Les espèces exotiques envahissantes comme réservoirs d’agents pathogènes

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D’après la publication de : Najberek, K. et al. (2022). Invasive alien species as reservoirs for pathogens. Ecological Indicators. https://doi.org/10.1016/j.ecolind.2022.108879.
Accessible via : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1470160X22003508

Les espèces exotiques végétales et animales peuvent jouer d’importants rôles en tant qu’hôtes et vecteurs d’agents pathogènes, pouvant avoir un impact sur la santé humaine et celle de la biodiversité locale. Cependant, les connaissances sur les agents pathogènes de nombreuses espèces hôtes sont encore limitées. Pour combler cette lacune, une équipe de chercheurs a rassemblé des informations sur les agents pathogènes pouvant être transportés par 118 espèces exotiques en Europe dans leurs aires de répartition originelle et secondaire.

L’étude, publiée en 2022 dans la revue Ecological Indicators, est disponible en accès libre.

 

Méthodologie de l’étude

Les espèces hôtes sélectionnées et la méthodologie utilisée constituaient une partie essentielle de la procédure Harmonia+, utilisée pour l’évaluation des risques d’impacts négatifs des espèces exotiques envahissantes en Pologne. L’étude a inclus 60 plantes vasculaires (Tracheophyta) et 58 animaux, dont 41 vertébrés (Chordata), 6 mollusques (Mollusca), 10 arthropodes (Arthropoda) et 1 cténophore (Ctenophora).
Parmi les 118 espèces évaluées, 48 sont actuellement soumises au règlement de l’Union européenne relatif aux espèces exotiques envahissantes (EEE). Les autres espèces étaient soit concernées par la loi nationale polonaise, soit identifiées comme exotiques envahissantes par la Direction générale polonaise pour la protection de l’environnement.

Un examen complet des sources d’informations en ligne a été effectué de décembre 2017 à février 2018 pour recueillir des données sur les agents pathogènes, les parasites et leurs vecteurs. Si les données obtenues en ligne n’étaient que fragmentaires ou non concluantes, une recherche complémentaire approfondie des références citées était effectuée.
Les sources d’informations utilisées comprenaient :  CABI Invasive Species Compendium, NOBANIS – Réseau européen sur les EEE, Centers for Disease Control and Prevention, Base de données de l’OEPP – Organisation européenne et méditerranéenne pour la protection des plantes, Invasive Species in Belgium, GB non-native species secretariat, DAISIEInventory of alien invasive species in Europe (consultable au lien : https ://www.gbif.org/dataset/39f36f10-559b-427f-8c86-2d28afff68ca#citation), GISD– Global Invasive Species Database et Alien Species in Poland.

Les données ont été principalement recueillies en Europe, mais également dans d’autres régions du monde  incluant les aires de répartition naturelle des espèces hôtes évaluées. Dans plusieurs cas, les sources d’information originales ne distinguaient pas les parasites, les agents pathogènes ou les maladies susceptibles d’affecter négativement les hôtes. Une désignation générique « agents pathogènes » a donc été gardée pour l’ensemble de ces agents.

Dans un objectif d’uniformisation, la classification des agents pathogènes a été basée sur le référentiel du Système d’information taxonomique intégré (ITIS), le Registre mondial des espèces marines (WORMS) et MycoBank, pour les espèces marines et les champignons. À quelques exceptions près, les virus ont été classés selon l’ICTV Master Species, développé par le Comité international sur la taxonomie des virus (ICTV).
Dans un quart des dossiers récupérés, les agents pathogènes n’ont été identifiés qu’au niveau du genre, de la famille ou de l’ordre. Dans les deux derniers cas, ils n’ont pas été inclus dans l’ensemble de données final. Pour ceux identifiés au niveau du genre, des recherches complémentaires ont été réalisées pour déterminer si la donnée faisait référence à une (sp.) ou à plusieurs (spp.) espèces.

Pour chaque espèce hôte, l’aire de répartition naturelle (à la résolution de continent), son environnement (terrestre/eau douce/marin) et le mode d’introduction dominant (intentionnel/non intentionnel) ont été renseignés ; pour les espèces non encore introduites en Europe, le mode d’introduction indiqué était « potentiel ». Ces variables ont été utilisées dans des analyses statistiques d’infestation de différents groupes taxonomiques des hôtes étudiés. L’analyse des hôtes végétaux a été effectuée au niveau de la famille, tandis que les différences taxonomiques chez les animaux ont été analysées au niveau de la classe.

Pour chaque espèce, le nombre de publications sur l’infestation, vérifiées via la base de données Web of Science, et le nombre d’espèces pathogènes, référencées à partir de sources de données en ligne, sont présentés dans les annexes de l’étude : Télécharger les jeux de données : Appendix A. Supplementary data (10MB)

Résultats

L’huître creuse a été introduite en France à des fins économiques, pour remplacer les stocks d’huîtres indigènes épuisés par la surexploitation ou les maladies. Aujourd’hui, elle est considérée comme invasive dans plusieurs régions (Illustration O. Howard – CC BY SA)

Les résultats ont montré que le niveau de connaissance concernant les EEE qui agissent comme des réservoirs à agents pathogènes était variable. Le plus grand nombre de publications disponibles a été retrouvé pour les espèces utiles pour l’homme, telles que l’Huître creuse du Pacifique, Crassostrea giga (806 articles), tandis que pour 13 espèces aucun article scientifique n’a été trouvé. Les résultats ont ainsi démontré que la quantité d’informations disponibles pour les agents pathogènes de certaines espèces exotiques reste très limitée, y compris pour les espèces exotiques envahissantes avérées (par exemple, Sciurus niger ou Impatiens parviflora) et encore plus pour les espèces dont le potentiel envahissant ne s’est pas encore manifesté.

Les auteurs notent également une importante dispersion des informations sur les associations pathogène-hôte dans les référentiels de données. Ils soulignent aussi que dans toutes les analyses, le nombre d’agents pathogènes augmente avec le nombre de publications sur l’infestation de l’hôte particulier.

Au total, 2096 agents pathogènes ont été répertoriés, dont 78,4 % d’entre eux concernaient des hôtes animaux (1 644 enregistrements) et les 21,6 % restants, des hôtes végétaux (452 enregistrements). Les enregistrements avec des agents pathogènes identifiés au niveau du genre représentaient 14,9 % de ce total (N = 313) et le nombre le plus élevé d’espèces non identifiées se trouvait parmi les plathelminthes, les nématodes et les protéobactéries.

Pour dix espèces de plantes hôtes, aucune information sur des agents pathogènes n’a été trouvée. De plus, aucun agent pathogène n’a pu être identifié au niveau de l’espèce pour le Gunnéra du ChiliGunnera tinctoria, alors que deux enregistrements d’agents pathogènes ont été notés au niveau du genre.

Les agents pathogènes signalés appartenaient à 48 embranchements différents, 89 classes et 188 ordres. La diversité des agents pathogènes à ces trois niveaux taxonomiques était de 2,3 à 2,6 fois plus faible chez les hôtes végétaux que chez les hôtes animaux.

 Les pathogènes dominants

Xylella fastidiosa est une bactérie du xylème qui empêche la plante de s’alimenter en gênant la circulation de la sève brute (agriculture.gouv.fr)

Chez les plantes, l’agent pathogène le plus répandu est Xylella fastidiosa, bactérie qui a été trouvée sur 7 espèces hôtes. L’agent pathogène le plus répandu chez les animaux était la rage, détectée sur 11 hôtes. Tant chez les plantes que chez les animaux, la plupart des agents pathogènes n’apparaissent que chez un seul hôte : chez les plantes, c’était le cas pour 255 d’entre eux (81,7 %) et chez les animaux pour 778 (78,3 %). De plus, le nombre moyen d’hôtes infestés par des agents pathogènes était similaire pour les plantes et les animaux.

Les principaux groupes d’agents pathogènes parmi les plantes hôtes appartenaient aux Arthropoda (embranchement), Insecta (classe) et Hemiptera (ordre), et parmi les hôtes animaux – Plathelminthes (embranchement), Trematoda (classe) et Plagiorchiida/Strongylida (ordre).

Les deux hôtes végétaux les plus infestés étaient l’Ambroisie à feuilles d’armoise, Ambrosia artemisiifolia (28 pathogènes) et le Cerisier tardif, Prunus serotina, (27 pathogènes) et l’hôte animal le plus infesté était le Raton laveurProcyon lotor (133 pathogènes).

En outre, dans le cas particulier des bactéries et des virus, la plante hôte la plus infestée s’est avérée être le Rosier rugueux, Rosa rugosa et l’hôte animal le plus infesté, le Raton laveur.

Les hôtes introduits d’Amérique du Nord présentaient le plus grand nombre d’espèces pathogènes et le RagondinMyocastor coypus, seul mammifère hôte originaire d’Amérique du Sud, a été signalé comme transmettant la plupart des espèces de virus et de bactéries enregistrées.

L’étude a également révélé que les hôtes introduits involontairement abritaient plus d’agents pathogènes que ceux introduits intentionnellement et que le niveau d’infestation différait entre les habitats dans lesquels les hôtes sont présents. Concernant les hôtes végétaux, plus d’agents pathogènes ont été enregistrés chez les hôtes terrestres que chez les hôtes d’eau douce. Dans le cas des hôtes animaux, les agents pathogènes étaient beaucoup plus nombreux en milieu marin que dans les milieux terrestres et dulcicole.

Tableau 1 : Nombre de tous les agents pathogènes et nombre de virus/bactéries enregistrés à partir de plantes et d’animaux exotiques en Europe avec le nombre de publications sur l’infestation d’un hôte particulier – Extrait de l’étude de Najberek, K. et al. ( 2022) (Table S7 – appendix A)

Perspectives

Dans le contexte de cette étude, les analyses de Najberek et al. (2022) constituent une première identification de groupes d’agents pathogènes les plus fréquents et d’hôtes végétaux et animaux susceptibles d’en transporter le plus grand nombre. Ce travail a également permis de présenter une analyse de la corrélation existante entre le nombre de publications portant sur une espèce hôte et le nombre d’agents pathogènes référencés, démontrant ainsi la nécessité de recherches supplémentaires pour combler les importantes lacunes subsistant dans le domaine de la transmission des agents pathogènes, en particulier en ce qui concerne les hôtes exotiques potentiellement envahissants.

Dans la partie discussion de l’article, les auteurs évoquent les difficultés rencontrées lors de la compilation des informations. Une des raisons est que les ensembles de données utilisés portaient principalement sur les espèces exotiques, et non sur leurs agents pathogènes en tant que tels. La base de données du CABI est mentionnée comme la source d’information la plus complète pour les espèces évaluées, alors que la quantité d’informations disponibles dans les autres sources de données était jugée comme plus limitée. L’unification d’informations éparses et non harmonisées a nécessité un effort important, en raison de l’hétérogénéité des approches taxonomiques et de discordances dans les nomenclatures et la classification de mêmes taxons.

Les résultats de cette étude confirment le constat déjà fait par Roy et al. (2017) indiquant que l’un des problèmes majeurs dans l’étude de la transmission des agents pathogènes dans le contexte des invasions biologiques est le déficit de sources d’information de référence faisant autorité.

Le caractère très dynamique du processus d’invasion rend également difficile la mise à jour des bases de données, même lorsque les ressources sont disponibles. De plus, il existe un large éventail d’attributs de la présence d’espèces exotiques qui doivent être pris en compte dans les bases de données, notamment la cause, le moment et le lieu de l’introduction, le type d’impact négatif, les moyens de l’atténuer, etc. pour diffuser les informations utiles à leur gestion. Par conséquent, la collecte et la mise à jour des informations sur les agents pathogènes associés à ces espèces exotiques peuvent ne pas être considérées comme des priorités dans le développement et l’alimentation des bases de données sur les EEE.

L’une des solutions proposées serait de mettre en lien les bases de données sur les EEE (telles que GRIISGlobal Register of Introduced and Invasive Species) avec les bases de données traitant des pathogènes (telles que les Centers for Disease Control and Prevention) pour faciliter l’évaluation des risques des espèces exotiques hôtes, en fournissant un accès centralisé à des informations de haute qualité sur les agents pathogènes qu’ils sont susceptibles de  transporter.

 

Rédaction : Madeleine Freudenreich, Comité français de l’UICN

Relecture : Alain Dutartre (expert indépendant) et Clara Singh (Comité français de l’UICN)

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