Un atelier du G7 sur les espèces exotiques envahissantes (Rome, 26 novembre 2024)

Le cadre mondial de la biodiversité Kunming-Montréal (CMBKM) adopté en décembre 2022 comporte quatre objectifs principaux et 23 cibles à atteindre d’ici 2030. Parmi ces cibles, la cible 6 vise spécifiquement les espèces exotiques envahissantes (EEE) et appelle à :

« Éliminer, minimiser, réduire et/ou atténuer les impacts des EEE sur la biodiversité et les services écosystémiques en identifiant et en gérant les voies d’introduction des espèces exotiques, en prévenant l’introduction et l’établissement des espèces prioritaires, en réduisant les taux d’introduction et d’établissement d’autres EEE connues ou potentielles d’au moins 50 % d’ici à 2030, en éradiquant ou en contrôlant les EEE, en particulier dans les sites prioritaires, tels que les îles. »

C’est dans ce contexte que lors de la réunion des ministres du G7 sur le climat, l’énergie et l’environnement tenue à Sapporo au Japon en avril 2023, les participants ont décidé d’élaborer un ensemble de recommandations visant à renforcer la coopération internationale sur le sujet des EEE. Créé en 1975, ce groupe d’échanges internationaux sans existence juridique, ni secrétariat permanent, ni membre de droit, avec une présidence annuelle tournante, rassemble actuellement l’Allemagne, le Canada, les États-Unis, la France, l’Italie, le Japon et le Royaume-Uni. L’Union européenne est également associée à ses travaux depuis 1977. Ses réunions annuelles portent sur tous les sujets sociétaux, dont l’environnement.

Dans le compte-rendu de cette réunion, l’alinéa 26 portant sur les EEE rappelle qu’elles sont bien identifiées comme l’un des cinq facteurs directs de perte de biodiversité mondiale et que, pour accélérer la mise en œuvre de l’objectif 6 du CMBKM, les membres du G7 allaient agir sur la base des principales conclusions et des informations scientifiques utiles attendues dans le rapport encore à venir sur l’évaluation des espèces exotiques envahissantes par l’IPBES. Reconnaissant la nécessité d’une coopération internationale renforcée dans ce domaine, le texte prévoyait l’organisation d’un atelier du G7 sur les EEE pour discuter des mesures nécessaires, tels que partage d’informations aux niveaux national et infranational, développement technologique et engagement du secteur privé, afin d’élaborer un ensemble de recommandations.

En septembre 2023, l’IPBES a publié un rapport d’évaluation thématique sur les EEE et leur contrôle fournissant les informations scientifiques, ce qui a permis la mise en action du premier atelier.

G7 EEE : premier atelier (novembre 2023)

A la suite de la réunion du G7 de Sapporo, ce premier atelier sur les EEE s’est donc tenu à Tokyo. Les participants y ont adopté une « Déclaration du G7 sur les espèces exotiques envahissantes : Renforcer la coopération internationale pour gérer les espèces exotiques envahissantes et leurs impacts« .

Cette déclaration présentait les actions communes à mettre en œuvre :

  • promouvoir les collaborations mondiales, régionales et bilatérales,
  • renforcer la recherche scientifique, les bases de données mondiales et les systèmes d’information,
  • sensibiliser et intégrer par des approches intergouvernementales et sociétale
  • renforcer les capacités d’actions.

 

Dans un processus de suivi, des réunions annuelles étaient prévues pour partager informations, expériences et évaluations des progrès réalisés pour atteindre l’objectif 6 d’ici 2030.

G7 EEE : travaux 2024

Sous la présidence italienne, une réunion des ministres du climat, de l’énergie et de l’environnement du G7 a eu lieu à Turin en avril.

Dans le point 15 du document (page 24), intitulé « La biodiversité sur terre, en eau douce et dans les océans diminue à un rythme alarmant et sans précédent, il est rappelé que le taux mondial d’extinction des espèces est extrêmement élevé et que les rapports d’évaluation mondiale 2019 de l’IPBES sur la biodiversité et les services écosystémiques, et d’évaluation thématique sur les EEE et leur contrôle fournissent des preuves claires et solides de la crise de la biodiversité.

Dans l’alinéa 3 du point 17 (page 25) présentant les engagements, les objectifs stipulés sont « prévenir l’introduction et minimiser l’impact des espèces exotiques envahissantes (EEE) en travaillant ensemble pour renforcer la coopération internationale et par l’engagement des entreprises et d’autres secteurs pour atteindre l’objectif 6 du CMBKM et gérer les EEE et leurs pressions et impacts, y compris en organisant un atelier du G7″ sur les EEE.

L’atelier tenu à Rome à distance le 26 novembre visait donc à poursuivre les travaux engagés au Japon. Des représentants des différents états, de la Convention sur la Diversité Biologique, de l’UICN, de l’IPBES et de la Commission Européenne ont participé à cet atelier. Il était présidé par Piero Genovesi, chef du service de la faune et de la flore sauvages d’ISPRA et coordinateur du groupe de travail sur les espèces exotiques envahissantes de l’UICN. Les contributions des organisations internationales et de l’Union Européenne ont occupé la matinée, l’après-midi étant consacré au partage d’informations entre les pays du G7, puis à des discussions sur les pistes potentielles pour l’avenir, à une synthèse et à des remarques finales.

Echanges lors de l'atelier de 2024

La directrice générale du département du développement durable du ministère italien de l’environnement et de la sécurité énergétique, également coordinatrice du groupe de travail sur l’environnement pour la réunion des ministres du G7 d’avril, a introduit l’atelier, suivi d’un exposé du directeur général de la protection de la biodiversité et de la mer soulignant le fait que l’Italie avait placé les EEE au premier rang de ses préoccupations en matière de politique environnementale. Il a également rappelé que l’Italie héberge, grâce à l’Institut pour la protection et la recherche environnementale (ISPRA), la base de données mondiales de l’UICN sur les espèces envahissantes.

La représentante du Secrétariat de la Convention sur la diversité biologique a présenté les résultats de la COP 16 tenue à Cali (Colombie) en octobre-novembre 2024, dont la « boîte à outils EEE », préparée avec le soutien de l’UICN. Elle a rappelé les objectifs généraux des travaux dont des efforts à réaliser pour soutenir la mise en œuvre de l’approche « Une seule santé » parmi d’autres approches globales. Il a également été noté que des demandes au secrétariat de la CDB portaient sur l’évaluation des lacunes existantes et qu’il pourrait être utile d’examiner quelles sont les lacunes les plus importantes à combler.

Le représentant de l’UICN a souligné l’importance des données sur les EEE nécessaires au développement d’actions pour la réalisation de l’objectif 6 et le soutien à cette démarche de l’UICN, avec son groupe de spécialistes des espèces envahissantes (ISSG) et d’autres partenaires, comme la base de données mondiale sur les espèces envahissantes, le registre mondial des espèces introduites et envahissantes et le protocole EICAT aux évaluations en cours pour toutes les EEE connues (nombre total estimé 3 500). Il a également cité l’intérêt maintenant reconnu de la « boîte à outils EEE » en cours de diffusion.

La coprésidente de l’évaluation thématique de l’IPBES sur les EEE a fait état de l’impact significatif de l’évaluation depuis sa publication et de l’importance de la diffusion des messages pour le public, en citant la biosécurité.

Le représentant de la Commission européenne a fait un point sur les progrès réalisés dans l’application de la législation spécifique sur les EEE avec une approche supranationale coordonnée de la question comme modèle éventuel pour d’autres régions du monde. Le cadre juridique européen est complet sur les voies d’introduction, la surveillance et la gestion. Les organes de l’Union cherchent en permanence à améliorer son application par les États membres, avec une mise en œuvre du règlement soutenue par le réseau EASIN européen d’information sur les espèces exotiques et un système de notification de nouvelles détections d’espèces exotiques préoccupantes pour l’Union, de mesures d’éradication correspondantes, etc.

Les contributions par pays

Il s’agissait de présenter les activités pertinentes et les messages clés issus des expériences nationales.

– l’Italie a exprimé son soutien à la poursuite des échanges techniques sur les mesures et les pratiques concernant les EEE dans la mise en œuvre de l’objectif 6 du CMBKM, dans le maintien d’un groupe de travail pluriannuel sous l’égide du G7 incluant des participations d’organisations internationales clés, telles que le Secrétariat de la Convention sur la diversité biologique et l’UICN. Un soutien des actions sur les EEE au-delà des pays du G7 est important pour une meilleure efficacité vis-à-vis des invasions biologiques mondiales. L’hébergement par l’Italie de bases de données mondiales fiables sur les EEE (UICN, EICAT) a été rappelé.

– Le Japon s’est engagé à renforcer la coopération sur les EEE en utilisant pleinement les cadres internationaux ou régionaux existants, y compris le G7 et a souligné l’intérêt d’une plus importante implication dans la démarche EEE des entreprises internationales liées à la logistique, y compris dans les approches de Solutions fondées sur la Nature. Il a rappelé les efforts de collaboration à l’échelle régionale, comme par exemple la gestion de la fourmi de feu (Solenopsis invicta) avec la Chine et la République de Corée. L’éradication de la petite mangouste indienne (Urva auropunctata) de l’île d’Amami-Oshima grâce à des efforts continus avec les parties prenantes locales a été confirmée.

– le Canada a signalé la publication en juin 2024 de la Stratégie pour la nature 2030 du Canada présentant des plans de mise en œuvre pour les 23 cibles du CMBKM. Des informations détaillées sur les travaux du Canada dans la réalisation de la cible 6 ont été fournies et l’intérêt de la « boîte à outils EEE » a également été cité. Son soutien à la poursuite des travaux et à la facilitation des échanges dans le cadre du G7 est cité, en indiquant la présidence canadienne 2025 prévue pour ce groupe.

– la France a présenté les efforts déployés à l’échelle nationale, dans l’hexagone et dans les outremers en rappelant les cinq axes de la stratégie française. Certains des défis auxquels le pays est confronté ont été cités, comme par exemple les techniques d’expédition des animaux et l’élimination des carcasses, la manière d’aborder les voies d’introduction involontaire des EEE ou la relation entre tourisme et invasions biologiques.

– l’Allemagne a indiqué que parmi l’ensemble des efforts concernant les EEE dans le cadre de la réglementation européenne l’accent avait été mis sur les actions de prévention et de sensibilisation du public. Dans la mise en œuvre d’outils d’information innovants pour soutenir les actions, le cadre administratif fragmenté de l’Allemagne est un défi. Un portail dédié aux espèces exotiques envahissantes, destiné à soutenir l’action des différentes autorités responsables est en cours de réalisation.

– le Royaume-Uni a fait état des travaux réalisés au niveau national dans le cadre de l’objectif 6 du CMBKM en soulignant l’avantage du partage des informations sur EEE au sein du G7 et en indiquant la réalisation de travaux de compilation, par exemple sur l’évaluation ou la gestion des risques qui pourraient aider à identifier les priorités communes. Un soutien au maintien d’un groupe de travail pluriannuel du G7 sur les EEE a été exprimé avec le souhait de l’établissement d’une courte liste d’actions concrètes sur lesquelles le groupe pourrait travailler.

– Les États-Unis ont décrit le contexte particulier de leur système fédéral où les compétences sont réparties dans des agences fédérales, des départements fédéraux et les États. Pour améliorer la collaboration entre ces structures un décret a été adopté en 1999 et mis à jour en 2016 et un Conseil national des espèces envahissantes a été créé avec un comité consultatif sur les espèces envahissantes.

Une attention particulière est portée aux liens entre EEE et changement climatique, tels que les effets de la gestion des EEE lors de catastrophes (tempêtes, inondations, incendies de forêt) où les réactions des EEE au changement climatique. Une amélioration des cadres de détection précoce et de réaction rapide et des capacités à détecter d’éventuels nouveaux envahisseurs est souhaitée.

Discussions et liste de sujets prioritaires

Les discussions se sont appuyées sur les résultats du précédent atelier « G7 EEE » tenu à Tokyo en novembre 2023, en particulier dans l’intégration des EEE dans l’approche « Une seule santé », la hiérarchisation des outils, la mise en œuvre de mesures de gestion, etc., en conformité avec le point 2 de la Déclaration du G7 de 2023. La lutte contre la fragmentation administrative, citée par l’Allemagne et les Etats-Unis correspond par ailleurs au point 3 de cette déclaration.

Elles ont permis d’établir une liste complète des thèmes qui pourraient être abordés dans les travaux futurs du groupe de travail pour aider à relever l’ensemble des défis qui se posent sur les EEE et leur gestion à l’échelle mondiale.

A partir de cette longue liste (disponible ici), les participants à cet atelier du G7 à Rome ont souhaité produire une liste plus restreinte de sujets prioritaires sur lesquels le groupe pourrait se concentrer à l’avenir :

  • partager les ressources et les informations utiles à l’ensemble du G7, telles que évaluations des risques disponibles ou en cours, ou encore espèces et voies d’accès déjà en cours de gestion.
  • renforcer les capacités d’actions pour améliorer la capacité des pays du G7 et des autres pays à traiter les questions d’EEE, en encourageant et en facilitant l’application de la « boîte à outils EEE » CDB UICN présentée lors de la COP16.
  • assurer la diffusion de ressources de sensibilisation et de vulgarisation dans plusieurs langues
  • adopter une approche « une seule santé » pour traiter également les EEE, en intégrant les différentes politiques dans un cadre cohérent.
  • relever les défis techniques liés à l’élaboration d’indicateurs d’invasions et au suivi des progrès réalisés en termes de réduction du taux d’introduction
  • explorer les liens entre le changement climatique et les EEE, ce qui peut conduire à des améliorations des systèmes de détection rapide et d’intervention précoce et à des approches de veille stratégique.
  • soutenir une approche globale de la société de gestion des EEE en travaillant avec les secteurs qui peuvent servir de voies d’accès aux EEE et en partageant les leçons apprises avec d’autres secteurs.

Tous les participants de cet atelier se sont déclarés très favorables à la poursuite des échanges entre les pays du G7 sur la question des EEE, avec la participation d’organisations internationales telles que le secrétariat de la CDB et l’UICN, sous des formes à étudier plus avant, dont si possible, la création d’un groupe de travail pluriannuel du G7.

L’UICN s’est engagée à soutenir volontairement tout échange ultérieur, par exemple en fournissant un secrétariat technique, pour faciliter le travail des pays du G7 en mettant à leur disposition une plateforme d’information.

Rédaction : Alain Dutartre (expert indépendant)

Relecture : Camille Bernery (Comité français de l’UICN)