail que pour la liste flore, afin de catégoriser chaque espèce et les hiérarchiser. C’est un peu plus particulier pour la faune, et nous avons dû interroger les experts régionaux de chaque taxon (insectes, mammifère, etc.) afin de produire une liste à dire d’experts. Elle n’est pas encore publiée et est en cours de validation.
Nous avons aussi rédigé un document pour expliquer la méthode de hiérarchisation que nous utilisons. Celui-ci devrait être publié prochainement.

Quelles sont les EEE sur lesquelles vous êtes actuellement les plus sollicités ?

CG : L’espèce phare, vraiment pour nous, c’est la jussie. L’animation, priorise bien cette espèce. La plupart de nos interventions la concerne. Elle est encore considérée comme émergente sur notre territoire, et c’est pour cela que nous la priorisons dans le cadre de notre animation. Nous avions 14 stations identifiées dont 6 sont déclarées comme éradiquées en 2020 donc nous travaillons encore sur 8 stations, et 2 font l’objet de suivis. Pour l’instant nous arrivons à contenir l’espèce.

LC : De mon côté, je reçois encore beaucoup de questions assez basiques, qui vont concerner des espèces largement répandues et leurs méthodes de lutte, comme les renouées du Japon, pour lesquelles je renvoie sur les fiches du CDR EEE.  J’ai aussi des questions plus pointues notamment pour des dossiers qui nécessitent une procédure règlementaire, avec consultation du CRSPN, ou des actions de lutte qui peuvent avoir des impacts sur les espèces protégées.

Si vous aviez la possibilité de faire disparaître de votre région une population d’EEE, laquelle serait-ce et pourquoi ?

LC : La Grenouille taureau (Lithobates catesbeianus), pour laquelle nous avons une seule mention en Grand Est et l’espoir qu’une intervention coordonnée permettra l’éradication. C’est aussi l’occasion de tester le réseau « détection précoce, réaction rapide », avec toute la chaine de décisions organisationnelle et règlementaire.

Sur quel(s) projet(s) travaillez-vous actuellement et quels sont les projets à venir pour les prochains mois ?

CG : Nous avons un gros projet pour la fin de l’année, c’est d’organiser un nouveau séminaire régional en octobre. Il réunira tous les acteurs régionaux et nous permettra de présenter notre plan d’actions, qui d’ici là sera validé. Cela nous prend pas mal de temps, puis après ça, nous aimerions décliner ce séminaire en plus petites et plus locales réunions techniques, à l’échelle départementale. Ce sera l’occasion d’échanger sur des cas plus concrets de stations et d’interventions, et de mieux se faire connaitre et discuter avec les partenaires territoriaux.

Comment décririez-vous votre réseau en un mot ?

CG : Quand on parle de réseau, je pense à notre comité technique mais finalement le réseau va plus loin et englobe tous les acteurs locaux. J’avais pensé à l’adjectif « complémentaire », car on retrouve un peu de tout dans ce réseau et au final, ça s’imbrique bien.

LC : Les termes partenarial, collectif ou « en cours de structuration » pourraient également s’y prêter. Ou bien, « vivant », c’est un réseau vivant.

Rencontrez-vous des difficultés ou des contraintes sur certaines thématiques ?

LC : La plus grosse contrainte, c’est celle du financement. Pour l’animation, nous la cofinançons avec l’agence de l’eau Rhin Meuse et la Région Grand Est. Et le travail réalisé depuis 3 ans montre à quel point cela nous a permis d’être plus efficace, ne serait-ce que pour définir des priorités d’intervention. Nous aimerions bien maintenant pouvoir consacrer aussi un peu de moyens à la construction d’un réseau de détection précoce et d’interventions rapides.

CG : Une remarque qui nous revient souvent, et qui, je le pense, va présenter une difficulté pour nous, c’est d’expliquer pourquoi nous intervenons sur les populations émergentes et non les espèces répandues : en ciblant les émergentes cela veut aussi dire des espèces moins connues et plus difficiles à identifier. Il va donc nous falloir bien expliquer notre stratégie.

Pour finir, quel est l’aspect de votre travail que vous appréciez le plus ?

CG : Pour ma part, ce sont les échanges. Nous avons beaucoup d’échanges, avec plein de personnes différentes et de métiers différents, et on se rend compte que tout le monde est concerné. C’est toujours très intéressant. C’est un métier où l’on touche un peu à tout quelque part, et c’est toujours sympa d’agir sur plusieurs tableaux.

LC : Les EEE sont un tout petit morceau de mes missions, mais ce sont des missions très variées avec finalement un point commun : celui de la préservation de la biodiversité et rien que pour ça, c’est formidable de travailler sur ces sujets. Le travail d’équipe me plait aussi beaucoup.

 

Lien et ressources à partager :

Portail d’information sur les EEE en Grand Est : https://www.eee-grandest.fr/

Site internet de la DREAL Grand Est : https://www.grand-est.developpement-durable.gouv.fr/especes-exotiques-envahissantes-r214.html

 

Rédaction : Cet entretien a été mené le 13 avril 2022, en présence de Madeleine Freudenreich (Comité français de l’UICN), Camille Gunder (CEN Lorraine) et Laurence Claudel (DREAL Grand Est).

Recent Posts
Contact us

For any information, do not hesitate to contact us. We will come back to you as soon as possible. The IAS resource center implementation team.

Not readable? Change text. captcha txt
0
X