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Une analyse européenne prospective et hiérarchisée facilitant l’identification d’EEE à venir ou à la répartition encore limitée

Depuis la mise en place du Règlement européen UE 1143/2014, relatif à la prévention et à la gestion de l’introduction et de la propagation des espèces exotiques envahissantes, plusieurs travaux ont été entrepris pour en améliorer l’efficacité, dont l’élaboration d’une liste d’espèces exotiques envahissantes préoccupantes pour l’Union européenne, aux mises à jours régulières.

Cette liste inclut différents types d’organismes de flore et de faune, sur la base d’évaluations de risques et de preuves scientifiques, qui sont de ce fait interdits dans l’Union Européenne d’importation, de vente, d’achat, d’utilisation et de libération dans l’environnement.

Dans le contexte du Réseau européen d’information sur les espèces exotiques (EASIN) permettant d’accéder aux données sur les EEE en Europe et contribuant à l’alimentation de cette liste, le rapport présenté par Karolina Czechowska et ses collèges a pour objectif de formaliser une approche méthodologique pour une identification plus efficace des EEE à soumettre aux évaluations de risques nécessaires à ces mises à jour de la liste (voir l’article Évaluations des risques soutenant l’élaboration de la liste des EEE préoccupantes pour l’UE – Centre de ressources EEE).

Dans son introduction, en rappelant que le taux d’introduction des EEE est en augmentation dans le monde entier (voir par exemple Hulme, 2009 ; Essl et al. 2015), ce rapport signale la nécessité d’identification des EEE susceptibles d’arriver dans le futur, pour réduire ou de prévenir de nouvelles invasions biologiques. Pour ce faire, une analyse prospective ou “balayage général” (“Horizon Scanning“) peut permettre une priorisation des EEE émergentes ou probables les plus menaçantes (le plus grand risque d’introduction) pour une région donnée (voir par exemple Roy et al., 2014).

N.B. : en 2017, une telle analyse a par exemple été appliquée en Irlande, permettant d’établir deux listes hiérarchisées, un Top 10 et un Top 40, pouvant aider à améliorer les politiques de gestion de ces espèces.

Cette analyse s’appuie donc sur un examen de la littérature disponible pour identifier et sélectionner les EEE susceptibles de constituer des risques futurs graves pour la biodiversité européenne.

Méthode utilisée

Recherche en ligne, constitution d’une base de données

Une recherche en ligne a été effectuée pour identifier les publications de recherche (évaluées par des pairs) publiées au cours de la dernière décennie, en se concentrant sur les EEE qui pourraient menacer l’Europe dans un avenir proche. Les études jugées éligibles pour l’analyse étaient celles portant sur “des espèces non encore présentes, ou présentes avec une distribution limitée dans les pays de l’UE, mais susceptibles d’arriver, de s’établir et de se propager, et d’avoir un impact sur la biodiversité indigène et les services écosystémiques associés au cours de la prochaine décennie“.

La compilation des données de ces publications comportait en particulier année de publication, champs d’application géographique, environnemental et taxon, aspects méthodologiques spécifiques, tels que le type d’évaluation d’impact, et groupes de risques spécifiques aux EEE tels que la possibilité de prévention et d’éradication précoce.

Sélection d’espèces pour une évaluation des risques

Les EEE déjà identifiées comme présentant un risque potentiel élevé pour l’UE ont été vérifiées par rapport aux espèces déjà répertoriées comme préoccupantes pour l’Union (et figurant dans la liste européenne) et pour les États membres (EEE réglementées au niveau national) qui ont été exclues de la suite de l’analyse.

L’ensemble des espèces restantes a été soumis à un processus de sélection en deux étapes. Tout d’abord, ont été systématiquement exclues les espèces :

  • Soulignées comme espèces à haut risque dans moins de deux des références examinées,
  • Non citées dans les références des études à l’échelle européenne mais seulement au niveau régional,
  • Dont l’origine géographique n’est pas identifiée avec certitude, c’est-à-dire considérées comme “cryptogénique” ou “douteuse” conformément à l’article 4 du règlement EEE,
  • Déjà soumises à une évaluation des risques en vertu du règlement sur les EEE,
  • Inscrites à l’annexe IV du règlement européen (CE) n° 708/2007 relatif à l’aquaculture,
  • Inscrites dans la directive européenne relative à la santé des végétaux (2031/2016).

Lors de la deuxième étape de cette sélection, les espèces ont fait chacune l’objet d’une évaluation par délibération au sein de l’équipe EASIN. Dans un premier temps, les informations pertinentes pour l’évaluation des risques ont été compilées : groupe taxonomique de l’espèce, habitat, modes de reproduction et de propagation, origine et aire de répartition indigène, voies d’invasion connues et probables, répartition actuelle dans l’UE et risques d’introduction, d’établissement et de propagation.

Les espèces ont ensuite été examinées plus en détail et exclues si elles ne remplissaient pas les 5 critères obligatoires du règlement sur les EEE permettant l’inscription d’une espèce sur la liste européenne, en lien avec l’article 4 du règlement 1143/2014 (voir infographie CDR EEE).

D’autres critères d’exclusion ont également été appliqués pour des espèces déjà largement répandues dans l’UE pour lesquelles aucun contrôle de gestion rentable ne pouvait leur être appliqué, des espèces dont la gestion potentielle serait irréaliste en raison de leurs caractéristiques spécifiques (par exemple, organismes planctoniques, dinoflagellés microscopiques), des espèces dont l’identification correcte est extrêmement difficile ou nécessite l’utilisation d’outils moléculaires, des espèces actuellement exploitées commercialement dans l’UE (par exemple le homard américain), ou élevées en aquaculture ou enfin des espèces dont leur tolérance physiologique ne permettrait pas leur expansion dans tous les écosystèmes de l’UE.

Intégration des informations dans la base EASIN

Les EEE identifiées lors de cette analyse sont ajoutées au catalogue et à la base de données géographiques de l’EASIN pour rendre disponibles leurs caractéristiques et leurs occurrences sur le territoire européen auprès des États membres et du grand public. Les espèces qui avaient été identifiées directement après l’examen de la littérature scientifique et sans besoin d’une évaluation supplémentaire ont été vérifiées par rapport au catalogue EASIN pour éviter toute duplication d’entrée d’espèces.

Pour les EEE ne figurant pas au préalable dans ce catalogue, selon le protocole EASIN, les informations suivantes ont été collectées :

  • Noms scientifiques et communs,
  • Taxonomie,
  • Environnement,
  • Aires de répartition indigènes (et le cas échéant, première localisation dans l’UE),
  • Statut : exotique (“Alien“), c’est-à-dire “tout spécimen vivant d’une espèce, d’une sous-espèce ou d’un taxon inférieur d’animaux, de plantes, de champignons ou de micro-organismes introduit en dehors de son aire de répartition naturelle (y compris toute partie, tout gamète, toute graine, tout œuf ou toute propagule de cette espèce, ainsi que tout hybride, toute variété ou toute race susceptible de survivre et de se reproduire ultérieurement”), douteux (“questionable“), c’est-à-dire les nouvelles entrées non vérifiées par des experts ou les espèces dont le statut taxonomique n’est pas établi, ou cryptogène (“cryptogenic“), c’est-à-dire les espèces pour lesquelles il n’existe aucune preuve définitive de leur statut (indigène ou exotique),
  • Voies potentielles ou identifiées de la Convention sur Diversité Biologique (CDB 2014).

Les espèces ayant reçu le statut exotique à la suite de cette analyse ont été insérées dans le catalogue et la base d’informations d’EASIN en complément de celles y figurant déjà. Les informations concernant l’ensemble de ces espèces y sont accessibles en ligne. Les espèces ayant reçu le statut douteux ou cryptogénique ont été temporairement exclues en attendant l’avis des experts.

Étude de cas : sélection de 10 espèces pour l’évaluation des risques

La Direction générale de l’environnement de l’UE a demandé à l’équipe EASIN de compiler en deux semaines des preuves (“evidences“) sur les espèces exotiques à haut risque et de réaliser une étude de cas sur 10 espèces, comme proposition pour une future mise à jour de la liste des EEE préoccupantes pour l’Union.

Collecte des données

La recherche en ligne sur les EEE a permis de rassembler comme articles de référence dix publications de veille prospective (“horizon scanning“), des analyses larges évaluées par des pairs et publiées entre 2014 et 20211 (annexe 1 du document), éligibles comme bases car produites durant la dernière décennie, incluant le territoire européen et utilisant des définitions des EEE compatibles avec celle utilisée dans le cadre européen. Leur examen a permis d’identifier 491 EEE potentielles à haut risque pour l’Europe.

Exclusions systématiques

Parmi ces 491 EEE potentielles, des exclusions systématiques ont été effectuées :

  1. Espèces citées dans une seule des références utilisées : 179 espèces restantes,
  2. Espèces non citées dans les trois références paneuropéennes utilisées : 172 espèces restantes,
  3. Espèces préoccupantes pour l’Union (y compris la mise à jour de 2021 de la liste des espèces préoccupantes pour l’Union) et pour les États membres : 82 espèces restantes,
  4. Espèces au statut “douteux” ou “cryptogène” : 76 espèces restantes,
  5. Espèces dont le risque a déjà été évalué : 68 espèces restantes.

Enfin, parmi les espèces restantes, aucune n’était inscrite à l’annexe IV du règlement (CE) n° 708/2007 relatif à l’aquaculture, mais une espèce (l’agrile du frêne, Agrilus planipennis), déjà inscrite sur la liste de la directive européenne concernant la santé des végétaux (2016/2031)  a donc été exclue de la liste, laissant donc 67 espèces à examiner par l’équipe EASIN.

Délibération et liste finale

Le choix de dix espèces pour la liste finale proposée a été réalisé grâce aux échanges au sein de l’équipe EASIN, portant sur l’environnement, la taxonomie et les voies d’invasion probables des espèces. Pour ce faire, ont été exclues les espèces qui remplissaient au moins l’une des conditions suivantes :

  1. Partiellement indigène,
  2. Peu susceptibles de s’établir dans l’UE,
  3. Sans information sur les impacts négatifs,
  4. Dont la désignation en tant que préoccupation de l’Union ne pourrait prévenir leurs impacts négatifs,
  5. Espèces lessepsiennes ou se propageant par dispersion naturelle,
  6. Déjà répandues dans l’Union européenne
  7. Dont la gestion serait irréaliste en raison de la nature de l’espèce ou de problèmes d’identification,
  8. Exploitées commercialement
  9. Dont la physiologie les empêcherait de se répandre dans l’UE.

Les 46 espèces restantes après ces exclusions successives ont fait l’objet de discussions approfondies dans l’équipe EASIN afin de choisir les espèces considérées comme présentant le risque le plus élevé et les plus susceptibles de faire l’objet d’évaluations de risque supplémentaires. 5 espèces végétales et 5 espèces animales ont finalement été retenues. Les informations sur ces espèces (critères du règlement sur les EEE, évaluations des risques, possibilités de gestion, et caractéristiques pertinentes pour l’évaluation des risques, telles que l’écologie et le potentiel d’invasion) sont présentées dans un tableau de synthèse.

La liste finale des espèces proposées à la DG Environnement pour l’évaluation des risques est présentée dans le tableau 1.

Un tableau synthétique présentant quelques caractéristiques et une illustration de ces différentes espèces a également été réalisé dans le cadre de cet article. (cliquez sur le lien pour le consulter).

Ajouts d’informations au catalogue et à la base d’informations EASIN

Après vérification par rapport à la base de données EASIN, des compléments d’informations sur 79 espèces issus de cette analyse y ont été insérés. Certaines espèces jugées problématiques sont restées exclues de ces ajouts, il s’agit de :

  • carpes hybrides (Cyprinus carpio x Carassius auratus, Cyprinus carpio x Carassius gibelio, ou Cyprinus carpio x Carassius carassius) : la raison est un manque d’informations sur ces hybrides,
  • Microtus agrestis : le campagnol agreste est originaire d’Europe continentale, le comité d’EASIN doit confirmer si l’espèce doit être considérée comme une menace pour l’Irlande,
  • Phragmites australis (Roseau commun) : le comité d’EASIN doit donner son avis sur le statut indigène ou exotique de l’espèce,
  • Sparus aurata (Daurade royale) : informations insuffisantes pour définir le statut d’espèce exotique pour les îles Canaries et Madère,
  • Thymallus thymallus (Ombre commun) : considéré comme indigène en Europe.

 

Conclusions

Les auteurs du rapport notent qu’une telle analyse prospective est un outil essentiel pour soutenir la mise en œuvre du règlement européen sur les EEE en identifiant les EEE potentielles qui pourraient arriver prochainement sur le territoire européen. Il s’agit d’un moyen efficace pour évaluer et atténuer les risques futurs des invasions biologiques en permettant aux États membres de mieux prévenir ou de détecter et d’éradiquer rapidement de nouvelles EEE, ce qui est essentiel pour la réussite de leur gestion.

Ils rappellent que les études réalisées peuvent utiliser des méthodologies différentes et donc différer en termes d’environnement, de portée taxonomique et géographique, etc. C’est pourquoi le recours à des études larges, de balayage général, est extrêmement important pour tenir régulièrement informés les États membres des invasions biologiques potentielles.

L’approche méthodologique présentée dans ce rapport permet de classer par ordre de priorité les futures menaces d’EEE dans l’UE, en mettant en évidence de nouvelles espèces exotiques, de mettre à jour les informations et de proposer des espèces de forte priorité pour les évaluations de risques nécessitées par l’actualisation des listes EEE de préoccupations futures de l’Union et des États membres. L’étude de cas réalisée dans le cadre de cette approche méthodologique a été un test comportant une forte contrainte de temps (deux semaines). Avec ses exclusions successives systématiques et un consensus par délibération, la méthodologie utilisée s’est avérée être un outil rapide et efficace.

Enfin, les listes d’espèces compilées dans le cadre d’un tel exercice de révision permettent également d’enrichir le catalogue et la base de données géographiques de l’EASIN. Disponibles pour les États membres et le grand public, ces informations peuvent être directement utilisées pour améliorer les efforts de surveillance dans les États membres, faciliter les détections précoces de nouvelles EEE et faire progresser les démarches de biosécurité.

N.B. : dans la base EASIN, les “autorités compétentes” françaises consultables citées pour obtenir des informations sur les EEE sont le Ministère de la Transition écologique, l’Office français de la biodiversité, le Comité français de l’UICN, le Centre de ressources sur les EEE et OpenObs, le portail d’accès de l’INPN aux données d’observations des espèces.

 

Consultez le rapport : Czechowska, K., Cardoso, A. C., Magliozzi, C., Gervasini, E., Oriented analysis to enable prioritization of Invasive Alien Species (EU Regulation 1143/2014), EUR 31212, Publications Office of the European Union, Luxembourg, 2022, doi:10.2760/104047, JRC130498

Références citées dans l’introduction :

  • Hulme, P. E. (2009). Trade, transport and trouble: managing invasive species pathways in an era of globalization. Journal of applied ecology, 46(1), 10-18.
  • Essl, F., Bacher, S., Blackburn, T. M., Booy, O., Brundu, G., Brunel, S., … & Jeschke, J. M. (2015). Crossing frontiers in tackling pathways of biological invasions. BioScience, 65(8), 769-782.
  • Roy, H. E., Bacher, S., Essl, F., Adriaens, T., Aldridge, D. C., Bishop, J. D., … & Rabitsch, W. (2019). Developing a list of invasive alien species likely to threaten biodiversity and ecosystems in the European Union. Global Change Biology, 25(3), 1032-1048.

 

Rédaction : Alain Dutartre, expert indépendant

Relecture : Madeleine Freudenreich (Comité français de l’UICN)