L’Australie est un pays pionnier et leader en matière de protocoles de biosécurité et de gestion des EEE. Sa situation insulaire en a fait depuis très longtemps un des pays les plus soumis aux invasions biologiques. Ainsi, afin de protéger la biodiversité australienne comptant de nombreuses espèces endémiques, ainsi que ses paysages et sa production agricole, le pays présente les protocoles de biosécurité parmi les plus stricts au monde. Les impacts de certaines espèces en Australie sont d’ailleurs parmi les plus importants et les mieux documentés de la planète : lapins, renards, Carpe commune européenne (Cyprinus carpio), Vipérine faux-plantain (Echium plantagineum), etc.
Sur 2 700 espèces introduites dans le pays, 429 sont déclarées nuisibles ou sont règlementées. Parmi elles, la fourmi de feu Solenopsis invicta fait l’objet de la campagne d’éradication d’EEE la plus coûteuse réalisée en Australie à ce jour (voir notre article à ce sujet dans la lettre d’information de novembre 2017).
Au terme d’une étude publiée en 2016 (Hoffman et Broadhurst, 2016), deux chercheurs australiens du CSIRO ont réalisé une estimation globale des coûts liés aux espèces exotiques envahissantes terrestres et d’eau douce en Australie, comptabilisant les pertes économiques et les coûts de gestion. Selon leurs estimations, ce montant s’élèverait à 9,8 milliards de dollars australiens pour l’année fiscale 2001-2002 et à 13,6 milliards pour 2011-2012 (soit respectivement environ 7,6 et 10,65 milliards de dollars américains). Cependant, les auteurs précisent qu’il s’agit d’une estimation probablement largement sous-estimée et qu’il est difficile de distinguer si cette augmentation des coûts traduit une augmentation des impacts ou une prise de conscience croissante de la problématique. De plus, les coûts des pathogènes et maladies pouvant impacter la santé humaine n’y ont pas été intégrés, ni les dépenses de prévention de l’introduction d’EEE aux frontières, les coûts étudiés concernant seulement ceux des espèces déjà établies.
Organisation fédérale pour la recherche scientifique et industrielle (Australie).
Selon les auteurs, les données globales sur les coûts des impacts et de la gestion de ces espèces à l’échelle du pays sont peu nombreuses, difficiles à obtenir et très hétérogènes, et témoignent du manque actuel d’attention consacré à la collecte de ce type de données. Par exemple, la plupart des herbicides étant utilisés à la fois sur des plantes exotiques et sur des indigènes nuisibles, il est difficile de distinguer le surcoût lié à la présence des espèces exotiques. Il existe également un manque de transparence dans les financements, lié à la multiplicité des financeurs et des programmes (collectivité locale, État, Gouvernement fédéral, entreprises privées) et à l’intégration de la gestion des espèces exotiques envahissantes dans les problématiques générales de gestion de l’environnement, ce qui rend d’autant plus difficile la collecte des informations appropriées et leur intégration dans une même analyse.
Lorsque des données existent, les chiffres sont souvent focalisés uniquement sur certains taxons ou certains impacts, et les méthodes de calcul utilisées peuvent différer, ce qui rend les données difficilement comparables et compilables. À titre d’exemple, en 2004 le coût cumulé des impacts des 11 espèces de vertébrés les plus problématiques en Australie avait été estimé à 720 millions de dollars (Mc Leod, 2004) et en 2007, les pertes agricoles causées par les invertébrés exotiques envahissants ont été estimées à 4,7 milliards de dollars annuels (BRS, 2007).
Cette étude, qui avait pour but de fournir une première quantification globale des pertes économiques et des dépenses liées aux EEE en Australie, met également en lumière le besoin d’améliorer et d’harmoniser la quantification des coûts et des dépenses engendrées par les EEE, afin d’améliorer les programmes d’actions, la sensibilisation du public et des politiques, et de documenter avec plus de précision l’ampleur de la problématique pour apporter une gestion appropriée. Cependant elle traduit aussi les grandes difficultés d’évaluations financières des impacts des EEE, constat partagé par de nombreuses autres études (Bradshaw et al., 2016 ; Pimentel et al., 2005 ; Kettunen et al., 2009).
Rédaction : Doriane Blottière, Comité français de l’UICN
Relectures : Emmanuelle Sarat, Comité français de l’UICN, Alain Dutartre, expert indépendant.
Retrouver tous les articles du dossier sur l’évaluation des coûts des espèces exotiques envahissantes :
– Le coût mondial des impacts des insectes exotiques envahissants, largement sous-estimé?
– Analyse coût-bénéfice du contrôle des espèces exotiques envahissantes : le cas de la Bernache du Canada Branta canadensis en Flandres (Belgique)
En savoir plus :
- Hoffman, B., Broadhurst, L. M. 2016. The economic cost of managing invasive species in Australia. NeoBiota 31: 1-18.
- McLeod, R. 2004. Counting the cost. Impact of invasive animals in Australia. Cooperative Research Centre for Pest Animal Control, Canberra, 82 pp.
- BRS . 2007. Australia – Our Natural Resources at a Glance. Department of Agriculture, Fisheries and Forestry, Camberra, 1-52.
- Kettunen, M., Genovesi, P., Gollasch, S., Pagad, S., Starfinger, U., ten Brink, P., Shine, C. 2009. Technical support to EU strategy on invasive species (IAS) Assessment of the impacts of IAS in Europe and the EU (final module report for the European Commission). Institute for European Environmental Policy (IEEP), Brussels, Belgium. 44 pp. + Annexes.
- Bradshaw, C. J. A. et al. (2016). Massive yet grossly underestimated global costs of invasive insects. Nat. Commun. 7, 12986 doi: 10.1038/ncomms12986
- Pimentel, D., Zuniga, R., Morrison, D. 2005. Update on the environmental and economic costs associated with alien-invasive species in the United States. Ecological economics, 52 (3): 273-288.