Répartition/observations de l’espèce dans l’Hexagone
La première identification de Myriophyllum heterophyllum dans l’hexagone a été réalisée en juillet 2011 en Haute-Vienne. Depuis cette époque, cette plante immergée, inscrite sur la liste des espèces exotiques envahissantes jugées préoccupantes pour l’Union Européenne, a été observée dans de nombreux sites du Nord et de l’Est. En particulier, elle s’est répandue et fortement développée en quelques années dans les voies navigables, y causant de fortes nuisances. Cette évolution rapide a nécessité la mise en œuvre de coûteuses opérations de gestion pour tenter de contenir les populations et permettre la poursuite des activités.
Des travaux de régulation de cette espèce dans le Canal de la Somme ont d’ailleurs été mis en œuvre dès 2011 par le Conseil Départemental de la Somme. Ils ont été présentés dans un retour d’expérience faisant état des interventions menées de 2011 à 2017 mis en ligne début 2018.
Par la suite, une fiche d’alerte sur l’espèce a été publiée en juillet 2015 dans la rubrique « A surveiller de près ».
A la même époque, la Direction Territoriale Nord-Est de Voies Navigables de France a commencé à rencontrer des difficultés pour la navigation de plaisance et l’entretien de ses infrastructures dans deux canaux dont elle a la charge : le Canal Champagne-Bourgogne et le Canal de la Marne au Rhin Ouest.
De premières investigations de terrain destinées à mieux comprendre les capacités écologiques de l’espèce pour adapter les moyens de la contrôler ont débuté en 2018. Mises en œuvre en collaboration avec VNF par le Laboratoire Interdisciplinaire des Environnements Continentaux (LIEC UMR 7360 CNRS ; liec.univ-lorraine.fr) de l’Université de Lorraine, elles ont permis la publication en 2020 d’un article scientifique établissant une revue générale des connaissances scientifiques (écologie et impacts environnementaux) relatives à cette espèce, « …an Aggressive Invader in European Waterways« . Cette publication scientifique en accès libre a servi de base très complète à la rédaction d’un article récemment édité par le Centre de Ressources présentant les capacités colonisatrices de la plante.
Rencontrant des difficultés croissantes de gestion de différentes plantes aquatiques envahissantes dans ses réseaux de canaux, VNF a organisé en février 2024, avec l’Office français de la biodiversité (OFB), un webinaire sous-titré « Maîtriser la prolifération des plantes aquatiques exotiques envahissantes aquatiques » qui, au final, a été très largement consacré au Myriophylle hétérophylle, espèce devenue en quelques années la principale nuisance rencontrée. Des présentations d’informations sur des expérimentations en cours et des travaux réguliers sur les canaux concernés ont fait l’objet de nombreux échanges entre les participants à ce webinaire dressant un panorama complexe des enjeux et des possibilités de gestion de cette espèce.
Approfondir les connaissances scientifiques sur l’espèce
Les investigations de terrain du LIEC se sont poursuivies par la mise en place d’une thèse de doctorat consacrée à cette espèce, avec pour objectifs de recherche de mettre en regard de l’écologie de la plante, les problématiques de gestion et de prévention et les services écosystémiques concernés par sa présence. Avec un financement assuré par l’Agence de l’Eau Rhin-Meuse, VNF et le Conseil Départemental de la Somme, des travaux ont été réalisés sur des aspects de gestion, prévention et valorisation de cette espèce.
Durant cette thèse, des suivis de terrain, prélèvements et analyses se sont déroulés de 2021 à 2023 dans 34 biefs de 8 voies navigables. Deux de ces suivis ont concerné des expérimentations de gestion, le premier (2021-2023) dans le port de Saint-Jean-de-Losne (Côte d’Or), le second (2022-2023) dans le département de la Somme. En complément de ces analyses des conditions environnementales de sites colonisés par l’espèce, plusieurs expérimentations en microcosme au laboratoire ont permis de mieux en comprendre la large niche écologique.

Port de St-Jean-de-Losne en août 2024 ©Hélène Groffier
Le manuscrit de thèse est organisé en 5 chapitres et une conclusion générale.
Une première partie du mémoire est consacrée à une revue générale de la littérature scientifique sur les facteurs influençant les développements de plantes dans les milieux aquatiques continentaux et leurs conséquences. Elle se termine par un point d’actualité sur les connaissances disponibles sur l’écologie et la gestion de M. heterophyllum.
Le chapitre 2 a cherché à mieux évaluer les caractéristiques de la niche écologique de l’espèce. Relativement étendue, elle lui permet de se développer dans une large gamme de valeurs des paramètres physicochimiques des eaux et des sédiments. A partir des données collectées sur le terrain et d’analyses d’eau, de sédiments et de la plante, il s’agissait préciser les conditions environnementales des sites colonisés, les variations interannuelles de ces facteurs et des caractéristiques des plantes (traits d’histoire de vie, physiologie, composition chimique). L’ensemble de ces données et leurs analyses a permis de montrer que, dans les conditions environnementales des voies navigables étudiées, aucun des facteurs physico-chimiques retenus n’avait permis de mettre en évidence une limitation des capacités de développement de M. heterophyllum.
Le chapitre 3 a porté sur l’examen des effets des interventions de gestion sur la plante. L’objectif était de mieux comprendre ses capacités d’adaptation aux modifications environnementales locales créées par ces interventions (sa plasticité). Quatre opérations ont fait l’objet de suivis et de commentaires.
Le premier de ces suivis a concerné un test d’application de colorant mis en œuvre dans la Somme en 2022 et 2023. Les analyses réalisées sur la physicochimie des eaux et des sédiments et sur les plantes (biomasse, pigments photosynthétiques), comme les mesures sur la transmission de la lumière modifiée par le colorant dans les eaux, n’ont pas permis de conclure quant à l’efficacité de cette application, d’autant que certains des biefs de test subissaient durant la même période d’autres interventions de gestion de la plante.
Les trois autres portaient sur des « études de cas » d’interventions de VNF, l’un sur du faucardage avec du matériel classique, un autre sur le recours à des « bateaux-râteaux », testés expérimentalement dans un site, le dernier sur une opération d’arrachage manuel envisagé comme une intervention d’urgence sur un début de colonisation. L’ensemble de ces examens et commentaires a débouché sur des réflexions et des propositions concernant l’élaboration d’un protocole de gestion adapté à de telles espèces végétales éminemment adaptables.
Le quatrième chapitre rassemble deux expérimentations en laboratoire (microcosmes) destinées à mesurer la variation des traits des plantes en réponse à une contrainte environnementale unique, de manière à éliminer toute autre variabilité environnementale.
La première a consisté en l’étude de la compétition avec une espèce indigène du même genre, Myriophyllum spicatum, communément observée dans les canaux étudiés mais connue en tant qu’espèce exotique et envahissante en Amérique du Nord (États-Unis et Canada) où elle cause de nombreuses nuisances. L’objectif était d’évaluer les rôles de l’alcalinité et de l’azote en tant que facteurs influençant le développement des plantes. Les comparaisons ont porté sur les traits d’histoire de vie, la composition chimique, les pigments, etc. des deux espèces testées. Dans ces conditions de laboratoire, les deux facteurs choisis n’ont pas eu d’impact significatif sur les caractéristiques morphologiques et physiologiques de M. heterophyllum et aucune compétition notable entre ces deux espèces n’a été observée, confirmant la grande ampleur de la niche écologique de l’espèce exotique.
La seconde expérimentation a testé les effets en laboratoire du mélange de colorants utilisé pour gérer M. heterophyllum dans le port de Saint-Jean-de-Losne. Les plantes ont été soumises à des intensités lumineuses soit élevées soit faibles, de l’ordre des intensités lumineuses naturelles estivales et hivernales, et avec ou sans colorant.
Les concentrations en colorant dans ces tests ont été calculées pour imiter la réduction de la lumière obtenue à 1 m de profondeur après l’épandage du colorant sur le site d’expérimentation. De faibles variations de certains des traits d’histoire de vie mesurés ont été notées (longueur des tiges, teneur en matière sèche des feuilles, par exemple). Dans trois des modalités testées (intensités faibles et fortes sans colorant, intensité forte avec colorant) les plantes ont montré une croissance notable, avec quelques adaptations morphologiques selon les conditions. Seules les plantes cultivées en faible lumière et avec colorant ont montré de médiocres performances (croissance la plus faible, signes de stress physiologique).
Le dernier chapitre a tout d’abord examiné les connaissances disponibles sur la biodiversité de ces milieux artificiels créés depuis plus d’un siècle pour mieux en évaluer leurs fonctionnalités en termes de services écosystémiques afin de ne pas risquer de les sous-estimer dans les décisions et interventions de gestion. La contribution d’un écosystème au bien-être humain par une analyse des divers services écosystémiques (support, régulation, approvisionnement et culture) peut en effet être appréciée même si le caractère artificiel et relativement récent de ces canaux peut être une limite à une biodiversité maximale.
Un examen similaire s’est ensuite spécifiquement porté sur M. heterophyllum pour faire un point sur les différentes fonctionnalités ou rôles que peut jouer cette espèce en tant qu’ingénieur, à l’instar d’autres plantes aquatiques, vis-à-vis du milieu (par exemple consommation et stockage temporaire de nutriments) et des communautés de faune (habitat, support de ponte pour les invertébrés, etc.) en particulier dans le cas où son éradication serait la solution de gestion envisagée.


Canal de Bourgogne – Juin 2023 ©Hélène Groffier
Port de Dijon – Juin 2023 ©Hélène Groffier
Un commentaire...
Il subsiste nécessairement un très grand écart, à la fois en termes de précisions des données obtenues et des conclusions qui peuvent en être tirées, entre des expérimentations de laboratoire aux protocoles très rigoureux et des suivis de terrain aux conditions réelles quelquefois très variables.
Dans le premier cas, il reste possible d’évaluer de manière assez précise les impacts d’un seul paramètre environnemental sur l’espèce testée puisque tous les autres sont artificiellement fixés par le protocole expérimental.
Dans le second, c’est beaucoup plus difficile, sinon impossible, puisque divers paramètres environnementaux aux variabilités multiples et en interconnexion permanente peuvent exercer dans le site étudié une influence composite en perpétuelle évolution sur les quelques paramètres mesurés dans le milieu. Ce qui rend alors l’interprétation des résultats obtenus plus difficile à réaliser et réduit la précision de ce qui pourrait en être extrait comme conclusion.
Depuis plus de deux décennies, au fur et à mesure de l’accroissement dans l’hexagone des difficultés de gestion de plusieurs plantes aquatiques, des efforts importants ont été mis en œuvre pour installer des recherches dans une interface avec cette gestion opérationnelle afin de contribuer à son amélioration, aussi bien en termes d’efficacité que de réduction des impacts sur les communautés vivantes non visées par les interventions.
A ce titre, sur cette espèce et sa gestion, les travaux réalisés durant cette thèse, positionnés sans équivoque dans cette interface recherche-gestion, apportent des compléments d’information et un ensemble d’éléments de réflexion tous utiles sur ces dynamiques environnementales complexes et leurs relations avec les souhaits, les besoins et les nécessités des acteurs de notre société qui y sont confrontées de près ou de loin (du plaisancier jusqu’à l’agent de terrain de VNF…). Il ne s’agit pas de révolutionner les connaissances mais d’en poursuivre une acquisition organisée dans cette démarche itérative continue qu’est la recherche scientifique.
Rédaction : Alain Dutartre (expert indépendant)
Relectures : Hélène Groffier (spécialiste de l’espèce), Elisabeth Gross (LIEC UMR 7360 CNRS ; Université de Lorraine)
Intitulée « Une espèce aquatique exotique envahissante préoccupante dans les voies navigables : aspects de gestion, prévention et valorisation du myriophylle hétérophylle« , cette thèse a été soutenue en décembre 2024 par Hélène Groffier.
N. B. : Le mémoire de cette thèse peut être obtenu en en faisant la demande auprès de Elisabeth Gross, Laboratoire LIEC UMR 7360 CNRS, elisabeth-maria.gross@univ-lorraine.fr, ou via le lien https://theses.fr/2024LORR0208