La gestion des plantes exotiques envahissantes devrait nécessairement comporter un traitement approprié des déchets qu’elle génère. En effet, une fois extraites du milieu ou elles étaient installées, certaines espèces peuvent conserver leurs aptitudes à se reproduire, que ce soit par les graines ou par bouturage. Dès lors, il est indispensable de prendre en compte les risques de dissémination inhérents à la manipulation, au transport, au stockage et au processus d’élimination des déchets de plantes exotiques envahissantes issus de chantiers de gestion. En 2014, le Conservatoire d’espaces naturels Centre-Val de Loire, dans le cadre du Groupe de travail Plantes invasives (GTPI) qu’il copilote avec le Conservatoire botanique national du Bassin parisien (CBNBP), a mené une étude portant sur la valorisation agronomique des déchets verts de plantes exotiques envahissantes issus de chantiers de gestion en milieu naturel, afin de proposer aux gestionnaires des solutions de proximité pour valoriser cette biomasse. Cette première étude a permis d’identifier à l’échelle régionale les plateformes de compostage et les centres de méthanisation potentiellement en mesure de recevoir des déchets de plantes exotiques envahissantes, et de recenser les exploitations agricoles pratiquant le compostage à la ferme. Les acteurs concernés ont pour partie été sensibilisés à la problématique (Vial, 2014).
Dans la continuité de cette étude, un nouvel axe de travail portant sur la gestion des « terres contaminées » par des propagules de plantes exotiques envahissantes a fait l’objet d’un premier état des lieux. Son objectif principal était d’analyser la possibilité de développer une filière régionale similaire à celle de la valorisation agronomique des déchets pour le traitement des terres contaminées. Pour cela, il a été nécessaire d’identifier les possibilités de stockage, de traitement, d’élimination et de valorisation de ces terres. Par ailleurs, des mesures de précaution associées à la manipulation de ces terres lors des interventions de gestion de plantes exotiques envahissantes en milieu naturel ainsi que des pistes d’actions de prévention ont été identifiées.
Une règlementation à définir en France
La définition du cadre règlementaire français est un point important qui a été rapidement éclairci. En France, il n’existe actuellement aucune règlementation sur le traitement des terres « contaminées », terme n’ayant d’ailleurs aucune signification administrative précise. Aucun texte de loi n’indique le caractère « dangereux » ou « pollué » de ce type de déchets. Ce constat s’explique notamment par le fait que la France n’est pas (encore) dotée de loi sur les sols. En d’autres termes, considérées comme des déchets inertes non-dangereux d’après le Code de l’Environnement, ces terres doivent être gérées conformément à la législation applicable (ordonnance 2010-1579 du 17 décembre 2010), notamment en ce qui concerne la responsabilité et la traçabilité.
En matière de responsabilité, tout producteur ou détenteur de déchets est responsable de la gestion de ceux-ci jusqu’à leur élimination ou valorisation finale. Par ailleurs, tout producteur ou détenteur de déchets doit s’assurer que la personne à qui il les remet est autorisée à les prendre en charge (art. R541-2 CE).
Concernant la traçabilité, un bordereau de suivi des déchets est obligatoire lorsqu’ils sont considérées comme « dangereux ». Toute personne détentrice de déchets dangereux doit émettre un bordereau qui accompagne les déchets lorsqu’il les remet à un tiers. Lors de la réception et de la réexpédition des déchets, le transporteur et la personne qui reçoit les déchets complètent le bordereau et ainsi de suite. Toute personne qui émet, reçoit ou complète l’original en conserve une copie (art. R541-45 CE). L’utilisation de bordereaux de suivi pour tous les types de déchets semble de plus en plus régulière, aussi paraitrait-il opportun de pouvoir l’appliquer également aux terres « contaminées ».
L’étude de la réglementation internationale, et plus particulièrement les règlementations britannique et belge, pourrait permettre de proposer des éléments de cadrage sur la définition et la manipulation de terres contaminées, potentiellement transposables et applicables en France.
Au Royaume-Uni par exemple, la règlementation sur les terres « contaminées » par des propagules de plantes exotiques envahissantes (graines, rhizomes ou fragments de tiges) est beaucoup plus pragmatique et cible une espèce définie comme très envahissante : la Renouée du Japon (Reynoutria japonica). La loi interdit de disperser volontairement la plante, y compris une dispersion qui interviendrai suite à la manipulation de terres « contaminées », et impose son éradication des terrains constructibles. Les premières dispositions pour lutter contre l’invasion de la Renouée du Japon apparaissent dans la loi sur la faune et la campagne de 1981 qui stipule que causer et favoriser la croissance de la Renouée du Japon dans la nature est un acte répréhensible pouvant donner lieu à une amende d’un montant illimité ou à une peine maximale équivalente à 2 ans de prison, voire les deux. Ces dispositions ont été accentuées par la loi sur la protection de l’environnement de 1990 qui qualifie les sols et les déchets contenant de la Renouée du Japon comme dommageables d’un point de vue écologique. Il est interdit de déposer, traiter, conserver ou éliminer ces déchets de manière à favoriser une pollution de l’environnement. Toute personne qui importe, produit, transporte, conserve, traite ou élimine ce type de déchets se doit de respecter les dispositions de la loi, sous peine de sanctions. En outre, la loi prévoit que l’élimination des renouées soit faite en toute sécurité dans un site d’enfouissement autorisé. Pour assurer l’élimination sans danger des terres contaminées, elles doivent être enterrées à une profondeur minimum de 5 mètres.
La Belgique semble avoir également évalué l’importance d’intégrer cette problématique dans l’aménagement de son territoire. Les autorités wallonnes ont adopté une circulaire relative aux espèces invasives. Conformément à leur volonté d’insérer des clauses sociales et environnementales dans les marchés publics, la circulaire du 30 mai 2013 propose un cadre global destiné à interdire l’usage des plantes exotiques inscrites sur une liste spécifique d’espèces exotiques envahissantes, à promouvoir les bonnes pratiques de gestion des EEE et cible particulièrement les renouées asiatiques (Reynoutria spp.). L’article 2 de cette circulaire concerne le transport des terres « contaminées » en précisant qu’il est vivement recommandé d’éviter de déplacer des terres contaminées sauf après traitement adéquat de celles-ci. Une importance toute particulière et une vigilance accrue sont apportées lorsqu’il s’agit de renouées asiatiques et de Berce du Caucase (Heracleum mantegazzianum). Si ces espèces sont présentes sur le site d’un chantier, les cahiers des charges spécifiques doivent prévoir des mesures adaptées pour éviter leur dissémination vers des sites non encore colonisés par ces plantes.
Techniques de traitement connues
Dans un second temps, un travail de recherche des différentes techniques de traitement de ces terres a été mené et les pratiques les plus couramment utilisées par les gestionnaires ont été identifiées. Lorsque des terres excavées contiennent des propagules de plantes exotiques envahissantes, générant un risque de dispersion de ces espèces en cas de conditionnement inadapté, il apparait que ces terres sont généralement enfouies sur site, accompagnées d’un suivi de contrôle des reprises en surface. C’est notamment le cas pour la Crassule de Helms (Crassula helmsii) et les renouées. Dans d’autres cas, les terres sont laissées à l’abandon sur place. En effet, en l’absence de lignes directrices, le gestionnaire opte souvent pour la solution la plus pratique et la moins coûteuse. Cependant, des techniques de traitement ont été mise au point et ont fait leur preuve, notamment sur des terres abritant des rhizomes de renouées. Ces techniques permettent un traitement sur place et limitent le transport et la manipulation, réduisant ainsi considérablement les risques de dissémination.
Le concassage-bâchage consiste à concasser les terres colonisées à l’aide d’un godet concasseur ou d’un broyeur à pierre, à les redéposer sur la zone d’excavation, puis à les recouvrir d’une bâche plastique épaisse et noire jusqu’à décomposition des rhizomes. Cette méthode a principalement été développée et appliquée par le bureau d’études Concept Cours d’Eau.
Le criblage-concassage consiste à cribler les matériaux afin de séparer la partie fine (réutilisable) de la partie grossière contenant un mélange de matières minérales et de rhizomes, puis à concasser finement les matériaux contaminés avec un concasseur « adapté », pour ensuite les stocker en attendant leur réutilisation pour un nouveau chantier, ou les évacuer en déchetterie de classe 3, le cas échéant, car devenus inertes après l’opération de concassage. Cette technique a été expérimentée par le Syndicat intercommunal du bassin versant de l’Yzeron (SAGYRC) et la Compagnie nationale du Rhône (CNR) dans le cadre de travaux de protection contre les crues et de restauration environnementale de l’Yzeron à Oullins (69).
Plus ponctuellement, afin de contenir la germination des graines de plantes invasives contenues dans les terres lors d’un stockage intermédiaire, il a été expérimenté l’ensemencement des terres « contaminées » avec des semences indigènes, à l’aide d’un hydroseeder. Par concurrence végétale, les plantes exotiques envahissantes contenues dans les terres ont ainsi plus de difficultés à se développer.
D’autres techniques restent à explorer et à évaluer, comme par exemple celle, en cours d’expérimentation, consistant à neutraliser le pouvoir germinatif des graines et propagules de plantes invasives par exposition aux ondes magnétiques ou à des micro-ondes (De Wilde et al., 2016, communication non-publiée).
Identification des acteurs à l’échelle de la région Centre-Val de Loire
La phase de recherche suivante était le recensement des acteurs régionaux impliqués dans la filière, des « producteurs » (gestionnaires d’espaces naturels, entreprises, collectivités, etc.) aux « transformateurs » (plateformes de stockage et centres de traitement, déchetteries, etc.). Le recensement des détenteurs de terres en région Centre-Val de Loire a été obtenu sur le portail internet de la Fédération française du bâtiment (FFB) : 30 centres de traitements, 30 déchetteries publiques et 14 collecteurs privés ont ainsi été répertoriés en région Centre-Val de Loire. La stratégie initiale a consisté à contacter prioritairement les centres de stockage de terres pour, d’une part, les informer de la problématique et d’autre part pour permettre d’identifier l’origine et la provenance des terres en leur possession. Le but de cette approche était de pouvoir mettre en réseau les différents acteurs impliqués, de permettre les échanges et d’obtenir des informations complémentaires sur le sujet. Cependant, il s’est avéré difficile de contacter ces structures et d’en obtenir les informations attendues. Cela questionne sur la manière dont la légitimité du CEN, association de protection de la nature, à assurer cette mission est perçue par ces interlocuteurs.
Proposition de pistes d’actions préventives
L’inadaptation actuelle de la réglementation et à la difficulté d’étudier la filière ont amené à poursuivre l’analyse sur des pistes d’actions préventives à déployer avant et pendant la phase de chantier, afin de limiter au maximum les risques de dissémination de plantes exotiques envahissantes par les terres contaminées. En effet, un transport non contrôlé des terres facilite la colonisation de nouveaux sites. Si les terres doivent être déplacées, il convient alors de planifier le parcours à emprunter afin de minimiser les risques sur les cours d’eau, les corridors écologiques et les paysages remarquables. La délimitation de ces espaces doit être bien visible et l’on peut même avoir recours à de la matérialisation physique par des bandes afin de contenir la circulation et l’évolution des véhicules transporteurs. Lorsque les terres sont acheminées hors site, il est recommandé de ne pas complètement remplir le camion lors du chargement, en laissant par exemple une marge d’environ 20 cm. Le vide laissé devra être recouvert par des membranes hermétiques. De plus, il faut privilégier l’utilisation de véhicules aux bennes étanches. Cette phase est très importante car elle permet de confiner les sols et les résidus d’EEE lors du transport. Les véhicules ayant servi pour la mobilité des terres doivent être nettoyés avec soin, et surtout la benne de stockage après utilisation. Des nettoyeuses hautes pressions et des brosses peuvent être utilisées pour récurer à fond tous les recoins pouvant contenir des résidus d’EEE. Une attention particulière doit également être portée aux pneus et aux arcs de roues, parties des véhicules pouvant facilement accrocher de la terre. Il faut enfin procéder au nettoyage de tout composant ayant servi lors du déplacement (cas des membranes de confinement). Plus généralement, il conviendra d’intégrer cette problématique dans l’encadrement général du chantier afin de définir des mesures garantissant son bon déroulé, sans risque de dissémination de plantes exotiques envahissantes.
Conclusion
Cette étude engage ainsi de premières réflexions sur la gestion des terres « contaminées » par des propagules de plantes exotiques envahissantes car il s’avère de plus en plus nécessaire de développer les filières de traitement de ce type de déchets. Toutefois, bien que des méthodes de traitement efficaces aient été mises au point, leurs coûts peuvent rendre difficiles leur mise en œuvre dans la gestion d’espaces naturels. A ce jour, l’absence de réglementation constitue le principal frein à des avancées significatives sur cette problématique.
Le rapport de cette étude sera disponible prochainement sur le site du CEN Centre-Val-de-Loire.
Rédaction : Matthieu Trouvé, CEN Centre-Val de Loire matthieu.trouve@cen-centrevaldeloire.org
Relectures : Doriane Blottière (UICN France), Alain Dutartre (expert indépendant), Emmanuelle Sarat (UICN France).