Premier signalement de l’Écrevisse à pinces bleues (Faxonius virilis, Hagen 1870) en France (Département de l’Yonne)

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L’Écrevisse à pinces bleues, Faxonius virilis (Hagen, 1870) a été découverte, fin août 2021, dans un petit plan d’eau communal du département de l’Yonne (89). Cette espèce d’origine nord-américaine était connue en Europe uniquement au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. Les services de l’État et de l’Office français de la biodiversité (OFB) vont mener rapidement une réflexion pour établir un plan d’intervention.

Il s’agit de la quatrième espèce d’écrevisse allochtone découverte en France en seulement 3 ans, après l’Écrevisse de Murray, Cherax destructor, l’Écrevisse marbrée Procambarus virginalis et l’Écrevisse à taches rouges, Faxonius rusticus.

Situation dans le département de l’Yonne 

Faxonius virilis © Melodie Tort, OFB

Au mois d’août 2021, un pêcheur amateur a capturé quelques écrevisses, à la balance (méthode de pêche traditionnellement utilisée pour pêcher les écrevisses et les crevettes) au cours d’une partie de pêche dans un plan d’eau communal du département de l’Yonne.

Appartenant à une espèce encore inconnue dans la région, ces écrevisses ont été identifiées par un agent du syndicat mixte du bassin de l’Armançon (SMBVA) comme étant Faxonius virilis (Hagen, 1870). Les services de l’OFB ont alors procédé à la capture de plusieurs individus pour les envoyer au laboratoire EBI (Ecologie et Biologie des Interactions) de l’Université de Poitiers qui a ainsi pu confirmer la détermination grâce à une analyse moléculaire. Les résultats du séquençage confirment également l’origine commune des populations européennes de F. virilis. Elles appartiennent à la même lignée dont la distribution native reste inconnue (FILIPOVA et al., 2010). Il est fort possible que ces introductions aient été réalisées à partir d’écrevisses provenant de la même source sauvage et se soient ensuite propagées via les échanges liés à l’aquariophilie. Des analyses complémentaires ont permis de vérifier que les individus capturés ne sont pas porteurs de la peste des écrevisses (aphanomycose).

Une enquête rapide auprès du gestionnaire du plan d’eau a permis de savoir qu’il se pêchait régulièrement des écrevisses sur cet étang depuis environ 2 ans, et que des pêcheurs pouvaient partir avec des bourriches bien remplies d’une cinquantaine d’individus. Ces informations orientent donc en faveur d’une introduction qui aurait au moins 2 ans, voire plus, le temps que la population se développe suite à l’introduction.

Plan d‘eau communal du département de l’Yonne abritant Faxonius virilis © Julien Bouchard, OFB

Le fait que le plan d’eau soit largement utilisé pour la pêche aux écrevisses augmente les chances que des pêcheurs aient disséminé la population à d’autres plans d’eau. De même, l’étang est en connexion avec le réseau hydrographique par un petit ruisseau, ce qui peut favoriser l’expansion de l’espèce. L’OFB et ses partenaires travaillent actuellement à la mise en place d’un programme de connaissance sur Faxonius virilis afin de déterminer son stade d’invasion dans le département de l’Yonne. Ce programme comportera des investigations terrain par différentes méthodes (poses de nasses, détection par l’ADN environnemental…).

 

QUELQUES INFORMATIONS AU SUJET DE FAXONIUS VIRILIS

Présentation de l’espèce :

Description
De couleur assez sombre, marron verdâtre, et blanc beige en face ventrale, l’Écrevisse à pinces bleues présente une carapace assez lisse, une seule paire de crêtes post-orbitales et un rostre à bords plus ou moins parallèles, très pointu, dépourvu de crête médiane. Elle possède une rangée d’épines en arrière du sillon cervical dont une est proéminente. Le sillon branchio-cervical ne se rejoint pas en un seul point.

Schéma de l’anatomie générale d’une écrevisse © Guide d’identification des écrevisses de France

Faxonius virilis © Melodie Tort, OFB

Les pinces sont larges et aplaties avec le doigt mobile droit. Il y a présence caractéristique de tubercules jaunes-oranges organisés en rangés sur les deux articles des pinces, ainsi que d’une coloration orange à l’extrémité des pinces. Le carpopodite (correspondant à la troisième phalange chez les crustacés) présente un éperon massif sur sa face interne, qui est caractéristique des Cambaridae. Les pinces et pattes locomotrices ont une coloration bleutée, qui donne son nom commun à cette espèce.

L’Écrevisse à pinces bleues peut mesurer jusqu’à 13 cm, mais souvent moins de 10 cm (de la pointe du rostre à la queue). Il y a peu de risque de confusion de cette espèce, notamment par la présence des tubercules sur les pinces.

Il faut toutefois rester vigilant quant à une confusion avec Faxonius limosus, bien que l’organisation des épines au niveau du sillon cervical soit différente et que l’Écrevisse à pince bleue ne présente pas les marbrures marron-bordeaux sur les segments de l’abdomen en face dorsale, au plus des tâches paires (donc non transversales) foncées.

Longévité
L’Écrevisse à pinces bleues à une longévité de 2 à 2,5 ans, et exceptionnellement 3 ans. Les femelles vivent plus longtemps que les mâles. Certains scientifiques estiment qu’en Europe l’espèce pourrait vivre 4 à 5 ans, sans que cela soit aujourd’hui démontré. Les informations relatives à la durée de vie de cette espèce restent encore assez incertaines.

Croissance
L’Écrevisse à pinces bleues a une croissance rapide, avec plusieurs mues qui se déroulent au cours du premier été alors que les juvéniles sont encore sous l’abdomen de la femelle. Au Royaume-Uni, les jeunes peuvent atteindre 18 mm à la fin de l’été, alors qu’ils auront des tailles plus réduites en septembre dans les secteurs plus froids nord-américains ou canadiens.

Habitats et écologie
Cette espèce vit dans des milieux assez peu profonds, qui dans son aire de répartition originelle et dans sa partie la plus septentrionale auront tendance à geler l’hiver. L’espèce ne dispose pas d’adaptation particulière au gel et à la baisse des températures, les individus chercheront soit à rejoindre des zones plus profondes, soit se cacheront dans des anfractuosités entre les rochers et blocs, ou s’envaseront.

Comme les autres espèces d’écrevisses, cette espèce présente une plus faible activité lorsque les températures sont plus froides.

Faxonius virilis est assez ubiquiste en termes d’habitats fréquentés, elle peut être rencontrée dans des eaux vives ou des eaux calmes dans son aire de répartition et en Europe. On la trouve dans les ruisseaux, les rivières, les canaux, les étangs et les lacs. L’espèce utilise des caches sous les rochers et les galets pour se dissimuler et, si un substrat approprié est présent, certaines populations sont connues pour creuser des terriers.

Alimentation
En termes de régime alimentaire, il a été démontré que Faxonius virilis consomme des plantes aquatiques, avec un régime alimentaire possiblement différent entre les mâles et les femelles. Dans son aire de répartition originelle, l’espèce est capable de se nourrir également d’œufs de truites ainsi que de mollusques aquatiques et de macro-invertébrés. Il a d’ailleurs été démontré au Royaume-Uni une préférence pour les macro-invertébrés par rapport aux plantes aquatiques.

Ce régime alimentaire est identique pour tous les stades de développement.

Reproduction
Comme chez toutes les écrevisses de la famille des Cambaridae, Faxonius virilis présente une alternance de l’état reproducteur des mâles. Il y a ainsi un dimorphisme cyclique, avec une alternance au cours d’une même année de la forme I (sexuellement active) et la forme II (sexuellement inactive). Le changement de forme se fait aux cours des mues.

L’Écrevisse à pinces bleues ne se reproduit qu’une seule fois par an avec un accouplement possible en fin d’été / automne de juillet à septembre puis au printemps. Après l’accouplement, les femelles peuvent conserver le sperme dans l’anulus ventralis, en attendant des conditions environnementales optimales pour la ponte. En général la ponte des œufs a lieu de mars à juin de l’année suivante, avec une éclosion en juillet (tout en restant dépendant de la situation géographique de l’espèce).

L’espèce peut pondre jusqu’à plus de 490 œufs, mais cela est variable selon les régions et la taille des individus.

Pathologie :

A ce jour, aucune pathologie connue ne menace les populations de cette espèce. L’Écrevisse à pinces bleues résiste assez bien à la peste des écrevisses (Aphanomycose), dont elle est porteuse saine et de ce fait elle est un vecteur de cette maladie qui décime les populations d’écrevisses autochtones.

Répartition mondiale :

Cette écrevisse est originaire des États-Unis (dans de nombreux états) et du Canada, et couvre une grande partie du territoire d’Amérique du Nord. Selon les régions, son statut entre native ou introduite est discuté en raison de l’absence ou le peu de données anciennes. Des introductions ont été réalisées par des pêcheurs qui l’utilisent notamment comme appât, et l’espèce a le statut d’introduite au Mexique.

Répartition de Faxonius virilis aux Etats-Unis (Source : https://nas.er.usgs.gov)
HUC  = Hydrologic Unit Codes

Des essais d’introductions ont été réalisés, sans succès en France en 1897 et en Suède en 1960. En Europe, l’espèce a été observée au Royaume-Uni (dans la rivière Lee au nord de Londres) et aux Pays-Bas. Dans ces deux cas, il s’agirait d’introductions liées à l’aquariophilie en 2004.

Répartition mondiale de Faxonius virilis (Source : https://www.cabi.org)

Premières tentatives d’introduction en France :

A la fin du XIXe siècle, la station aquicole du Nid du Verdier à Fécamp (Seine-Maritime), dirigée par C. Raveret-Wattel, reçoit en 1896 et 1897, deux lots d’écrevisses en provenance des Etats-Unis. Le premier lot est constitué de Cambarus affinis (Faxonius limosus) aujourd’hui largement répandue en Europe, et le second en 1897, est constitué d’individus de l’espèce Cambarus virilis (Faxonius virilis). Ces crustacés sont retrouvés de façon courante sur les marchés de New-York. Le Cambarus virilis est décrit comme plus petit que le Cambarus affinis, avec toutefois une valeur gastronomique supérieure : « espèce la plus recherchée aux Etats-Unis en raison de sa chaire délicate, d’un goût très fin ».

Des tentatives d’acclimatation font l’objet de plusieurs communications dans le bulletin de la Société centrale d’aquaculture (RAVERET-WATTEL, 1896 et 1897). Ces essais d’acclimatation resteront toutefois sans échos en raison notamment des habitudes fouisseuses de ces écrevisses. Deux décennies plus tard, Léger précise en 1924 : « En 1896, le regretté Raveret-Wattel essaya à son tour l’acclimatation des Cambarus affinis et virilis dans son établissement de Fécamp. Mais les résultats furent si peu encourageants que l’auteur lui-même n’en dit plus rien et n’en fait même mention dans son excellent ouvrage de pisciculture de 1914… ».

Problèmes causés par sa présence :

Les impacts négatifs de l’introduction et de la propagation de cette espèce sont bien documentés dans la littérature scientifique, notamment aux Etats-Unis où l’espèce a été introduite dans plusieurs états. Selon les ouvrages, les études montrent que les introductions de Faxonius virilis ont entraîné le déclin des macrophytes (CHAMBERS et al., 1990 ; DAVIDSON et al., 2010 ; OLDEN et al., 2009), des macro-invertébrés et des poissons indigènes (CARPENTER, 2005). Au niveau sanitaire, l’espèce est connue pour être porteuse de l’aphanomycose. Les antécédents d’envahissement plaident en faveur d’un risque élevé de propagation et d’impacts multiples de cette espèce. Le risque global, lié à l’apparition de cette espèce, est considéré comme « élevé ».

Statut et règlementation :

Il s’agit d’une espèce allochtone considérée comme non représentée en France (Arrêté du 17 décembre 1985) et susceptible de provoquer des déséquilibres biologiques (Article R432-5 du Code de l’Environnement).

Figurant sur la liste des espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour l’Union Européenne (règlement d’exécution 2016/1141), son introduction sur le territoire, y compris le transit sous surveillance douanière, l’introduction dans le milieu naturel, détention, transport, colportage, utilisation, échange, mise en vente, vente ou achat de spécimens sont interdits en France métropolitaine par l’arrêté du 14 février 2018.

Son introduction est également interdite par la Loi « Pêche » de 1984, article L432-10 du Code de l’Environnement.

 

En cas d’observation, il est important de faire remonter ses informations sur les plateformes adaptées pour contribuer à mieux connaître la répartition des différentes espèces. Les données peuvent être communiquées via l’application mobile INPN (voir aussi Comment transmettre ses données à l’INPN). Elles peuvent également être directement adressées aux agents départementaux de l’OFB, ou, le cas échéant, au Centre de ressources Espèces exotiques envahissantes.

Contacts :

Marc Collas (marc.collas@ofb.gouv.fr) et Julien Bouchard (julien.bouchard@ofb.gouv.fr)

 

Rédaction : Julien Bouchard & Marc Collas, Office français pour la Biodiversité (OFB)
Relecture : Nicolas Poulet (OFB), Madeleine Freudenreich (Comité français de l’UICN) et Frederic Grandjean (Université de Poitiers)

Illustration principale : © Julien Bouchard – OFB

 

 

Pour aller plus loin :

  • AHERN D., ENGLAND J. & ELLIS A. 2008. The virile crayfish, Orconectes virilis (Hagen, 1870) (Crustacea: Decapoda: Cambaridae), identified in the UK. Aquatic Invasions [“Invasive species in inland waters of Europe and North America: distribution and impacts” 30th Congress of the International Association of Theoretical and Applied Limnology, Montreal, Quebec, Canada, August 2007.], 3(1):102-104.
  • CALDWEL M.J. & BOVBJERG R.V. 1969. Natural history of the two crayfish of northwestern Iowa, Orconectes virilis and Orconectes immunis. Iowa Academy of Science Proceedings, 76. 463-472
  • CARPENTER J. (2005) Competition for food between an introduced crayfish and two fishes endemic to the Colorado River basin. Environmental Biology of Fishes 72: 335–342, https://doi.org/10.1007/s10641-004-2588-z*
  • CHABERS P. A., J. M. Hanson, J. M. Burke, and E. E. Prepas. 1990. The impact of the crayfish Orconectes virilis on aquatic macrophytes. Freshwater Biology 24(1):81-91.
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  • DAVIDSON, E. W., J. SNYDER, D. LIGHTNER, G. RUTHIG, J. LUCAS, and J. GILLEY. 2010. Exploration of potential microbial control agents for the invasive crayfish, Orconectes virilis. Biocontrol Science and Technology 20(3):297-310.
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  • HANSON J.M., CHAMBERS P.A. &PREPAS E.E. 1990. Selective foraging by the crayfish Orconectes virilis and its impact on macroinvertebrates. Freshwater Biology, 24:69-80
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  • LÉGER L., 1924. Une nouvelle Ecrevisse dans les eaux françaises. Bull. Soc. Cent. Aquiculture et de Pêche (1924) Tome XXXI, p.121-123.
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  • OLDEN J. D., E. R. Larson, and M. C. Mims. 2009. Home-field advantage: native signal crayfish (Pacifastacus leniusculus) out consume newly introduced crayfishes for invasive Chinese mystery snail (Bellamya chinensis). Aquatic Ecology 43(4):1073-1084.
  • RAVERET-WATTEL C., 1896. Essais d’acclimatation d’écrevisses américaines (Cambarus) à Fécamp. Bull. Soc. Cent. Aquiculture (1896) VIIIX, p.241-246.
  • RAVERET-WATTEL C., 1897. Les Cambarus virilis à la station aquicole de Fécamp. Bull. Soc. Cent. Aquiculture (1897) IX, p.113-114.
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  • SOES M. 2007. 15th International Conference on Aquatic Invasive Species. Nijegen, Netherlands: ICAIS
  • SOUTY-GROSSET C., HOLDICH D.M., NOËL P.-Y., REYNOLDS J.D. & HAFFNER P. 2006. Atlas of Crayfish in Europe. Museum national d’Histoire naturelle, Paris, 187p. (Patrimoines naturels, 64).
  • WEAGLE K.V. & OZBURN G.W. 1972. Observations on aspects of the life history of the crayfish, Orconectes virilis (Hagen), in Northwestern Ontario. Canadian Journal of Zoology, 50:366-37

Sites consultés :

 

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