InvaPact, un projet de recherche original abordé de manière originale

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L’identification, la quantification et la communication des impacts causés par les invasions biologiques constituent un défi de taille. Malgré l’importance et l’omniprésence des invasions biologiques, notre compréhension de leurs impacts écologiques reste limitée, principalement en raison de leurs types très vastes et hétérogènes, qui empêchent toute généralisation. Il est manifestement nécessaire de mettre au point de meilleures méthodes pour évaluer ces impacts écologiques et comprendre les mécanismes qui les déterminent. Ces informations sont essentielles pour une gestion et un contrôle efficaces des espèces envahissantes, ainsi que pour la conservation de la biodiversité indigène et des services écosystémiques. Elles sont également essentielles à des fins de communication, car la diversité et la variété des types d’impacts empêchent de bien comprendre, de sensibiliser et de soutenir les invasions biologiques en tant que facteur majeur de dégradation de l’environnement à l’échelle mondiale.

 

L’unification des impacts écologiques  : une tâche ambitieuse mais essentielle

L’unification des différents types d’impacts en une seule mesure permettrait non seulement de construire un cadre solide qui conduirait à une meilleure compréhension et à une meilleure prise de conscience des invasions biologiques, mais aussi de quantifier les impacts et donc de permettre des compilations et des comparaisons entre les régions, les groupes taxonomiques, les secteurs impactés et le temps. Bien qu’il s’agisse d’une panacée conceptuelle, cette métrique unificatrice a toutefois été un Saint Graal qui s’est avéré impossible à atteindre jusqu’à présent pour des raisons assez évidentes. Il semble tout simplement impossible de comparer le déclin ou la perte de populations locales à la perturbation des services écosystémiques, au changement de la qualité physique de l’eau ou du sol, ou à la dégradation de l’habitat. Malgré les cadres existants permettant de quantifier la gravité de certains impacts, nous ne parvenons toujours pas à atteindre cet objectif. La résolution de ce problème épineux, bien qu’apparemment irréalisable, révolutionnerait tout simplement la biologie des invasions.

Dans ce cadre, nous avons décidé de tenter le tout pour le tout, et d’organiser un workshop un peu particulier avec pour objectif ambitieux, voire un peu fou, d’obtenir cette mesure quantitative unique des impacts écologiques, pertinente pour l’ensemble des types d’impacts existants, et si possible mesurée (ou estimée) à l’aide d’une unité unique et unificatrice. Cet objectif était très risqué (ce n’est pas pour rien qu’on n’a pas réussi jusqu’ici), mais aussi très excitant, car il pouvait révolutionner la façon dont nous comprenons et gérons les invasions biologiques.

 

InvaPact, un projet innovant, original et collaboratif

Pour s’attaquer à cette tâche particulièrement difficile, nous avons utilisé une approche innovante, combinée à l’état de l’art de la gestion des groupes de réflexion, au cours d’un workshop en plusieurs phases, et avec une sélection de participants bien particulière.

L’atelier s’est déroulé sur une période de neuf jours et a consisté en une combinaison de sessions plénières, de sessions en petits groupes et d’activités pratiques. L’atelier a été organisé de manière à encourager la participation active de tous les participants et à promouvoir la résolution collaborative des problèmes.

 

Première phase : réflexions et construction de méthodes

Au cours de la première phase, nous avons réuni une équipe d’environ 20 scientifiques créatifs ayant des compétences et expertises variées, dont la plupart n’appartiennent pas au domaine de la biologie des invasions, afin de trouver des moyens novateurs de normaliser tous les types d’impacts en une seule mesure.

Exemple d’un atelier visant à étudier les liens entre les différents types d’impacts écologiques

L’accent a été mis sur des scientifiques atypiques en ce qu’ils pensaient « outside the box », qui avaient l’habitude de traiter des questions diverses, souvent interdisciplinaires, autrement dit, les petits génies qui se cachent dans quelques universités sur les cinq continents. L’idée était de réunir ces penseurs créatifs dans un endroit isolé – une bulle de réflexion – pendant plusieurs jours, en travaillant en séances dirigées sur un sujet sur lequel ils pouvaient jeter un nouvel éclairage, éventuellement sous des angles non conventionnels, guidés par quelques experts de la biologie des invasions pour rester réalistes ou répondre aux questions.

À travers une série de sessions interactives, les participants (tous très enthousiastes quand on leur a dit qu’ils étaient là pour trouver l’introuvable) ont été invités à faire preuve de créativité et à sortir des sentiers battus en prenant le problème sous plusieurs angles inattendus.

Nous avons ensuite organisé des séances de travail plénières avec une mise en œuvre itérative entre les groupes afin de sélectionner de manière consensuelle le meilleur projet à affiner ensemble. Ce groupe était composé d’esprits novateurs de différents domaines tels que l’écologie des systèmes, l’analyse des réseaux, la modélisation écologique, l’intelligence artificielle, les structures de données, l’informatique mathématique, l’apprentissage automatique, la macro-écologie, l’écologie des maladies ou des disciplines dont je ne comprenais même pas l’intitulé. Il y avait également un physicien théorique, une biogéoocéanographe, un macroéconomiste de l’environnement et les rédacteurs en chef de plusieurs grandes revues d’écologie. Le processus de sélection a permis d’assurer une représentation équilibrée de l’expertise de différentes régions géographiques et des genres.

La deuxième partie de l’atelier s’est déroulée dans le même cadre, juste après ces quatre premiers jours, avec des biologistes des invasions, plus jeunes mais tout aussi brillants, spécialisés dans l’analyse de données, afin d’appliquer de manière concrète à des études de cas réelles la mesure d’impact conçue précédemment. Une journée supplémentaire a été organisée entre les deux ateliers avec plusieurs penseurs créatifs du 1e groupe et plusieurs experts du 2nd groupe afin que le système conçu puisse être clairement présenté et expliqué. Un groupe de sept personnes de notre équipe était présent pendant une partie ou la totalité des trois périodes.

 

Deuxième phase : application des méthodes sélectionnées

Cette 2ème partie a donc été réalisée avec une vingtaine d’experts en biologie des invasions, dont la plupart ont déjà travaillé avec nous dans le cadre d’un projet précédent : InvaCost. Il s’agissait de scientifiques motivé·es et efficaces qui ont de grandes compétences en écologie quantitatives et pouvaient effectuer à la fois du datamining, du codage, et une large gamme d’analyses statistiques de grands jeux de données. Ce 2ème groupe a également été sélectionné pour comprendre des experts des invasions de différents habitats par différents groupes taxonomiques. Nous nous sommes concentrés sur les chercheurs et chercheuses en début de carrière et nous nous sommes efforcés d’équilibrer la représentation géographique et la représentation des genres. Ce projet interdisciplinaire unique, qui a réuni des leaders mondiaux dans leurs propres disciplines et des scientifiques en début de carrière dans le domaine des invasions biologiques, a collectivement donné lieu à un large éventail d’idées novatrices.

À l’aide de diverses techniques spécifiques, allant de la réflexion individuelle à la réflexion collective, en passant par les groupes de discussion de différentes tailles, la présentation rapide des idées par les participants, le vote de groupe et la discussion dans un cadre informel, ces idées ont été réduites à deux cadres distincts au cours de la première partie de l’atelier et à un cadre unique au cours de la deuxième partie, qui a été adopté par tous les participants. Les participants ont été enthousiasmés par les résultats du workshop et par les diverses possibilités de collaboration et d’application des cadres. Ils se sont engagés à les développer et à les tester dans les mois à venir, et à préparer des manuscrits pour les publier.

 

Conclusions du workshop et poursuite du projet

Le workshop a donc été un grand succès. Nous y avons conçu non pas une métrique, mais deux : une métrique permettant de quantifier l’amplitude de n’importe quelle invasion dans n’importe quel écosystème, et une métrique permettant d’en quantifier l’impact. Nous sommes depuis dans une phase de travail pour appliquer cette métrique à des cas concrets, développer une Intelligence Artificielle pour extraire automatiquement les impacts déjà étudiés de par le monde (il existe des dizaines de milliers d’études publiées), afin de construire et alimenter une large base de donnée – InvaPact – sur ces impacts, leur quantification, et la possibilité de leur compilation, comparaison, extrapolation, par type, par espèce, par région, par habitat, etc. Lorsque ce travail sera terminé, dans 4 à 5 ans nous l’espérons, nous organiserons un congrès international ouvert aux scientifiques et gestionnaires de la biodiversité, pour partager la base de données, l’outil de standardisation et les programmes d’utilisation, d’analyse et d’interprétation. Ainsi, chacun pourra utiliser InvaPact pour l’espèce dont il ou elle est expert·e, la zone sur laquelle il ou elle travaille, ou les questions qu’il ou elle souhaite aborder de manière plus quantitative.

Ce workshop a été financé grâce à un soutien de la Chaire de Biologie des Invasions AXA Fond pour la Recherche, et le projet InvaPact est financé en partie par l’OFB, et en partie par le prochain mécène que nous n’avons pas encore identifié…

Nous espérons que ce projet original, débloqué grâce au workshop tout aussi original que nous avons exposé ici, servira concrètement à un outil de recherche et de gestion adopté par et utile à l’ensemble de la communauté sur l’étude et la protection de la biodiversité.

 

Rédaction : Franck Courchamp (CNRS, Université Paris-Saclay)
Relecture : Camille Bernery (Comité français de l’UICN)

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