Le Poisson-lion, ou Rascasse volante (Pterois miles) est une espèce marine originaire de la mer Rouge et de l’Océan Indien, de la famille des Scorpaenidés. Mesurant en moyenne 26 cm de long, ce poisson venimeux présente sur son corps une alternance de bandes verticales claires et foncées, ainsi que de nombreux appendices pointus pourvus d’une glande à venin, qui peuvent rappeler la crinière d’un lion.
Les habitats d’origine de ce poisson sont très variés et associés aux lagons et aux pentes rocheuses, mais aussi aux mangroves, aux estuaires et aux eaux troubles. On le retrouve également sur des fonds sableux ou rocheux littoraux.
Concernant les eaux françaises, P. miles est naturellement présent à Mayotte, aux îles éparses et à La Réunion (voir INPN).
Histoire d’une expansion
En Méditerranée
Pterois miles est une espèce dite lessepsienne, qui a profité de l’ouverture du canal de Suez en 1869 pour circuler de la mer Rouge vers la Méditerranée de l’Est. Signalé en 1991 en Israël, P. miles n’a pas été revu avant 2012 au Liban. Son extension s’est ensuite poursuivie et l’espèce a été vue à Chypre en 2014, puis en Grèce, en Crête et en Tunisie l’année suivante puis en Sicile, dans la réserve naturelle de Vendicari, en 2016.
Carte de distribution mondiale de P. miles (rouge) et P. volitans (gris) d’après les données GBIF (GBIF.org (24 juin 2020) GBIF Occurrence Download https://doi.org/10.15468/dl.dmkrgv et https://doi.org/10.15468/dl.e7fka4)
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En Atlantique ouest
Pterois miles et l’hybride P. volitans auraient été introduits le long des côtes de Floride dès les années 90. L’origine de l’introduction reste encore incertaine. Il est probable que des spécimens liés au commerce des espèces pour l’aquariophilie aient été relâchés, intentionnellement ou accidentellement, dans la nature (USGS). Une hypothèse d’origine unique en 1992, à la suite de l’échappement de quelques spécimens d’un aquarium endommagé par une tempête dans la baie de Biscayne est également proposée (Schofield, 2009). Cette hypothèse est cependant régulièrement remise en question (USGS).
Les deux espèces sont très proches morphologiquement et la seule façon de les distinguer de manière fiable nécessite de procéder à une analyse génétique. Il semblerait toutefois que l’invasion de la mer des Caraïbes soit surtout imputable à P. volitans et que P. miles se soit limité aux côtes de la Floride, de la Caroline du Nord et des Bermudes (Cerland, 2014). Cependant, l’espèce a récemment été confirmée génétiquement sur la côte Caraïbes du Mexique (Guzmán-Méndez, et al., 2017).
Le changement climatique, avec l’augmentation de la température des eaux de surface, constituent un facteur important pouvant faciliter son futur établissement (voir l’étude de Needleman et al., 2018 sur les effets du changement climatique pour les espèces venimeuses).
Les risques soulevés par cette expansion à grande échelle
Dans l’Atlantique ouest, P. volitans constitue une grave menace pour l’environnement. L’étude des populations de Poisson-lion introduites a montré que leur présence occasionnait d’importants impacts négatifs sur les espèces indigènes, des répercussions écologiques indirectes et des effets économiques sur les activités humaines (Albins et Hixon, 2013).
Dans les récifs des Bahamas, la présence de P. volitans a été responsable d’une réduction de 65 % la biomasse de petits poissons en à peine deux ans (Green et al., 2012). La pression de prédation qu’il exerce sur les poissons locaux peut réduire les effectifs des populations de ses proies, induisant ainsi une compétition avec les prédateurs indigènes du même niveau trophique. Il constitue alors une perturbation supplémentaire des communautés marines locales au sein d’un environnement déjà soumis à des contraintes anthropiques fortes.
Dans les Antilles françaises, le coût de cette invasion est déjà estimé à plus de 10 millions d’euros par an (Binet et Schmidt, 2015), avec des impacts sur les activités humaines telles que la pêche et le tourisme.
Les impacts sont également d’ordre sanitaire en raison du risque de piqûres accidentelles du poisson, qui possède une paire de glandes à venin incorporé à chaque rayon épineux de ses nageoires dorsale, anale et pelviennes. Rarement mortelles, les piqûres n’en restent pas moins très douloureuses. Sur les 40 000 à 50 000 envenimations liées à des poissons marins qui se produisent chaque année dans le monde, les Scorpaenidae seraient les deuxièmes responsables, après les raies (Vetrano, et al., 2002).
L’arrivée de l’espèce du même genre P. miles en Méditerranée soulève donc d’importantes préoccupations au sein de la communauté scientifique, mais également auprès des pêcheurs, des gestionnaires d’aires marines protégées et des plongeurs méditerranéens.
Une ligne de défense sentinelle en Méditerranée
La présence de P. miles en Méditerranée Orientale est très récente (Bariche et al., 2013). Les écosystèmes côtiers de Chypre, près du canal de Suez, constituent les premières eaux méditerranéennes où P. miles s’est implanté durablement (Kletou et al., 2016). En raison des populations de plus en plus importantes sur les côtes chypriotes, le projet européen RELIONMED-LIFE (Preventing a LIONfish invasion in the MED Mediterranean through early response and Target REmoval) vise à faire de Chypre la « première ligne de défense » contre l’invasion du Poisson-lion en Méditerranée, en profitant de sa localisation sentinelle pour développer un système d’alerte précoce et de réponse rapide des bio-invasions marines.
Financé par le programme européen de protection de la biodiversité LIFE, il est coordonné par le centre de recherches environnementales Enalia Physise et l’Université de Chypre. Ce projet, d’une durée de quatre ans, a débuté en 2017 et tente également d’établir une réponse coordonnée pour répondre au problème transfrontalier des EEE. Faisant appel aux sciences participatives et mobilisant plusieurs parties prenantes, RELIONMED a pour objectif de développer les capacités et les outils de prévention et de gestion de P. miles en particulier dans les habitats jugés prioritaires.
Biologie et écologie de P. miles sur les côtes de Chypre
Pour communiquer sur les conséquences de l’arrivée de P. miles en Méditerranée, Ioannis Savva et ses collègues ont publié en avril 2020 un article scientifique dans la revue Journal of Fish Biology afin de présenter les premiers résultats du projet RELIONMED et renforcer les connaissances disponibles sur la présence et la biologie de ce poisson en Méditerranée orientale.
Cette étude décrit la biologie et l’écologie de P. miles dans son milieu d’introduction, en examinant sa morphométrie, sa reproduction et son régime alimentaire ainsi que la structure et la répartition de ses populations.
- Une reproduction tout au long de l’année et une maturité précoce
En Méditerranée, l’étude des organes reproducteurs des individus prélevés le long des côtes chypriotes a montré que les mâles et les femelles y étaient capables de frayer tout au long de l’année, avec un pic de reproduction majeur à l’été, qui coïncide avec le réchauffement de l’eau de mer pendant la période estivale. Des signes de frai, indiquant la maturité sexuelle du poisson, ont été observés sur des individus de petites tailles, dès 16,3 cm de long, et dont l’âge a été estimé à seulement 1 an.
Contrairement au sexe-ratio de 1:1 rapporté en Atlantique ouest, le nombre d’individus femelles est généralement plus élevé que celui des mâles dans la population méditerranéenne. Un mâle pouvant s’accoupler avec plusieurs femelles, les scientifiques s’inquiètent de l’hypothèse d’une croissance rapide de la population, avec un boom démographique plus rapide que dans la population atlantique.
- Une population florissante
Pterois miles se propage rapidement en Méditerranée, où il forme de grandes agrégations et atteint une taille corporelle plus grande et des taux de croissance plus rapides que ceux observés dans l’océan Indien d’où ils ont migré.
La présence de juvéniles et d’adultes tout au long de la période d’échantillonnage, combinée à des observations et une abondance plus importante chaque année, suggère que la population est bien établie et prospère dans ces eaux. Observé pour la première fois en 2012, le Poisson-lion est actuellement retrouvé sur 63 % des côtes de l’île.
- Une menace pour les poissons et crustacés locaux
Les Poissons-lion sont des prédateurs de poissons et de crustacés, qu’ils chassent principalement de nuit. Ces poissons ont un régime alimentaire généraliste, expliquant en partie leur succès invasif. Une caractéristique assez spécifique aux rascasses volantes par rapport aux autres mésoprédateurs est qu’elles peuvent survivre durant de longues périodes de jeûne (Fishelson, 1997).
A Chypre, le régime alimentaire de P. miles a été trouvé similaire à celui d’autres études sur les populations de Poisson-lion (ex. Sandel et al., 2015) et consiste principalement en une gamme de téléostéens et de crustacés. Les catégories de proies retrouvées dans l’estomac des poissons capturés dans le cadre de l’étude se composent principalement d’espèces indigènes, dont l’une, bien que commune en Méditerranée, n’avait encore jamais été signalée auparavant à Chypre : la crevette Stenopus spinosus.
Parmi les principales proies de P. miles en Méditerranée, l’étude identifie plusieurs espèces importantes en termes de valeur socio-économique (par exemple les poissons Spicara smaris et Sparisoma cretense) mais aussi des espèces présentant une valeur écologique comme la Castagnole (Chromis chromis), qui constitue une proie importante pour les mésoprédateurs natifs.
Perspectives de valorisation du programme RELIONMED
En plus de ses actions de surveillance et de sensibilisation, le projet RELIONMED a également pour objectif d’explorer la valorisation socio-économique locale de P. miles en s’inspirant notamment des démarches existantes dans les Caraïbes et aux États-Unis. Le projet cherchera à évaluer la demande locale et encouragera le développement de filières locales (restauration, artisanat) pour créer de nouvelles sources de revenus pour la population chypriote, tout en évaluant la viabilité de ce modèle d’exploitation commerciale (voir Action 3C du projet).
Il existe, dans le monde, de nombreux projets de création de filières d’exploitation commerciale d’EEE avec une approche présentée comme gagnante-gagnante (pour l’environnement et pour les filières économiques). Cependant, ce type de méthode de régulation des populations d’EEE est régulièrement questionné : efficacité environnementale réelle non démontrée, risques de dérives, etc. (UICN, 2018).
Au-delà des questionnements relatifs à l’efficacité réelle de cette valorisation commerciale sur les populations de P. miles, la consommation du Poisson-lion peut soulever certaines préoccupations sanitaires. Dans les Antilles françaises, des risques liés à la présence de ciguatoxine et de chlordécone dans la chair de P. volitans a été mis en avant, car pouvant provoquer une intoxication alimentaire importante chez le consommateur (Rolland et Kulbicki, 2017). La ciguatoxine est produite par des microalgues benthiques des récifs coralliens (Gambierdiscus toxicus) dont se nourrissent les poissons herbivores ensuite prédatés par le Poisson-lion. La présence de cette algue ne concerne cependant pas la Méditerranée. Toutefois, par sa position au sommet de la chaîne trophique, le Poisson-lion est susceptible d’accumuler des toxines dans ses chairs (par bioaccumulation).
Dans les Antilles françaises, le risque ciguatérique fait l’objet d’une première analyse qui a conclu à un risque pour la santé à Saint-Barthélemy et à la nécessité d’analyses complémentaires pour Saint-Martin (Soliño et al., 2015). Par mesure de précaution, la commercialisation du Poisson-lion a été interdite dans les deux territoires (Observatoire du milieu marin de Martinique, 2017). Cette toxicité concerne cependant tous les poissons et le Poisson-lion n’est pas plus susceptible d’être contaminé qu’une autre espèce.
Pour conclure…
La maturité sexuelle précoce, les taux de croissance élevés, le régime alimentaire généraliste et la reproduction tout au long de l’année indiquent que P. miles présente des populations dynamiques et dorénavant bien établies sur les côtes chypriotes. Si l’éradication du Poisson-lion est difficilement envisageable lorsque l’espèce est bien implantée, l’équipe de RELIONMED appelle à la mise en place de mesures de gestion coordonnées et à une collaboration régionale des acteurs. Le projet mobilise déjà de nombreux acteurs, notamment pour la collecte des données grâce à l’appui des sciences participatives.
Il est prévu que d’ici la fin du projet, les plongeurs les plus actifs et leurs réseaux contribuent activement à la surveillance et à l’élimination du Poisson-lion à Chypre, tandis que plus de 300 autres parties prenantes (par exemple, pêcheurs, ONG, plongeurs) seront sensibilisés aux impacts liés à sa présence (Kleitou et al., 2019). Des formations, séminaires et ateliers seront également proposés aux autres pays méditerranéens confrontés à la présence de P. miles (notamment en Grèce, au Liban et en Israël) afin de transférer les connaissances et les outils développés par le projet européen.
La présence de cette espèce dans les eaux françaises de Méditerranée témoigne de la nécessité de mettre en place des mesures de biosécurité dans le canal de Suez, qui constitue l’une des principales voies empruntées par les EEE pour atteindre le bassin méditerranéen, mais également des mesures axées sur le commerce des poissons d’élevage et le traitement des eaux de ballast.
Afin de limiter l’expansion du Poisson-lion, il est nécessaire de renforcer les réseaux d’acteurs à même de faire remonter les éventuels premiers signalements. La sensibilisation des parties prenantes sur les EEE marines, l’élaboration de retours d’expériences de gestion à partir des projets chypriotes ou caribéens et la coordination d’une réponse à l’échelle de la façade sont autant d’éléments à développer rapidement afin que nous soyons « prêts » s’il advient que cette espèce soit signalée sur nos côtes.
Vous pensez avoir vu un Poisson-lion ? Pour prévenir l’installation de cette nouvelle espèce sur nos côtes, les observations de Poisson-lion en Méditerranée peuvent être remontées sur les programmes participatifs BIOLIT (action : nouveaux arrivants) et INPN Espèce, ou directement en contactant Coraline Jabouin, chargée de mission du centre de ressources « milieux marins et littoraux » à l’Office français de la Biodiversité et Cécile Massé, responsable thématique et responsable de surveillance DCSMM “espèces non indigènes” chez l’UMS 2006 Patrimoine Naturel.
Rédaction : Madeleine Freudenreich, Comité français de l’UICN
Relectures : Coraline Jabouin (OFB), Cécile Massé (UMS PatriNat), Emmanuelle Sarat et Yohann Soubeyran (Comité français de l’UICN)
Référence de l’étude : Savva, I., Chartosia, N., Antoniou, C., Kleitou, P., Georgiou, A., Stern, N., … & Kletou, D. (2020). They are here to stay: the biology and ecology of lionfish (Pterois miles) in the Mediterranean Sea. Journal of Fish Biology.
Site internet du projet Life RELIONMED : https://relionmed.eu/
Autres sources :
- Albins, M. & Hixon, M. 2013. Worst case scenario: potential long-term effects of invasive predatory lionfish (Pterois volitans) on Atlantic and Caribbean coral-reef communities. Environmental Biology of Fishes, 96:1151-1157.
- Bariche, M., Torres, M., & Azzurro, E. 2013. The presence of the invasive Lionfish Pterois miles in the Mediterranean Sea. Mediterranean Marine Science, 14(2), 292-294.
- Cerland L. 2014. Analyse de l’incidence et des caractéristiques cliniques de l’envenimation par le poisson-lion en Martinique. Thèse de Doctorat de Médecine, Université des Antilles et de la Guyane, p. 118.
- Fishelson L. 1997. Experiments and observations on food consumption, growth and starvation in Dendrochirus brachypterus and Pterois volitans (Pteroinae, Scorpaenidae). Environmental Biology of Fishes 50: 391–403.
- Green, S., Akins, J., Maljkovi, A., Côté, I., 2012. Invasive lionfish drive Atlantic coral reef fish declines. PLoS One 7:e32596
- Guzmán-Méndez, I. A., Rivera-Madrid, R., Díaz-Jaimes, P., García-Rivas, M. D. C., Aguilar-Espinosa, M., & Arias-González, J. E. 2017. First genetically confirmed record of the invasive devil firefish Pterois miles (Bennett, 1828) in the Mexican Caribbean. BioInvasions Rec, 6, 99-103.
- Kletou, D., Hall-Spencer, J. M., & Kleitou, P. 2016. A lionfish (Pterois miles) invasion has begun in the Mediterranean Sea. Marine Biodiversity Records, 9(1), 1-7.
- Needleman, R. K., Neylan, I. P., & Erickson, T. B. 2018. Environmental and Ecological Effects of Climate Change on Venomous Marine and Amphibious Species in the Wilderness. Wilderness & environmental medicine, 29(3), 343-356.
- Observatoire du milieu marin martiniquais. 2017. Stratégie régionale de lutte contre l’invasion du Poisson-lion aux An-tilles françaises. OMMM / DEAL Martinique. https://www.poissonlion-antillesfrancaises.com/
- Rolland, É., & Kulbicki, M. 2015. Poisson-lion ! SCITEP.
- Sandel, V., Martínez-Fernández, D., Wangpraseurt, D., & Sierra, L. 2015. Ecology and management of the invasive lionfish Pterois volitans/miles complex (Perciformes: Scorpaenidae) in southern Costa Rica. Revista de Biología Tropical, 63, 213–221.
- Schofield, P. J. 2009. Geographic extent and chronology of the invasion of non-native lionfish (Pterois volitans and P. miles ) in the Western North Atlantic and Caribbean Sea. Aquatic Invasions, 4(3), 473-479.
- Soliño, L., Widgy, S., Pautonnier, A., Turquet, J., Loeffler, C. R., Flores Quintana, H. A., & Diogène, J. 2015. Prevalence of ciguatoxins in lionfish (Pterois spp.) from Guadeloupe, Saint Martin, and Saint Barthélmy Islands (Caribbean). Toxicon: Official Journal of the International Society on Toxinology, (102) : 62–68. https://doi.org/10.1016/j.toxicon.2015.05.015
- UICN France. 2018. La valorisation socio-économique des espèces exotiques envahissantes établies en milieux naturels : un moyen de régulation adapté ? Première analyse et identification de points de vigilance. France. 84 pages.
- Vetrano, S. J., Lebowitz, J. B., & Marcus, S. 2002. Lionfish envenomation. The Journal of emergency medicine, 23(4), 379-382. https://doi.org/10.1016/S0736-4679(02)00572-3
- Wilcox C.L., Motomura H., Matsunuma M., Bowen B.W. 2018. Phylogeography of lionfishes (Pterois) indicate taxonomic over splitting and hybrid origin of the invasive Pterois volitans. Journal of Heredity 109: 162–175.