Le Sonneur à ventre de feu en France : un point sur la situation dix ans après les premières mentions dans le département de la Moselle

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En 2009, une importante population de Sonneur à ventre de feu, Bombina bombina (Linnaeus, 1760) a été découverte au sein du Pays des Étangs, dans le département de la Moselle (Vacher et Pichenot, 2012). Il s’agissait de la première mention de l’espèce pour la France.

Très proche morphologiquement du Sonneur à ventre jaune (Bombina variegata – espèce encore bien représentée en Lorraine), le Sonneur à ventre de feu semble durablement installé dans la partie ouest du Parc Naturel Régional de Lorraine.

Bombina bombina – JP Vacher, BUFO

Bombina variegata – N. Patier, CEN Lorraine

Origine, répartition et statut dans son aire d’indigénat

Le Sonneur à ventre de feu est largement présent en Europe centrale et Europe de l’Est. Son aire de répartition s’étend du Danemark, du sud de la Suède et du nord de l’Allemagne, aux montagnes russes de l’Oural. Au sud, le Sonneur à ventre de feu est présent dans les plaines inondables du Danube et jusqu’en Turquie, ainsi qu’au niveau des pentes du Nord du Caucase.

Ses stations les plus proches de la France se situent à plus de 500 km de la frontière allemande, à l’est du fleuve de l’Elbe. Espèce de plaine, cet amphibien occupe dans son aire d’indigénat aussi bien des plaines humides, des forêts marécageuses et des ripisylves en plaine ou des bosquets champêtres/ broussailles/ buissons au sein de paysages agricoles et alluviaux (Brand et Feuerriegel, 2004).

Répartition du Sonneur à ventre de feu en Europe. Tiré de Gasc et al. (1997). En rouge, les stations de Moselle.

Si l’espèce semble peu régresser au centre et à l’est de son aire de répartition, il n’en est pas de même à l’ouest. L’espèce est en danger d’extinction en Allemagne et inscrite aux annexes II et IV de la Directive Habitat européenne, au même titre que le Sonneur à ventre jaune. Comme la plupart des amphibiens, la principale cause de régression est la dégradation et la destruction de ses habitats (WWF Deutschland, 2007).

Pourquoi en Moselle ? Quelle voie d’introduction ?

Actuellement deux stations sont connues en Moselle. La plus ancienne se situe au sud-est du département, au sein de plaines agricoles ponctuées de nombreux étangs et de forêts de feuillus et correspond probablement au lieu d’introduction des populations lorraines. Une étude génétique de 2012 a confirmé le caractère allochtone de l’espèce avec pour origine l’Autriche, la Slovaquie et la Hongrie (Vacher et Ursenbacher, 2012 ; Vacher et al., 2020). Elle a également montré que :

  • les individus de B. bombina des deux stations sont génétiquement proches avec un effet « bottleneck » (“goulot d’étranglement”) confirmant une introduction à partir d’une même population d’origine,
  • malgré cet effet « bottleneck», la diversité génétique reste assez élevée, indiquant une introduction initiale de nombreux individus.

Présence du Sonneur à ventre de feu en Lorraine (2011-2018, carrés 2 X 2 km rouges) et du Sonneur à ventre jaune (1968-2018 – carrés 2 X 2 km bleus), Commission Reptiles et Amphibiens, de Lorraine, 2020

Se pose la question des vecteurs de son introduction : la quasi-totalité des sites de présence (et les premières observations) correspond à des bassins de pisciculture reliés les uns aux autres et tous en lien avec le réseau hydrographique du bassin d’un seul cours d’eau. Si l’espèce a depuis colonisé d’autres habitats (mares forestières, marais, ornières), de fortes populations sont toujours présentes dans ces bassins d’alevinage (Aumaître, 2020).

Ces bassins sont souvent bien végétalisés, sans poissons carnassiers et très favorables à plusieurs amphibiens indigènes : Rainette verte, Triton palmé, Triton ponctué, Triton crêté, Grenouille verte…

L’introduction a donc très certainement eu lieu via la pisciculture et les transferts de poissons vivants depuis l’Europe de l’Est vers ce secteur du Pays des Étangs. Cette introduction semble s’être produite sur une assez courte période et ne semble plus aujourd’hui d’actualité. Dans d’autres sous-régions piscicoles en Lorraine, en échanges constants avec ce secteur, l’espèce n’est pas observée.

Les populations sont aujourd’hui importantes (plusieurs milliers d’individus) et les suivis effectués montrent que l’espèce semble progresser (lentement) via le réseau hydrographique, notamment vers l’amont (Aumaître, 2020).

Étang piscicole, habitat préférentiel de l’espèce : Mariana Miranda d’Assuncao (CEN Lorraine)

Exotique oui, mais envahissant ? Et le Sonneur à ventre jaune ?

La présence du Sonneur à ventre de feu en Lorraine est le premier cas connu d’introduction de cette espèce en dehors de son aire d’’origine intra-européenne. Cette espèce n’est pas une EEE règlementée à ce jour en France, d’autant plus que son statut de protection est assez fort dans une partie de l’Union européenne et que son statut de conservation y semble précaire. Se pose toutefois la question de ses impacts en cas de potentiel à colonisation du territoire métropolitain.

Introgression génétique

En effet, le problème principal que pourrait poser cette espèce est sa possible hybridation avec le Sonneur à ventre jaune, autochtone en Lorraine, présent à quelques kilomètres de la principale population de ce nouvel arrivant.

Le Sonneur à ventre de feu pourrait occupe en effet les mêmes habitats (essentiellement des ornières forestières) que le Sonneur à ventre jaune et des cas d’hybridation sont déjà connus et bien documentés dans la zone de sympatrie des deux espèces. Cette zone d’hybridation « naturelle » occupe une ligne irrégulière traversant le bassin versant du Danube, les Carpathes et les abords de la Mer Noire, et partant de la Slovénie à l’ouest jusqu’en Ukraine à l’est (Gollmann et al., 2011). Le phénomène d’hybridation qui y est observé est relativement complexe et variable selon les régions. Cependant, les hybrides sont viables et se reproduisent, même si leur dispersion est limitée par une combinaison d’autres facteurs, notamment de nature écologique.

Même si l’absence d’introgression génétique (et donc de croisement entre les deux espèces) a été montré en 2012 en Lorraine, il n’en reste pas moins qu’elle reste possible. Il n’existe actuellement aucune preuve scientifique que l’introgression (Szymura & Barton, 1986 ; Szymura, 1993) ait un effet négatif sur la persistance à long terme des populations de Sonneur à ventre jaune mais  elle pourrait toutefois faciliter l’établissement de populations exotiques dans cette nouvelle aire, en permettant de développer rapidement des caractères compétitifs déjà présents chez les populations adaptées localement (voir l’article du CNRS sur la téosinte en Europe).

Transmission de pathogène

Une autre conséquence de cette introduction pourrait être liée à la présence de Batrachochytrium dendrobatidis, champignon vecteur de maladie chez les amphibiens. Des analyses de 2012 ont montré que le Sonneur à ventre de feu était porteur de ce chytride, mais on ne peut néanmoins pas savoir si l’espèce était déjà porteuse du chytride avant son introduction ou si elle a été mise en contact ultérieurement via les amphibiens présents dans les pièces d’eau. B. dendrobatidis avait en effet été détecté en Lorraine sur trois populations d’amphibiens de Lorraine testées en 2011. Les prévalences de deux des espèces testées (Pelophylax kl. esculentus et B. variegata) étaient de deux à trois individus sur 30, soit un taux proche de celui observé chez B. bombina en Moselle en 2012 (Lambrey, 2012).

Son impact sur les autres amphibiens ne semble pas aujourd’hui significatif mais il n’est pas connu sur les autres compartiments biologiques (entomofaune, invertébrés…).

En conclusion…

Il s’agit maintenant de déterminer quelles actions de gestion devraient être mises en œuvre sur les populations de cette espèce exotique en Lorraine, pour l’instant les seules mentionnées en France :  définir une stratégie d’intervention, ou de non-intervention, en intégrant :

  • les connaissances actuelles sur l’espèce et les besoins éventuels de compléments de connaissances,
  • l’évaluation du degré d’urgence et de menace sur le Sonneur à ventre jaune et plus généralement sur la biodiversité des habitats colonisés et les processus écologiques induits ou modifiés par cette espèce,
  • les possibilités d’extension à d’autres territoires de cette espèce via la dispersion naturelle (?) et les transports de poissons,
  • les aspects réglementaires relatifs aux espèces exotiques envahissantes.

Cette stratégie devra s’inscrire dans deux cadres en cours de révision:

  • le Plan national d’actions sur le Sonneur à ventre jaune et sa déclinaison régionale Grand Est,
  • la Stratégie EEE du Ministère et sa déclinaison en Grand Est (http://eee-grandest.fr).

 

Des aspects éthiques vis-à-vis d’éventuels projets de réduction d’effectifs ou de destruction directe d’individus doivent également être pris en considération. La destruction volontaire d’animaux vivants ne va pas de soi et doit être dument justifiée. Comme cette espèce est protégée dans son aire naturelle de répartition, en régression dans ses marges ouest et a bénéficié de plusieurs programmes de protection en Allemagne et de réintroduction en Suède, des projets de transfert des individus présents en Moselle pour renforcer des populations du centre de l’Europe pourraient également être une solution à mettre en œuvre. Pour ce faire, une coopération internationale serait nécessaire.

 

Rédaction : Damien Aumaitre, Conservatoire d’Espaces Naturels de Lorraine

Relecture : Madeleine Freudenreich, Comité français de l’UICN et Alain Dutartre, expert indépendant

 

Références :

  • Aumaître D. (2020) : Le Sonneur à ventre de feu Bombina bombina (Linnaeus, 1760) en Lorraine : historique, synthèse des études et problématique. Conservatoire d’espaces naturels de Lorraine, Commission Reptiles et Amphibiens de Lorraine, DREAL Grand Est, 28 p.
  • Brand I. & Feuerriegel K. (2004) : Artenhilfsprogramm und Rote Liste – Amphibien und Reptilien in Hamburg.
  •  Gasc J.-P., Cabela A., Crnobrnja J., Dolmen A., Grossenbacher K., Haffner P., Lescure J., Martens H., Martinez Rica JP., Maurin H., Oliveira ME, Sofianidou TS., Veith M. & Zuiderwijk (1997) :  Atlas of Amphibians and Reptiles in Europe, Societas Europea Herpetologica & Muséum National d’Histoire Naturelle (IEGB/SPN), Paris, (ed.), 496p.
  • Gollmann G., Gollmann B. & Grossenbacher K. (2011) : Bombina bombina (Linnaeus, 1761). Rotbauchunke pg 269-294. Grossenbacher K.( ed). Handbuch der reptilien und Amphibien Europas, Band 5/I. Froschluche I. Aula verlag.
  • Lambrey J. (2012) : Caractérisation et suivi d’une population d’espèce introduite dans le Parc Naturel Régional de Lorraine : le Sonneur à ventre de feu (Bombina bombina). Rapport de stage de master II, Université de lorraine, Université de Bâle, Parc naturel régional de Lorraine, CEN Lorraine, BUFO, Spy Gen, DREAL Grand Est, 46 p. + annexes.
  • Szymura JM. & Barton NH. (1986) : Genetic analysis of a hybrid zone between the fire-Bellied toads, Bombina bombina and Bombina variegata near Cracow in southern Poland. Evolution 40(6) : 1141-1159.
  •  Szymura JM. (1993) : Analysis of Hybrid zones with Bombina. Pages 261-289. Harrison RG. (ed). Hybrid zones and the Evolutionary process.Oxford University press, New-York.
  • Vacher J.-P. & Pichenot J. (2012) : Bombina bombina (Linnaeus, 1761). Sonneur a ventre de feu. In : Atlas Des Amphibiens et Reptiles de France, pp. 236-237. Lescure J., de Massary, J.C., Eds, Biotope, Meze/MNHN, Paris.
  • Vacher J.-P. (2012) : Structuration et caractérisation génétiques des populations de Sonneur à ventre de feu (Bombina bombina) et de Sonneur à ventre jaune (Bombina variegata) dans le Nord-Est de la France.
  • Vacher J.-P., Ursenbacher S. & Aumaître D. (2020) : Genetic characteristics of an introduced population of Bombina bombina (Linnaeus, 1761) (Amphibia: Bombinatoridae) in Moselle, France. Acta Herpetologica 15(1) : 47-54, 2020.
  • WWF Deutschland (2007) : Rotbauchunke (Bombina bombina) : http://www.wwf.de/fileadmin/fm-wwf/Publikationen-PDF/WWF-Arten-Portraet-Rotbauchunke.pdf.
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