Depuis quelques années, certains produits d’origine naturelle sont expérimentés comme technique de gestion de certaines plantes exotiques envahissantes. Évitant de recourir à des méthodes manuelles jugées parfois fastidieuses ou à des produits phytosanitaires nocifs pour l’environnement, des substances naturelles comme l’extrait d’ail, le sel de mer ou encore des huiles essentielles ont ainsi été testées comme herbicides ou pour dévitaliser des souches.
Si ces essais sont pour l’instant anecdotiques et que l’efficacité de ces substances reste à démontrer à plus large échelle, il est nécessaire de rappeler que leur utilisation en tant qu’herbicide rentre dans le champ de la règlementation relative aux produits phytosanitaires, tout comme leur expérimentation.
De quoi parle-t-on ?
Dès lors qu’une substance possède une action dévitalisante, elle est considérée comme ayant une action phytosanitaire et de ce fait, doit être approuvées au niveau européen, soit en tant que substance active phytopharmaceutique, soit en tant que substance de base (Plante & Cité, 2021).
Les produits phytopharmaceutiques désignent les préparations contenant une ou plusieurs substances actives permettant de protéger les végétaux en détruisant ou éloignant les organismes nuisibles indésirables (y compris les végétaux indésirables) ou en exerçant une action sur les processus vitaux des végétaux. Une substance phytopharmaceutique est définie par son usage et non sa formulation chimique. Les herbicides et les insecticides entrent donc dans cette catégorie de produits.
Les substances de base sont des substances présentant un intérêt phytosanitaire, mais dont l’utilisation principale est autre que la protection des plantes. Les substances de base n’ont ni d’effets nocifs immédiats ou différés sur la santé humaine et animale, ni d’effets inacceptables sur l’environnement. Il s’agit souvent de denrées alimentaires telles que la bière, l’extrait d’oignon ou le sel de mer.
Les produits phytopharmaceutiques font l’objet d’une approbation européenne pour une durée limitée, qui est d’abord évaluée par le Comité Phytosanitaire permanent de la Commission européenne (PAFF). L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) évalue ensuite le dossier et émet un avis. Depuis le 1er juillet 2015 c’est également l’Anses qui se charge de délivrer pour la France, les autorisations de mise sur le marché (AMM) et les permis des produits phytopharmaceutiques (en savoir plus). L’évaluation et l’AMM sont réalisées de façon indépendante.
Au niveau français, le dossier biologique du produit phytosanitaire à homologuer doit garantir son efficacité, sa sélectivité (non phytotoxique) vis à vis de la culture concernée et son innocuité vis à vis de l’applicateur, du consommateur et de l’environnement. Des essais d’efficacité, de sélectivité et de résidus doivent être mis en place par des structures agrées BPE (Bonnes pratiques d’expérimentation) pour la réalisation d’essais officiels ou officiellement reconnus.
- La base de données des produits phytopharmaceutiques est disponible sur le site internet ephy.anses.fr et une base de données des substances actives approuvées est disponible en ligne sur le site de la Commission européenne (EU pesticides database).
Bien que les substances de base soient considérées en France, comme des préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP), elles ne peuvent pas être utilisées en Europe sans avoir préalablement été approuvées par le règlement CE n°1107/2009. Il s’agit d’une procédure d’approbation simplifiée, pour une durée illimitée et la substance est approuvée uniquement pour un ou plusieurs usages précis.
- Les substances de base approuvées sont listées sur le site de la Commission européenne et chaque substance fait l’objet d’un rapport précisant les usages autorisés. L’Institut technique de l’agriculture et l’alimentation biologiques (ITAB) synthétise ces informations sous forme de fiches accessibles.
Homologation de substances dévitalisantes pour la gestion des EEE
La plupart des substances actuellement testées par les gestionnaires ne sont pour l’instant pas homologuées ni en tant que substance active phytosanitaire, ni en tant que substance de base. Leur utilisation se limite à dans des contextes expérimentaux autorisés.
Des études doivent être menées pour pouvoir déposer une demande à l’Union européenne afin d’attester de l’innocuité de la substance et de la faire approuver en tant que substance active phytosanitaire. C’est seulement une fois la demande acceptée, que la substance peut être utilisée et uniquement pour l’usage demandé.
C’est ainsi qu’en 2021, l’usage du Chlorure de sodium (sel de mer) a été autorisé par la Commission européenne pour un usage comme herbicide sur le Séneçon en arbre, Baccharis halimifolia (Règlement d’exécution (UE) 2021/556 de la Commission du 31 mars 2021). La demande a été présentée par le Collectif Anti-baccharis, conformément à l’article 23, paragraphe 3, du règlement CE n°1107/2009, sans limite maximales de résidus (Charon, 2019).
S’agissant de Chlorure de sodium de qualité alimentaire (à la différence du sel de déneigement, qui n’est considéré ni comme substance de base, ni comme produit phytosanitaire), un dossier d’approbation de substances de base a été monté avec l’ITAB.
La constitution d’un tel dossier reste chronophage, et l’application du Chlorure de sodium est limitée à ce jour à un usage herbicide sur Baccharis halimifolia, dans un habitat bien défini (marais salant, zone littorale et zones salées) et dans des conditions précisées dans une fiche d’usage (Fiche d’usage filière JEVI – ITAB, 2020). Cette autorisation vient compléter celle de son utilisation comme fongicide et insecticide, approuvée en 2017 par la Commission (Règlement d’exécution (UE) 2017/1529 de la Commission du 7 septembre 2017).
L’application de chlorure de sodium sur d’autres plantes exotiques envahissantes, comme les jussies ou les renouées asiatiques, reste donc non-autorisée, et de nouvelles demandes devront être portées auprès de la Commission pour qu’elle le soit (ndlr : un dossier concernant la jussie a été déposé en mars 2021). En milieu humide, l’introduction de sel est interdite par la Loi sur l’eau, en raison des propriétés phytocides du sel, alors considéré comme source de pollution dans ces milieux.
Pour encadrer l’usage d’une substance en fonction des espèces, des territoires et de leurs enjeux, il est possible de monter un dossier de dérogation locale avec l’Anses. Des dérogations préfectorales, sous la forme d’arrêté, peuvent aussi autoriser l’application de certaines substances dans un cadre expérimental très précis.
Retours d’expériences sur l’utilisation de substances naturelles dévitalisantes
Dans le cadre de la gestion des végétaux exotiques envahissants, plusieurs substances naturelles dévitalisantes ont été expérimentées par les gestionnaires.
Utilisation de sel sur les jussies
Après l’obtention d’une autorisation d’expérimentation du sel comme phytocide par l’Anses, des expérimentations ont pu être menées avec des exploitants agricoles sur la jussie dans le territoire du Parc naturel régional de Brière (Da Silva, 2020). Du sel solide a ainsi été épandu sur 4 stations de jussie situées sur une parcelle à risque de colonisation élevée. Après un an d’expérimentation, la jussie est toujours présente sur les stations traitées mais avec un taux de recouvrement plus faible, passant de de 80-100 % à près de 50 %.
Ces résultats peuvent paraître encourageants, mais l’utilisation du sel a des effets négatifs sur la végétation non ciblée qu’il ne faut pas négliger. Des demandes de dérogation pour destruction d’espèces végétales protégées sont parfois nécessaires pour la mise en place de ces mesures expérimentales.
Dévitalisation à l’ail
D’autres pratiques occasionnelles rapportées par les gestionnaires concernent l’utilisation d’ail, qui émettrait au moment de sa germination des substances dévitalisantes. Après la coupe de l’espèce ciblée, des trous sont réalisés la souche de l’arbre ou de l’arbuste, pour y insérer des gousses d’ail ou des extraits concentrés. Les premières observations montrent un effet dévitalisant dans les six mois à plus de deux ans après l’intervention, notamment sur du Buddleia, du Faux-acacia ou de l’Amorpha faux indigo, mais ces résultats doivent être confirmés dans le cadre d’une démarche expérimentale.
D’un point de vue règlementaire, cette utilisation de l’ail n’est pas autorisée. L’ail et ses extraits pourraient toutefois faire l’objet d’une demande d’homologation en tant que substance de base, comme il s’agit d’une denrée alimentaire ayant un impact négligeable sur la santé humaine et l’environnement. C’est par exemple de cas de l’oignon, qui a été approuvé en tant que substance de base pour un usage fongicide en janvier 2021.
Dans cette perspective d’homologation, un programme pluriannuel sur la dévitalisation à l’ail sera lancé par Plante & Cité en 2022. Le programme visera notamment à mettre en place des expérimentations de gestion pour mieux comprendre les effets de l’ail sur des ligneux indigènes et exotiques. Plusieurs conditions d’utilisation et essences seront testés sur les voiries et ouvrages d’art (Guérin, M., comm., pers.).
Utilisation d’huile de cèdre contre la renouée
À la suite d’une expérience réalisée en 2014, l’association Escaut Vivant (dissoute depuis) avait observé un déclin inattendu d’une station de Renouée du Japon située sous un parement en cèdre, auquel un effet inhibiteur de tanins issus du bois avait alors été attribué. Une expérimentation a ensuite été menée pour tester plus spécifiquement l’effet de l’huile essentielle de cèdre sur la croissance de la Renouée du Japon. Pour faire le point sur cette méthode, le Cerema Nord-Picardie a rédigé une synthèse des retours d’expérience sur l’utilisation d’huile de cèdre contre la renouée en 2017 (Fournier, 2017). S’il semblait que l’huile essentielle de cèdre pouvait avoir un impact sur la croissance de la Renouée du Japon, d’autres expérimentations menées ensuite dans la région ont montré des résultats inégaux voire peu concluants sur les massifs testés. Dans sa synthèse, le Cerema indiquait que si les expérimentations venaient à être poursuivies, elles devaient cibler uniquement des massifs isolés, de petites tailles, loin des cours d’eau et de résurgences de nappes phréatiques ou étendues d’eau, ce pour limiter les conséquences mal maîtrisées pour l’environnement.
Face aux potentiels risques pour l’environnement, la DIR Nord du Cerema a également demandé la réalisation d’une expérimentation en laboratoire pour vérifier l’applicabilité et la pertinence de l’utilisation de cette technique. L’expérimentation menée par Prygiel (2021) montre qu’aucun effet significatif des huiles essentielles n’a été mesuré sur la croissance des renouées. Mettant ainsi fin à plusieurs années d’incertitude, ce rapport rappelle également que les études sur les huiles essentielles manquent encore de recul et de résultats sur la dégradabilité et la toxicité générale de ces huiles, en particulier sur les organismes non ciblés des sols (autres végétaux, bactéries du sol) et appelle à la plus grande prudence, même si ces effets peuvent sembler très faibles en comparaison avec des pesticides synthétiques.
Ce qu’il faut retenir
Ces solutions de dévitalisation sont parfois présentées comme des alternatives naturelles à l’application d’herbicides de synthèse. Leur utilisation doit cependant faire l’objet d’une demande d’autorisation auprès des structures compétentes (Anses pour des expérimentations locales, et Commission européenne à plus large échelle). L’efficacité des substances testées à ce jour reste limitée. Le développement d’expérimentations encadrées par des protocoles scientifiques et des autorisations réglementaires permettra de mesurer l’impact effectif de ces substances sur l’espèce ciblée, tout en prenant en compte la maitrise des risques associés sur l’environnement et les personnes.
Rédaction : Madeleine Freudenreich, Comité français de l’UICN
Relecture et contributions : Emmanuelle Sarat (Comité français de l’UICN), Alain Dutartre (expert indépendant), Maxime Guérin (Plante & Cité), Guillaume Fried (Anses), Patrice Marchand (ITAB), Pierre Ehret (DRAAF Occitanie)
Pour en savoir plus :
- Bortoli, C., Guérin, M., 2021, Abattage, essouchage, dévitalisation : des clés pour substituer et diversifier ces pratiques au bénéfice de la conservation et de la valorisation des arbres, Plante & Cité, 76 p.
- Da Silva, L. 2020. Développement d’une gestion agricole expérimentale répondant à la problématique Jussie en Brière entre 2016 et 2019. Rapport d’étape 2019. 29 p.
- Fournier, F. 2017. Synthèse des retours d’expérience sur l’utilisation d’huile de cèdre contre la renouée. CEREMA Nord-Picardie. DIR Nord. 20 p.
- Prygiel, E.,2021. Utilisation de l’huile essentielle de cèdre pour lutter contre la croissance de la renouée du Japon. Rapport d’expérimentation en laboratoire. Rapport d’étude du Cerema. 32 p.
- Charon M., Robin D., Marchand P A., 2019, The major interest for crop protection of agrochemical substances without maximum residue limit (MRL). Biotechnologie, Agronomie, Société et Environnement, 23(1), pp. 22-29.