Le Sporobole à fleurs cachées : quelle est cette espèce nouvellement ajoutée à la Liste d’Alerte de l’OEPP ?

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Sporobolus cryptandrus, Montana © Matt Lavin, CC BY SA

L’Organisation Européenne et Méditerranéenne pour la Protection des Plantes (OEPP) est une organisation internationale chargée de la coopération et de l’harmonisation en matière de protection des végétaux dans la région européenne et méditerranéenne. Dans l’objectif d’attirer l’attention de ses pays membres sur certains végétaux et organismes nuisibles, l’OEPP réalise une Liste d’Alerte des organismes ravageurs et des plantes exotiques envahissantes. Les espèces incluses dans la Liste sont sélectionnées par le Secrétariat de l’OEPP ou proposées par les pays membres, car elles peuvent présenter un risque pour la région OEPP. Douze espèces de plantes exotiques envahissantes sont présentes dans cette liste, dont la plupart sont encore absentes de la région OEPP ou y présentent une répartition limitée.

Chaque ajout à la Liste d’Alerte est signalé par un court article dans le Service d’Information de l’OEPP, la dernière espèce en date est Sporobolus cryptandrus A. Gray, 1848, une graminée ornementale originaire d’Amérique du Nord (Canada, Amérique du Nord et Mexique).

 

Présentation de l’espèce : Sporobolus cryptandrus A.Gray, 1848

De son nom vernaculaire « Sporobole à fleurs cachées », le sporobole est une plante monocotylédone de la famille des Poaceae. Dans son aire de répartition d’origine, l’espèce se développe principalement sur les sols sablonneux secs, d’où sont nom anglais de « Sand dropseed ».

Plusieurs éléments sur la distribution et les caractéristiques de cette espèce peuvent être trouvés dans une prépublication de Péter Török et ses collègues (2021).

Morphologie

(D’après EPPO, Utah State University, 2021 et Herbier du Québec)

Le Sporobole à fleurs cachées est une plante herbacée vivace qui mesure à maturité entre 27 et 100 cm de haut. Une touffe dense de poils blancs pouvant mesurer jusqu’à 0,4 cm de long est visible au collet et à la marge de la gaine. Les limbes foliaires mesurent 0,2 à 0,6 cm de large et 7 à 25 cm de long avec une face supérieure dépourvue de poils.

L’inflorescence est une panicule de 15 à 40 cm de long et de 2,4 à 13 cm de large. Initialement contractée et en forme d’épi, l’inflorescence sort de la gaine et, à maturité, prend une forme pyramidale. Les nombreux épillets de 2 à 3 mm contiennent une seule petite fleur brune à violacée.

Figure 1 : (1) Section d’une inflorescence, épillets de 2 à 3 mm de longueur ; (2) Présence de poils longs et denses au collet et à la marge de la gaine ; (3) Face supérieure glabre  du limbe; (4) Rhizomes courts, racines fibreuses (Herbier du Québec)

Dispersion et écologie

Comme la majorité des poacées, S. cryptandrus se dissémine principalement par ses graines, très légères naturellement dispersées par le vent. Les propagules peuvent être disséminées par des sols contaminés ou comme passagères clandestines sur des machines ou équipements usagés. L’épicarpe (la couche externe) des graines devient collant lorsqu’il est mouillé, ce qui, outre le faible poids des graines, contribue à l’efficacité de sa dispersion (Holub & Jehlík, 1987).

Une plante peut produire une grande quantité de graines de petite taille (jusqu’à 10 000 graines par panicule d’après Brown, 1943), pouvant former une banque persistante de semences, facilitant ainsi l’établissement de l’espèce dans de nouvelles zones.

L’espèce est considérée comme faisant partie des communautés végétales climaciques (état d’équilibre ou de quasi-équilibre asymptotique d’un écosystème local) sur les sables profonds, tandis que sur les sols plus lourds, il s’agit d’un colonisateur de succession précoce (Török et al., 2021)

Le métabolisme en C4 du sporobole lui permet une bonne tolérance à la sècheresse, tandis que sa tolérance à l’ombre semble plutôt faible d’après des observations faites en Hongrie (Török et al., 2021). Dans les climats arides et chauds la voie photosynthétique C4 offre de nombreux avantages par rapport à la voie C3, en permettant une fixation du carbone à plus haute température et moins consommatrice en eau, une sensibilité plus faible au stress hydrique et une résistance élevée au feu.

 

Une nouvelle menace pour les zones sablonneuses eurasiennes ?

Nouvellement détectée en Hongrie (Török & Aradi, 2017), S. cryptandrus est signalée dans différents habitats perturbé ou dégradés, notamment des prairies sableuses sèches et ouvertes, des prairies étales dunaires fermées. De grandes populations ont été trouvées le long d’éléments de paysage linéaires artificiels, tels que des bords de routes en terre, des pistes de motocross et des zones tampons d’incendie déneigées (Török et al., 2021). Il est indiqué que l’espèce pénètre également dans les prairies sableuses ouvertes naturelles à partir des habitats perturbés voisins, où elle menace potentiellement des espèces sableuses rares telles que Dianthus diutinus (une espèce de Caryophyllaceae d’intérêt communautaire européen prioritaire endémique de la région biogéographique pannonienne).

Les auteurs de l’étude de 2021 rapportent que l’augmentation de la couverture de S. cryptandrus a entraîné une diminution de la richesse spécifique et de l’abondance des espèces subordonnées à la fois dans la végétation et dans les banques de graines.

Des graines viables de S. cryptandrus ont été détectées dans toutes les couches de sol, de 2,5 à 10 cm de profondeur (Török et al., 2021). L’étude de la banque de graine a montré que l’espèces était capable de former une banque de graines persistante, avec des densités allant de 1 114 à 3 077 graines/m² dans les sites étudiés et des banques de graines ont été détectées dans les peuplements proches sans couverture de l’espèce.

Il est néanmoins observé qu’un établissement en faible abondance de S. cryptandrus peut avoir un effet facilitateur sur la richesse spécifique d’autres espèces à la fois dans la végétation et les banques de graines des prairies, même si cet effet reste plutôt faible (Török et al., 2021). L’explication la plus probable du phénomène pourrait être que l’établissement d’espèces tolérantes à la sécheresse atténuerait également les conditions extrêmes de microclimat de l’habitat sec et facilite ainsi l’établissement et la survie des autres.

L’effet facilitateur des plantes vivaces dominantes se produit principalement par l’amélioration de la germination et de l’établissement précoce d’espèces subordonnées. Cependant cette interaction positive peut aussi se transformer en compétition pour la lumière ou l’espace (Liancourt et al., 2005 ; Le Roux et al., 2013). Les interactions entre les espèces végétales dépendent ainsi en partie de la densité des populations établies : une faible densité d’une espèce facilitatrice peut avoir des effets positifs mais se transformer en interaction négative au-delà d’une certaine densité de cette espèce (Kelemen et al., 2019).

 

Aire d’introduction

En dehors de son aire de répartition naturelle, l’espèce a été signalée en Australie et en Tasmanie, au Japon, en Nouvelle-Zélande et en Argentine. En Eurasie, S. cryptandrus a déjà été observée dans des endroits isolés d’Autriche, de France, d’Allemagne, d’Italie, des Pays-Bas, de Russie, de Slovaquie, d’Espagne, de Suisse, d’Ukraine et du Royaume-Uni (Török et al., 2021).

Les conservatoires botaniques nationaux la signalent en France en 2000 dans la région Occitanie et 2009 en Provence-Alpes-Côte-d’Azur (INPN).

Figures 2 et 3 : Distribution de Sporobolus cryptandrus en Eurasie et références bibliographiques associées. Les cercles pleins montrent des populations naturalisées, tandis que les vides indiquent un établissement occasionnel (issus de Török et al., 2021).

En conclusion, les auteurs du rapport indiquent que Sporobolus cryptandrus peut être considérée comme une espèce exotique envahissante transformatrice (« as a transformer invasive species »), dont la propagation constitue un risque élevé pour les sables secs et les prairies steppiques d’Eurasie. Une fois l’espèce installée, la présence de sa banque de graines limite les possibilités de son contrôle.

Des informations complémentaires sont recherchées sur la dissémination et les impacts de S. cryptandrus dans la région OEPP.

 

Pour en savoir plus :

Fiches descriptives :

Références :

Principale : Török P, Schmidt D, Bátori Z, Aradi E, Kelemen A, Hábenczyus AA, Diaz CP, Tölgyesi C, Pál RW, Balogh N, Tóth E, Matus G, Táborská J, Sramkó G, Laczkó L, Jordán S, Sonkoly J (2021) Sand dropseed (Sporobolus cryptandrus) – a new pest in Eurasian sand areas? BioRxiv. https://doi.org/10.1101/2021.07.05.451115

Citées :

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