La colonisation rapide par Typha domingensis, une des espèces du genre Typha largement répandue sur le globe, de divers milieux aquatiques d’eaux douces ou saumâtres de la Guadeloupe commence à préoccuper les institutions chargées de la protection de la biodiversité de l’île. Dans ce cadre, un récent rapport (Imbert et Taureau, 2019) fait le point sur la situation en Guadeloupe. Quelle dynamique de l’espèce est observée sur l’île et quels sont les moyens de gestion disponibles ? Qu’en est-il de la valorisation énergétique du Typha, expérimentée dans certains pays africains ?
Pour répondre d’une manière plus globale aux enjeux des invasions biologiques, une coordination des acteurs et la mise en place d’une stratégie est en cours sous l’égide de la DEAL Guadeloupe.
Les Typha, des plantes largement répandues
Les massettes, ou Typha, sont des plantes monocotylédones, également appelées quenouilles ou queues de renard à cause de la forme allongée et typique de leurs inflorescences érigées. Ces hélophytes du bord des eaux et des zones humides peuvent se développer en herbiers denses, voire monospécifiques dans les biotopes favorables, en eaux douces ou légèrement saumâtres. Leur taille peut dépasser 2 à 3 m de hauteur. Ces herbiers peuvent évidemment réduire localement la biodiversité végétale et avoir des influences notables sur les communautés de faune.
Si leurs inflorescences sont assez bien connues du grand public par leur forme particulière, leur couleur et leur utilisation possible dans les bouquets secs, la détermination précise de nombreux individus est rendue quelquefois un peu difficile par le nombre relativement important d’espèces et d’hybrides. En effet, alors que l’INPN liste 13 espèces et hybrides pour la flore française, la liste mondiale pour ce genre, établie par les Jardins Botaniques Royaux de Kew de Kew en Angleterre en comporte une cinquantaine.
Les Typha ont une large aire de répartition dans les régions tempérées et tropicales du globe. L’espèce la plus répandue est Typha latifolia, principalement dans les régions tempérées de l’hémisphère nord. Il en est de même pour Typha angustifolia, bien qu’elle soit moins établie vers le nord : ces deux espèces sont très présentes en métropole. L’aire de répartition de Typha domingensis est plutôt l’hémisphère sud.
Cette dernière espèce, souvent dénommée aussi Typha australis, et en français Massette australe ou Massette de Saint-Domingue, est en fait largement distribuée sur tous les continents, en dehors des zones les plus froides (Figure 1).
Sa fiche de présentation sur le site du CABI liste les pays dans laquelle elle est présente. Elle est considérée comme indigène dans la quasi-totalité de ces pays, en présentant toutefois dans nombre d’entre eux un indéniable caractère envahissant.
Pour ce qui est de son statut en France, selon l’INPN, elle est considérée comme “indigène ou indéterminé” en France métropolitaine, à La Réunion, à Mayotte et en Guyane, comme “introduite” en Polynésie française et comme “introduite envahissante” en Nouvelle-Calédonie et en Guadeloupe.
Il est à noter que sa ressemblance avec Typha angustifolia a pu causer un certain nombre de confusions quant aux répartitions respectives de ces deux espèces, ainsi que le signale la fiche qui lui est consacrée sur le site “Flores Alpes“. Signalons également que ces risques de confusion étaient déjà notés en 1911 par J.-B. Géze !
Typha domingensis : un hélophyte colonisateur en Guadeloupe
La colonisation rapide par cette espèce de divers milieux aquatiques d’eaux douces ou saumâtres de Guadeloupe commence à préoccuper les institutions chargées de la protection de la biodiversité de l’île. De premiers échanges en 2016 avec le service chargé de la police de l’eau et le Parc national de la Guadeloupe avaient en effet montré que certains des développements rapides de cet hélophyte devenaient trop importants pour continuer à être négligés.
Ce caractère envahissant et la prise de conscience des gestionnaires quant à la nécessité de mise en place d’une gestion ont donc amené à faire un point sur cette espèce et ses possibilités de gestion, traité dans la première partie du rapport récemment rédigé par Imbert & Taureau (2019), de l’Université des Antilles, pour le Parc national de la Guadeloupe.
Une seconde partie du document, que nous ne traiterons pas ici, présente un test de faisabilité de cartographie automatisée à partir de photo-interprétation d’images satellites haute résolution. La multiplicité des sites colonisés par cette espèce rend en effet toute approche cartographique assez délicate, particulièrement dans les sites où T. domingensis est en mélange avec d’autres espèces.
L’espèce est relativement sensible à la salinité et son développement en milieu naturel est limité lorsque la salinité du sol dépasse 5 à 8 mg/L (Glenn et al., 1995, in Imbert & Taureau, 2019).
Avec une biomasse pouvant dépasser 2 kg/m², la production primaire des peuplements denses a été évaluée à 14 t/ha/an par Fraga et Kvet (1993, in Imbert & Taureau, 2019). Facilitée par son réseau de rhizomes lui assurant une reproduction végétative efficace et une importante banque de semences, sa capacité de colonisation et sa production de biomasse font de cette plante une espèce ingénieur pouvant notablement contribuer à l’atterrissement des zones humides peu profondes.
Selon Maddi (2011), la présence de T. domingensis à la Guadeloupe avant 1979 était douteuse, “faute de spécimens collectés et de prospections validant les anciennes citations“. Le rapport d’Imbert & Taureau (2019) donne quelques indications supplémentaires sur l’établissement du statut exotique de l’espèce. Sa présence dans l’île a été validée pour première fois par Fournet (2002) : elle était alors présentée comme étant “très rare“.
Explicitement signalée par Maddi (2011) parmi les trois taxa exotiques envahissants se distinguant en Guadeloupe par “la prolifération de leurs populations“, avec la Jacinthe d’eau (Eichhornia crassipes) et l’hydrilla (Hydrilla verticillata), elle n’était pourtant pas identifiée dans la liste hiérarchisée des EEE de Guadeloupe figurant dans le rapport Asconit Consultants de 2013. En revanche, les deux autres espèces citées par Maddi y figuraient. Par ailleurs, dans la liste des espèces à risque pour les Antilles françaises du même rapport était citée T. latifolia.
Une évolution rapide
Dans le bilan de ses prospections en Guadeloupe, Maddi (2011) indiquait que T. domingensis était la plante exotique envahissante qui montrait une des dynamiques de colonisation parmi les plus rapides. Quelques années après le premier signalement de Fournet (2002), elle était en effet “massivement présente” en 2009-2010 “depuis le Nord de la Grande-Terre jusqu’au sud de la Basse-Terre” (Figure 2).
Elle semble relativement tolérante à une grande variété de sols et occupe berges de plans d’eau, milieux peu profonds, prairies humides, quelquefois en massifs très denses.
En février 2018, en partenariat avec la DEAL de la Guadeloupe, une nouvelle campagne de prospections et d’inventaires de la flore envahissante des zones humides de la Basse-Terre, de la Grande-Terre et de Marie-Galante (Maddi, 2018) a été réalisée. T. domingensis y a de nouveau été considérée comme une des espèces les plus préoccupantes pour l’île. L’envahissement de certains des milieux déjà colonisés lors de la première campagne, comme l’étang du Vieux-Fort ou l’étang Roland prenait des proportions jugées inquiétantes.
Réguler Typha domingensis ?
Dans la première partie du rapport de Imbert & Taureau (2019), après un bilan des connaissances en matière de connaissance taxonomique, de biogéographie, de biologie et des éléments d’écologie de l’espèce permettant d’illustrer les modalités de son comportement envahissant, les auteurs ont passé en revue les possibilités d’intervention pour la réguler. D’autres informations sur ce sujet sont également disponibles dans la fiche du CABI sur l’espèce. Par ailleurs, un rapport récent (Castellanet C. et al., 2019), réalisé pour le compte de l’OMVS (Organisme de Mise en Valeur du fleuve Sénégal) est très largement consacré à un bilan des possibilités d’application dans le contexte africain de diverses méthodes de contrôle de l’espèce, modifications des niveaux des eaux (immersion, assèchement), chimiques (salinisation, herbicides), élimination physiques des populations (curage, création de polders agricoles, coupes manuelles et mécaniques), biologiques, etc.
Possibilités de prévention ?
Dans la fiche du CABI, il est noté la difficulté de la prévention. Un bel euphémisme si l’on se réfère en particulier à la production extrêmement importante de graines et à leur facilité de transport, en particulier par le vent, mais aussi par les animaux. Le maintien de conditions naturelles dans les habitats pourrait réduire la propagation de l’espèce. Il est également cité le fait que le maintien constant de niveaux d’eau élevés (> 1,2 m) pourrait empêcher l’établissement de semences (Ivens, 1967), cette fois dans des milieux humides très contrôlés…
Manipuler les habitats de la plante ?
La sensibilité à la salinité de T. domingensis peut permettre d’envisager la salinisation des sites colonisés comme moyen de gestion en dépassant un seuil de salinité de 8 g/L dans les sols, signalé dans la littérature comme incompatible avec la survie de l’espèce. Cependant, des expérimentations ont montré une résistance de la plante à une salinité beaucoup plus élevée lorsque la salinisation n’était pas permanente (Beare & Zedler, 1987).
La manipulation des niveaux d’eau dans des sites aménagés le permettant est également une possibilité. Il s’avère cependant que l’espèce semble assez bien résister à l’ennoiement en ne disparaissant pas malgré une diminution durable des capacités de développement de sa population dans le site testé (Chen et al., 2013). A l’inverse, des assèchements successifs (4 en deux ans) ont permis à Palma-Silva et al. (2005) de montrer une certaine régression de l’espèce au profit d’un autre hélophyte, Eleocharis mutata. Dans ce site, après une période de 10 mois sans assèchement, T. domingensis a de nouveau produit une grande quantité d’inflorescences, indiquant une nette récupération de ses capacités de développement.
Ainsi, il semblerait que des manipulations temporaires de l’habitat de T. domingensis ne permettent pas d’assurer sa régulation.
Le feu contrôlé est une technique assez régulièrement utilisée dans des zones humides dans les périodes d’asséchements naturels. Il a pour objectif de faire disparaître du site une partie de la biomasse végétale accumulée favorisant l’arrivée de peuplements végétaux arbustifs non souhaités. Dans le cas de la régulation de T. domingensis, le recours au feu ne semble pas suffisant pour éradiquer l’espèce : par exemple, dans les expérimentations de Tian et al. (2010) dans les Everglades, un an après le feu, la biomasse aérienne des plantes qui avaient repoussé était du même ordre qu’avant le feu ; cependant, deux ans après le feu, la biomasse souterraine n’était pas encore revenue à ses valeurs antérieures. Sur le même sujet, les travaux de Smith & Newman (2001) ont montré que les incendies pouvaient augmenter la biodisponibilité en phosphore du sol, procurant un avantage concurrentiel à T. domingensis.
Comme pour nombre d’autres espèces terrestres ou amphibies, le bâchage a été testé avec des résultats généralement peu probants, liés à la détérioration plus ou moins rapide des bâches utilisées.
Enfin, chercher à favoriser des compétiteurs naturels de T. domingensis pour faire évoluer les successions végétales des sites, éventuellement dans une trajectoire souhaitée, a également été tenté. Par exemple les suivis de Fraga & Kvet (1993) menés durant sept ans sur un plan d’eau montraient des installations progressives d’autres hélophytes dans les secteurs colonisés par T. domingensis. Toutefois, dans la plupart des cas, les successions végétales des zones humides contribuent à un atterrissement des biotopes et à l’arrivée d’espèces arbustives, voire d’arbres qui font à terme disparaître à terme ces zones humides.
Contrôle mécanique
En matière de mode de gestion des plantes, il est assez souvent appliqué un cumul de méthodes, permettant de magnifier la pression d’interventions sur l’espèce visée. Par exemple, une coupe des hélophytes suivie d’une inondation du site peut améliorer l’efficacité. L’ennoyage des tiges coupées va fragiliser les rhizomes qui ne seront plus alimentés en oxygène.
Coupes, arrachages mécaniques, décapages du sol sont bien sûr envisageables mais ces interventions plus ou moins brutales ne peuvent être envisagées qu’après une évaluation de leurs objectifs et de leurs enjeux. Dans tous les cas, une des difficultés inhérentes à ces modes de gestion concerne la gestion des déchets produits (biomasse, sol…).
Contrôle biologique
Les animaux herbivores peuvent exercer une certaine pression de consommation sur les plantes. Dans la fiche du CABI sont par exemple cités les rats musqués, mais les informations sur la consommation de T. domingensis par divers herbivores sauvages sont apparemment peu fréquentes… Le pâturage par certains herbivores domestiques pourrait être envisagé : par exemple, dans les tests de Nicol et al. (2007), le pâturage des moutons avait diminué de manière significative la densité de la banque de semences subsistant dans le sol… Mais, là encore, il reste très difficile d’envisager une véritable efficacité de ces méthodes.
Une revue des possibilités d’utilisation de champignons parasites pour tenter de contrôler une douzaine de plantes aquatiques ou semi-aquatiques a été réalisée par Barreto et al. (2000) et au moins un semblait présenter sur le Typha des impacts importants et rapides (Colletotrichum typhae), mais cette recherche n’a apparemment pas permis de développer un agent de contrôle efficace.
Contrôle chimique
Enfin, uniquement pour mémoire, rappelons que différents herbicides ont été appliqués dans de nombreux pays du monde pour détruire ces “mauvaises herbes” : dans la littérature il est possible de retrouver les noms de l’amitrole-T, l’aminotriazole, le TCA, le 2,2-DPA, le MCPA ou plus récemment du glyphosate… Durant quelques décennies, le recours à ces produits était présenté comme une technique efficace et sans dangers environnementaux, seuls arguments commerciaux, alors que les suivis réalisés en montraient l’inefficacité à moyen terme et les effets indirects sur nombre d’organismes non visés par l’intervention.
Ce n’est plus le cas en France, mais les herbicides sont toujours utilisés en milieux aquatiques dans divers pays, encore que cette pratique soit en voie de régression, au fur et à mesure que les contaminations de l’environnement par ces molécules deviennent plus évidentes.
Restauration écologique
Après le constat que “aucune solution satisfaisante pour lutter contre l’envahissement de T. domingensis en milieu naturel ne ressort de la littérature“, Daniel Imbert et Florent Taureau terminent cette partie de leur rapport en proposant de relancer une expérimentation qui avait été lancée en 2012 (Imbert & Dulormne, 2013) dans le cadre d’un programme INTERREG (“Protection et Valorisation ” des Écosystèmes Humides Littoraux de l’Espace Caraïbes). Il s’agissait d’introduire au sein d’un peuplement adulte de Typha des plants de Pterocarpus officinalis, un palétuvier de la famille des Fabacées pouvant atteindre 30 m de hauteur et, adulte, présenter une base de 5 ou 6 m de largeur.
Cette démarche de génie écologique n’a pu être menée à bien. En effet, le suivi expérimental a été arrêté en 2013 après le passage d’une tempête qui avait provoqué “la verse du peuplement de Typha et rendu la station inaccessible“.
Vérifier les possibilités de gestion à moyen terme de T. domingensis en favorisant le développement de compétiteurs naturels est une piste qu’il semble tout à fait intéressant d’explorer, les intérêts des palétuviers et des mangroves qu’ils arrivent à constituer étant sans conteste parmi les meilleures défenses naturelles des îles tropicales face aux changements globaux à venir. Il serait donc tout à fait intéressant de relancer cette expérimentation
En revanche, elle ne semble pas pouvoir répondre à elle seule aux besoins de mise en place d’une stratégie globale de gestion à l’échelle de l’île : le recours à des méthodes adaptées aux différents sites colonisés va sans doute s’imposer.
Valoriser la biomasse ?
Cette dernière approche pourrait également être évaluée dans le contexte de la Guadeloupe. Il s’agit de qui est nommé dans la fiche du CABI “Control by utilization“, c’est-à-dire l’utilisation ultérieure de la biomasse végétale produite par l’espèce à réguler : transformer une nuisance en ressource… Dans cette section de la fiche du CABI, la seule information citée est “La récolte des feuilles de Typha peut réduire la repousse, si elle est suivie d’inondation”…
Les analyses et réflexions récentes sur les possibilités de valorisation des EEE (UICN France, 2018) comme moyen de régulation ont bien montré que des précautions particulières devaient être prises avant d’engager une démarche de cette nature. Le document présentait des points de vigilance préalables considérés comme une sécurité mais toute démarche de cette nature doit tout de même commencer par une analyse des possibilités : Typha domingensis, plante hélophyte de grande taille et productive de grandes quantités de biomasse végétale, peut-elle devenir en Guadeloupe une ressource et si oui, à quelles fins et dans quelles conditions ?
Si une référence ancienne en présente des possibilités générales pour la France (Gèze, 1922), où l’auteur détaillait déjà des possibilités d’utilisation des feuilles de Typha dans l’industrie textile, la fabrication du papier, le paillage des chaises, la tonnellerie, ou encore des engins de pêche, des démarches très importantes pour utiliser la biomasse produite par cette plante comme ressource à diverses fins sont déjà engagées en Afrique de l’Ouest depuis plusieurs années (voir page 24 de l’ouvrage sur les possibilités de valorisation des EEE, voir aussi l’article sur le sujet). Dans le rapport de Castellanet C. et al. (2019), un chapitre de quelques pages est consacré à cette valorisation économique du typha dans le contexte examiné. Il comporte un tableau récapitulatif l’état d’avancement technologique de ces différentes possibilités de valorisation.
Peut-être serait-il possible de s’inspirer de ces réflexions pour élargir la réflexion guadeloupéenne concernant T. domingensis et examiner les possibilités de valorisation éventuellement applicables dans le contexte de l’île ?
Une stratégie et une coordination de la gestion des EEE en cours de mise en place en Guadeloupe
Concernant les invasions biologiques dans les Antilles françaises, un premier bilan a fait l’objet d’un rapport en 2011, dont une version présentant un diagnostic et un état des lieux des connaissances a été diffusée en 2013 (Asconit Consultants, 2013). Il s’agissait d’un diagnostic commun établi à la demande des DEAL de la Guadeloupe et de la Martinique et de la Préfecture de Saint-Martin pour tenter d’établir une stratégie de gestion commune des EEE. Cette proposition de stratégie commune n’a pas été retenue, “notamment en raison des difficultés matériels existantes pour élaborer une gouvernance commune efficace“.
Un document présentant dans ce contexte une “stratégie guadeloupéenne de suivi et de prévention” a donc été produit la même année (DEAL Guadeloupe, 2013). Il y était toutefois précisé que cette stratégie de gestion des invasions biologiques en Guadeloupe visait également les Antilles françaises dans leur ensemble, pour “répondre aux enjeux communs mis en lumière par le diagnostic“. Ce plan d’actions présentait cinq axes “Prévention renforcée”, “Actions précoces”, “Lutte continue”, “Conduite du changement” et “Gouvernance patrimoniale”. Chacun de ces axes était décliné en deux ou trois actions, elles-mêmes comportant des mesures opérationnelles. La programmation des actions était prévue sur cinq ans (de 2014 à 2018) et une première estimation financière (“basse“) était de l’ordre de 500 000 €. Ce document n’a pas fait l’objet d’une mise en œuvre opérationnelle concrète.
Par ailleurs, une évaluation des coûts de gestion des EEE en Guadeloupe a été réalisée en 2016 par ASCONIT Consultants à la demande de la DEAL. Une enquête menée auprès d’opérateurs d’opérateurs publics et privés a permis de recenser les dépenses engagées de 2009 à 2014 sur le territoire pour réguler certaine des espèces exotiques déjà présentes et remédier aux dommages créés par ces espèces. Le montant total de ces dépenses sur la période étudiée était au minimum de 3,6 millions d’euros (argent public).
Après la publicationau niveau européen du règlement de 2014 et sa mise en œuvre, puis au niveau national de la Stratégie nationale relative aux espèces exotiques envahissantes de 2017, des évolutions importantes de la règlementation sur les EEE ont concerné directement la Guadeloupe. La mise en place de ces cadres règlementaires globaux a en effet amené des déclinaisons concernant ces espèces dans les départements et territoires ultramarins : en ce qui concerne la Guadeloupe, trois arrêtés ont été pris. Les deux premiers datent du 8 février 2018 et concernent la prévention de l’introduction et de la propagation d’espèces exotiques envahissantes sur le territoire de la Guadeloupe, pour la flore et la faune. Ils interdisent tous deux “l’introduction dans le milieu naturel, qu’elle soit volontaire, par négligence ou par imprudence, de spécimens vivants d’espèces] végétales ou animales [autres que celles énumérées en annexe I au présent arrêté“.
En date du 9 août 2019, le dernier arrêté porte également sur la flore et la prévention de l’introduction et de la propagation d”espèces mais comporte en plus une interdiction de toutes activités portant sur des spécimens vivants des espèces listées en annexe. Ces activités incluent “l’introduction sur le territoire, y compris le transit sous surveillance douanière, l’introduction dans le milieu naturel, la détention, le transport, le colportage, l’utilisation, l’échange, la mise en vente, la vente ou l’achat de spécimens vivants” de ces espèces végétales parmi lesquelles figure Typha domingensis.
Dans ce contexte, un groupe de travail EEE pour la Guadeloupe a été mis en place sous l’égide de la DEAL. Il réunit différents partenaires : DAAF, Direction de la Mer, ONCFS (OFB depuis le début de l’année), Service des Douanes, Parc national de la Guadeloupe, Conseil régional, Conseil départemental, etc. Il a pour missions :
– d’élaborer et de partager les grands principes d’une stratégie de lutte contre les EEE,
– de hiérarchiser les espèces ou groupes d’espèces devant faire l’objet de plans de lutte,
– de promouvoir les actions concrètes et lever les points de blocages,
– de préparer une communication grand public sur les EEE et la protection de la biodiversité indigène.
A notre connaissance, il s’est réuni le 11 décembre 2018, le 28 juin et le 19 novembre 2019. Parmi les questions abordées ont figuré des besoins d’amélioration des connaissances sur les espèces marines, les difficultés d’évaluation des flux d’espèces arrivant sur le territoire, les espèces domestiques et les sargasses, l’élargissement du réseau d’acteurs vers paysagistes, urbanistes, écoles et lycées agricoles, collectivités, etc., et les liens à établir en matière d’EEE avec le projet de “Plan régional forêt et bois” et avec le “Schéma Régional du Patrimoine Naturel et de la Biodiversité“. Un vaste panorama de points à aborder et de réflexions à mener.
Un document présentant une Stratégie régionale relative aux Espèces Exotiques Envahissantes en Guadeloupe est en cours de discussion. Rédigé en 2019 au nom de la DEAL et de l’ONCFS, sa version provisoire comporte 5 axes (“Gouvernance“, “Prévenir le territoire de la Guadeloupe de l’introduction d’espèces potentiellement invasives et prévenir leur propagation“, “Interventions de gestion des espèces et restauration des écosystèmes“, “Amélioration et mutualisation des connaissances” et “Communication, sensibilisation, mobilisation et formation“), déclinés en 11 objectifs et 22 actions.
La prochaine réunion de ce groupe de travail EEE est prévue courant Mars 2020. Son ordre du jour devrait porter sur la validation de ce projet de stratégie régionale et sur différents autres sujets, dont un bilan de l’atelier EEE Antilles françaises tenu à la Martinique du 10 au 13 février 2020 et organisé dans le cadre de l’Initiative sur les EEE du Comité français de l’UICN.
Dans le cadre de cet atelier, une présentation du “” a été préparée par la DEAL Guadeloupe au nom des principaux partenaires de la démarche, OFB, Office national des Forêts, Parc national de Guadeloupe et Conseil départemental de la Guadeloupe.
Commentaires finaux sur Typha domingensis en Guadeloupe
Pour en revenir aux questions concernant Typha domingensis, Daniel Imbert doit mettre en place cette année une deuxième phase d’étude, portant sur l’évolution des superficies colonisées, la biologie et la compétition de l’espèce avec les espèces indigènes : les informations complémentaires ainsi acquises pourront participer à l’amélioration de la stratégie de gestion à mettre en place sur cette espèce.
Par ailleurs, à l’occasion d’une recherche récente sur Internet, dans les références d’installations de traitements des pollutions par les plantes (“Jardins Filtrants®”) de la société Phytorestore, a été notée une fiche de présentation des Jardins Filtrants® de Port Louis en Guadeloupe, où les traitements des boues de station d’épurations sont assurés par des lits plantés. Les deux espèces de plantes choisies après “une étude exhaustive des plantes locales non invasives et indigènes de la région naturelle du projet” a conduit cette société a proposer de tester “deux espèces locales typiques des zones tropicales des Antilles et d’Amérique du Sud”, dont Typha domingensis, précisant que les plantes installées dans les bassins ont été produites par “une pépinière locale“. Compte-tenu des difficultés de discrimination des espèces de Typha déjà signalées, il se peut que cette détermination soit erronée mais il semblerait nécessaire de s’en assurer pour ne pas risquer une dispersion potentielle supplémentaire de cette espèce sur le territoire.
Rédaction : Alain Dutartre, expert indépendant
Contributions et relectures : Aude Kubik, DEAL Guadeloupe, Daniel Imbert, Université des Antilles, Emmanuelle Sarat et Doriane Blottière, Comité français de l’UICN.
Références
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