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Une large sous-estimation du coût mondial des impacts des insectes exotiques envahissants ?

Dans le monde entier, des insectes sont responsables de la propagation de maladies au bétail et aux humains, de ravages de cultures et de stocks alimentaires, de dégradations de forêts et d’infrastructures humaines, d’altérations de certaines fonctions des écosystèmes et d’une diminution de leur résilience aux perturbations. Cette classe d’invertébrés, comprenant environ 2,5 millions d’espèces, est probablement celle engendrant le plus de dépenses pour la société humaine.

Au niveau mondial, selon les estimations actuelles, les insectes ravageurs réduisent la production agricole de 10 à 16 %, et en consomment approximativement la même quantité après récolte. Conserver une production agricole capable de nourrir une population mondiale en augmentation tout en conservant la biodiversité est donc un défi croissant.

La Teigne des crucifères, Plutella xylostella © D. Hobern

Il est cependant très difficile d’avoir accès à des estimations économiques de leurs impacts : les données ne sont pas centralisées, restent souvent à l’échelle d’une région réduite et sont réalisées sur des laps de temps variables. Sur les 86 espèces d’insectes exotiques envahissants recensés par le GISD , aucune estimation d’impact économique n’existe pour 81,4 % d’entre elles, et pour 12,8 % d’autres les estimations disponibles ne sont pas vérifiables.

http://www.iucngisd.org/gisd/ : base de données mondiale des espèces envahissantes développée par l’UICN.

C. Bradshaw et ses collègues (2016) ont compilé les données disponibles les plus complètes et les ont standardisées afin d’obtenir une estimation en dollars américains. Ils ont également réalisé des extrapolations à de plus larges échelles régionales et séparé les coûts en deux grandes catégories : « biens et services » (production agricole, foresterie, biens culturels) et « santé humaine ». Le résultat de leur estimation annuelle mondiale s’élève à 70 milliards de dollars pour les biens et services, auxquels s’ajoutent 6,9 milliards pour la santé.

Les États-Unis et l’Europe présentent les coûts (dépenses de gestion et pertes économiques) les plus élevés, respectivement 27,3 milliards et 3,6 milliards de dollars, mais ces chiffres pourraient être le reflet d’efforts de recherche d’information plus élevés plutôt qu’un réel reflet de la répartition régionale de ces coûts. A l’échelle mondiale, l’espèce la plus coûteuse serait le termite Coptotermes formosanus, qui serait responsable à lui seul de dépenses estimées à 30,2 milliards de dollars (cependant ces données s’appuient sur une unique source dont la fiabilité est discutée). Suivent ensuite la Teigne des crucifères Plutella xylostella, les longicornes Tetropium fuscum et Anoplophora glabripennis, et le Bombyx disparate Lymantria dispar, pour des coûts annuels estimés entre 3 et 4,6 milliards de dollars pour chacune de ces espèces.

Figure 1 : Coûts sur les biens et services associés aux insectes exotiques envahissants (en milliards de dollars américains). Catégorisés par régions (a), type de biens et services (c), et pour les 10 insectes les plus coûteux (e). Les chiffres entre parenthèses indiquent le nombre de sources pour chaque catégorie.

La plupart des dépenses de santé humaine sont liés à la dengue (84 %) et au West Nile Virus (15 %), transmis par les moustiques Aedes albopictus et A. aegypti. L’Asie, l’Amérique du Nord et l’Amérique Centrale/Amérique du Sud présentent les coûts annuels les plus élevés (respectivement 2,84, 2,06 et 1,85 milliards de dollars). Il est à noter que les dépenses induites par la malaria ne sont pas inclues dans l’analyse car le moustique vecteur est indigène dans la plupart des régions où la maladie est présente. Ne sont également pas inclus tous les coûts liés à l’impact sur le tourisme et la qualité de vie, et de nombreuses données sont manquantes comme par exemple les coûts historiques d’épidémies de dengue et de fièvre jaune.

Figure 2 : Coûts sur la santé humaine associés aux insectes exotiques envahissants (en milliards de dollars américains). Catégorisés par régions (a), et par maladie (c). Les chiffres entre parenthèses indiquent le nombre de sources pour chaque catégorie. Ant allergy = allergie liée aux fourmis ; wasp stings accidents = piqûres de guêpes.

Tout comme l’estimation des services écosystémiques, l’estimation des coûts liés aux espèces exotiques envahissantes est donc particulièrement difficile. Ainsi, le coût de la dégradation des services écosystémiques par les espèces exotiques envahissantes est encore inconnu. De plus, il apparait difficile d’extrapoler les coûts d’impacts d’une espèce dans une région donnée à ceux possibles dans d’autres régions en raison des différences de climat, de cultures, d’infrastructures, d’occupation humaine, etc.

Les coûts réels engendrés par les insectes exotiques envahissants sont donc probablement très largement supérieurs à ces estimations, et continueront d’augmenter avec l’expansion de leur répartition liée à l’augmentation des déplacements humains et du commerce international, ainsi qu’aux changements climatiques. De plus, les données disponibles concernent seulement les insectes pour lesquels les impacts directs sont les plus importants alors que les coûts indirects sont rarement étudiés.

Figure 3 : Impacts causés par les insectes exotiques envahissants, par catégorie d’impacts. Les coûts des catégories notées en bleu n’ont pas été estimés au cours de cette étude en raison du manque de données.

Les auteurs rappellent que la vigilance, la biosécurité et la réponse rapide sont bien souvent moins coûteuses que la gestion à mettre en place après l’établissement des EEE. Ils recommandent donc d’améliorer l’estimation des coûts générés par les insectes exotiques envahissants, tout en augmentant les mesures de prévention et de détection.

Retrouver tous les articles du dossier sur l’évaluation des coûts des espèces exotiques envahissantes :
À propos du coût de la gestion des espèces exotiques envahissantes en Australie
– Analyse coût-bénéfice du contrôle des espèces exotiques envahissantes : le cas de la Bernache du Canada Branta canadensis en Flandres (Belgique)

En savoir plus :

Rédaction : Doriane Blottière, Comité français de l’UICN,
Relectures : Alain Dutartre, expert indépendant, Emmanuelle Sarat, Comité français de l’UICN